L'inquiétante hausse des hospitalisations sous contrainte
14.06.11
Les psychiatres n'en démordent pas. Le projet de loi de réforme de l'hospitalisation sans consentement comporte des risques de dérive sécuritaire. Certains praticiens affirment déjà qu'ils n'appliqueront pas la loi, examinée en deuxième lecture au Sénat, mercredi 15 juin. Le texte prévoit que les soins sans consentement puissent être étendus à la prise en charge hors hôpital. Or beaucoup craignent que le texte n'entraîne un nouvel essor des mesures de contraintes, dont l'augmentation inquiète déjà.
Environ 20 % des hospitalisations en psychiatrie sont décidées hors consentement du malade. Les derniers chiffres datent de 2007, mais ceux sortis depuis - des données non corrigées - montrent une tendance à la hausse. Selon les statistiques annuelles des établissements de santé, que Le Monde s'est procurées, les hospitalisations sous contrainte à la demande d'un tiers (proche ou famille) sont passées, entre 2007 et 2009, de 58 849 à 63 158. Les hospitalisations d'office (sur demande du maire ou du préfet), décidées notamment en cas de trouble à l'ordre public, sont stables, passant de 14 331 à 14 576.
Le fait que de plus en plus d'hôpitaux renseignent les bases de données explique la progression de ces chiffres, mais pas seulement. "La question des raisons de la hausse est clairement posée, mais nous n'en sommes qu'au stade des hypothèses", explique Pauline Rhenter, sociologue du Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé (CCOMS) consacré à la santé mentale. Elle estime notamment que, "dans un contexte général plus sécuritaire, il faut se demander si la contrainte n'est pas en train de devenir un mode d'hospitalisation banalisé".
Manque de structures
Une explication à la hausse des hospitalisations à la demande d'un tiers pourrait résider dans le changement de regard de la société sur la maladie mentale. "Nous avons des difficultés à accepter autour de nous des gens ayant un comportement inattendu", affirme Jean-Marie Delarue, le contrôleur des lieux de privation de liberté. Dans un avis rendu en mars, il s'était inquiété des difficultés rencontrées par les psychiatres pour obtenir des préfets une sortie d'essai pour leurs malades en hospitalisation d'office, qu'ils estiment pourtant suffisamment soignés.
Cette augmentation des hospitalisations sans consentement s'inscrit par ailleurs dans un contexte de fortes disparités géographiques. Dans les zones rurales et périurbaines, les hospitalisations sous contrainte sont plus courantes, car il y a peu de structures d'accueil alternatives et de travail de prévention. D'un département à l'autre, en 2007, le taux des internements pour 100 000 habitants de plus de 20 ans variait de 1 à 5.
Mais le manque de structures n'explique pas tout. Il y a aussi les différences d'attitude des préfets face aux malades mentaux, celles des maires, enclins ou réticents à prendre un arrêté d'hospitalisation, et même des psychiatres. Pour mieux appréhender ces phénomènes locaux, une étude pilotée par le CCOMS est en cours. Elle concerne les hospitalisations d'office dans quatre régions.
Certains voient enfin dans cette hausse la preuve d'un manque de moyens, sachant que pour décrocher plus vite une place à l'hôpital, il vaut mieux opter pour une hospitalisation à la demande d'un tiers, même si le patient est consentant.
Pour Patrick Chemla, psychiatre au Centre Antonin-Artaud à Reims et membre du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, cette dérive pourrait aussi être constatée hors de l'hôpital, avec le projet de loi. "Les structures qui suivent les malades à l'extérieur sont autant surchargées que les hôpitaux", dit-il, ajoutant que la facilité sera de "placer tout le monde en soins sous contrainte, alors qu'il faut parfois des mois pour obtenir un consentement" du patient.
Au ministère de la santé, on estime au contraire que la loi va permettre de développer la prise en charge hors hôpital, et ainsi limiter les recours non justifiés à l'hospitalisation sous contrainte.
Laetitia Clavreul
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