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dimanche 20 mars 2022

A l’université de Saclay, le discret diplôme « cannabis » avance sur une ligne de crête

Par   Publié le 20 mars 2022

Lancée en 2021, ce diplôme d’université attire un public varié : médecins, entrepreneurs, pharmaciens, producteurs de chanvre… Ses concepteurs, qui misent sur une évolution de la loi, souhaitent donner davantage d’écho à la recherche scientifique menée dans ce domaine.

Après un « méchant Covid » qui l’a conduit jusqu’en salle de réanimation, Olivier Pons a repris du poil de la bête. Atteint d’une sclérose en plaques, ce médecin généraliste est inscrit dans le diplôme d’université (DU) sur le cannabis médical, piloté par les universités de Saclay et de Montpellier, premier en son genre en France. Un intérêt personnel et professionnel pour ce Montpelliérain, qui se documente et écrit depuis plusieurs années sur la relation patient-soignant, sur les compléments alimentaires ou encore sur le rôle de la méditation. Lui en est convaincu : dans certaines situations et avec une prescription individualisée, le cannabis a des effets « spectaculaires pour certaines pathologies ». Il en fait l’expérience sur sa spasticité, l’une des manifestations de sa maladie : « Il y a une nette amélioration, même si ce n’est pas un miracle. » Avec cette formation, il souhaite continuer à améliorer ses connaissances dans ce domaine, dans une perspective de« prise en charge globale ».

Mais encore faudrait-il que la législation évolue. Aujourd’hui, si une dizaine de pays en Europe autorisent l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques, ce n’est pas le cas de la France (à l’exception d’un médicament pour traiter une forme rare d’épilepsie). Lancé en 2021, ce nouveau diplôme d’université sur le cannabis prend appui sur l’expérimentation lancée il y a un an par le ministère de la santé, et qui pourrait potentiellement déboucher sur une évolution de la loi.

Une expérimentation en cours

Piloté par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ce dispositif permet à des médecins « labellisés » de prescrire et de faire délivrer du cannabis en pharmacie à certains patients, dans cinq cas (douleurs neuropathiques, épilepsies sévères, symptômes rebelles en oncologie, soins palliatifs, sclérose en plaques). A ce jour, un peu plus de 1 000 personnes sont entrés dans cette expérimentation – dont la méthodologie, sans double-aveugle, est critiquée par l’Académie de médecine –, des conclusions sont attendues pour 2023. La création de ce diplôme surfe également sur l’autorisation récente de vente, en France, de produits à base de CBD… Et de l’explosion, très visible dans les centres-villes, du nombre de boutiques commercialisant les dérivés de la plante, dans un contexte réglementaire mouvant.

« Il y a une vraie méconnaissance, en France, du rôle thérapeutique du cannabis, de ses effets bénéfiques ou de ses limites », estime Amine Benyamina, psychiatre et addictologue, co-concepteur, avec le neurologue Pierre Labauge, du diplôme. Les multiples études scientifiques réalisées sur ce sujet – en particulier au Canada ou en Israël – ont encore peu d’écho en France. « L’enjeu de ce DU, c’est d’appuyer le développement d’une filière de cannabis thérapeutique française sécurisée, et d’y faire intervenir tous ceux qui ont une connaissance réelle du secteur. »

C’est pour coller à cet objectif qu’Amine Benyamina a veillé à recruter, dans la formation, un public hétéroclite. Pour cette deuxième promotion, le DU compte des médecins, des entrepreneurs, des pharmaciens, des infirmiers, des travailleurs sociaux, des agriculteurs… Les 36 inscrits se réunissent (à distance cette année) pour cinq sessions, étalées tout au long de l’année, centrées sur le fonctionnement du système endocannabinoïde, les voies d’administration du cannabis, ses indications et ses dangers, les usages « bien-être » du CBD, les questions de réglementation, de production… « Ce diplôme, c’est un peu un acte militant »,concède Amine Benyamina.

« Si les généralistes pouvaient prescrire du cannabis, cela éviterait à nombre de Français de consommer des benzodiazépines, qui sont beaucoup plus addictifs et dangereux » François Muller, médecin généraliste inscrit dans le DU

Il relève en tout cas du pari. « Ce qui est compliqué, c’est qu’on a d’un côté cette nouvelle ouverture, et de l’autre une politique répressive sur la consommation orchestrée par le ministre de l’intérieur, qui qualifie le cannabis de “merde”… Et paradoxalement, trop peu de prévention », regrette François Muller, 39 ans, médecin généraliste à Paris, inscrit dans le DU « cannabis » de l’université de Saclay. Dans sa patientèle, il compte de nombreuses personnes qui malgré l’interdiction consomment du cannabis à des fins thérapeutiques, par exemple pour réguler leur sommeil, ou en complément d’autres traitements pour soulager certains effets secondaires, comme la perte d’appétit. « Pour ces patients, c’est très compliqué de prendre du cannabis. Ils en ont honte. Si les généralistes pouvaient en prescrire, sous forme d’huiles ou via des vaporisateurs par exemple, cela éviterait à nombre de Français de consommer des benzodiazépines, qui sont beaucoup plus addictifs et dangereux. Et dans certains cas, pas vraiment plus efficaces que le cannabis », estime François Muller.

Egalement dans la promotion, Hélène Berrue Gaillard, pharmacienne à Paris, est venue se former aux « dosages, aux différentes origines, aux types de contrôles qualité » du cannabis, dans la perspective de pouvoir un jour créer des préparations. « Quand vous voyez le problème que posent les opioïdes en termes de dépendance, il est normal d’explorer des alternatives. Il y a des maladies pour lesquelles les possibilités de traitement sont très limitées », explique cette pharmacienne engagée dans une association de lutte contre les maladies rares, et qui s’intéresse aussi à l’homéopathie. « Que ce soit du cannabis, ou juste du CBD, tout est une question d’évaluation des bénéfices et des risques », dit-elle.

« En fait, ce DU, c’est une opportunité pour avoir des infos solides et validées par des professionnels, parce qu’aujourd’hui c’est un univers qui ressemble au Far West », poursuit Corinne Cambournac, inscrite elle aussi dans la formation. Naturopathe, ancienne infirmière, elle teste des dosages et des usages de la plante dans le domaine du bien-être. Elle a lancé une boutique en ligne de chocolats à base de CBD et d’huiles essentielles, et tente de promouvoir la « chocothérapie ».

« Une plante passionnante »

Parmi les enseignants de la formation figurent aussi bien des addictologues, des neurologues et des chercheurs que des « lobbyistes » de la filière du chanvre (dont la France est le premier producteur en Europe), ou des parlementaires actifs sur ce sujet comme le député Ludovic Mendes (Moselle, La République en marche), qui fut l’un des rapporteurs de la récente mission d’information parlementaire sur le cannabis. Tout un petit milieu sur lequel l’entrepreneur belge, Lionel Quataert, 34 ans, compte s’appuyer. Pour lui, s’inscrire dans ce DU, c’est, au-delà des connaissances, une manière de se constituer un réseau. « Avec les autres participants, on a un groupe WhatsApp, un groupe LinkedIn, on échange, on s’informe mutuellement. » Lui a découvert le cannabis médical alors qu’il était consultant en Uruguay, pays pionnier dans ce domaine. « Je voyais les files d’attente à l’entrée des pharmacies, les gens venaient récupérer leurs prescriptions sous forme de fleurs à inhaler. Ça m’a marqué ! »

De retour en Belgique, il a lancé une entreprise qui commercialise dans les pharmacies belges des produits à base de CDB. « Cette plante, elle est passionnante, mais elle souffre d’une mauvaise image. Il est fondamental de développer davantage la recherche dans le domaine du cannabis thérapeutique », estime le fondateur de CBX, qui a lancé cette année un concours européen pour récompenser les meilleurs mémoires d’étudiants sur le cannabis, dans différents domaines : médecine, sciences, sciences sociales, droit… Avec une précision : tout mémoire de recherche relatif aux effets psychotropes de la plante sera écarté. Pour que le sujet gagne sa légitimité académique, mieux vaut éviter les mélanges.


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