Après la vague de mobilisation contre les discriminations, il faut changer le système économique, avec pour fondement la réduction des inégalités, plaide l’économiste dans sa chronique.
Chronique. La vague de mobilisation contre le racisme et les discriminations pose une question cruciale : celle des réparations face à un passé colonial et esclavagiste qui décidément ne passe pas. Quelle que soit sa complexité, la question ne peut être éludée éternellement, ni aux Etats-Unis ni en Europe.
A la fin de la guerre civile, en 1865, le républicain Lincoln promit aux esclaves émancipés qu’ils obtiendraient après la victoire « une mule et 40 acres de terre » (environ 16 hectares). L’idée était à la fois de les dédommager pour les décennies de mauvais traitement et de travail non rémunéré et de leur permettre de se tourner vers l’avenir en tant que travailleurs libres. S’il avait été adopté, ce programme aurait représenté une redistribution agraire de grande ampleur, aux dépens notamment des grands propriétaires esclavagistes.
Mais sitôt les combats terminés la promesse fut oubliée : aucun texte de compensation ne fut jamais adopté, et les 40 acres et la mule devinrent le symbole de la tromperie et de l’hypocrisie des Nordistes – à tel point que le réalisateur Spike Lee en fit ironiquement le nom de sa société de production. Les démocrates reprirent le contrôle du Sud et y imposèrent la ségrégation raciale et les discriminations pendant un siècle de plus, jusqu’aux années 1960. Là encore, aucune compensation ne fut appliquée.
Etrangement, d’autres épisodes historiques ont pourtant donné lieu à un traitement différent. En 1988, le Congrès adopta une loi accordant 20 000 dollars aux Japonais-Américains internés pendant la seconde guerre mondiale. L’indemnisation s’appliqua aux personnes encore en vie en 1988 (soit environ 80 000 personnes sur 120 000 Japonais-Américains internés de 1942 à 1946), pour un coût de 1,6 milliard de dollars. Une indemnisation du même type versée aux Afro-Américains victimes de la ségrégation aurait une valeur symbolique forte.