Par Stéphanie Le Bars Publié le 14 juin 2019
Portés par l’élection de Trump, les antiavortement multiplient les offensives. Cerné par les Etats conservateurs, l’Illinois se dote d’un arsenal législatif visant à sanctuariser l’accès à l’IVG.
Certes, le Mississippi est un très large fleuve. Un épais ruban boueux qu’enjambe une ribambelle de ponts. Des plus anciens aux plus récents, ils relient ici la ville de Saint-Louis (Missouri) à Granite City (Illinois), un peu plus au nord et bien plus modeste. Mais, dans ce coin du Midwest conservateur, le fleuve frontière ne sépare pas seulement deux Etats. « A chaque fois que je franchis le Mississippi pour venir travailler, je passe véritablement d’un monde à un autre », assure sans exagération Erin King.
Blouse bleue de rigueur, la gynécologue-obstétricienne a pris une pause dans son emploi du temps « de dingue ». Ces jours-ci, l’avortement agite les esprits des deux côtés de la frontière et la docteure King est en première ligne. Face aux offensives tous azimuts des militants anti-IVG, jamais l’Illinois n’a autant mérité sa réputation d’« Etat refuge » pour les femmes souhaitant avorter.
A la tête de la Hope Clinic for Women depuis trois ans, un centre spécialisé dans les avortements situé au beau milieu d’une vilaine zone industrielle de Granite City, l’énergique quadragénaire habite toujours dans le Missouri. Chaque jour, son trajet de vingt minutes en voiture la transporte de l’un des Etats américains les plus restrictifs en matière de droits à l’avortement à l’un des plus libéraux.
La Hope Clinic for Women, à Granite City dans l’Illinois, le 7 juin. Environ 4 000 femmes, dont 55 % viennent du Missouri voisin, se font avorter dans cet établissement chaque année. NEETA SATAM POUR "M LE MAGAZINE DU MONDE"
Même sa vie de famille est rythmée par ce fossé grandissant entre deux Amériques. Son mari, « gyn-obs » comme elle, se bat pour maintenir ouverte la dernière clinique pratiquant les IVG dans le Missouri, à Saint-Louis. Et chacun, de part et d’autre du fleuve, peut constater les crispations et les positions irréconciliables des deux camps.
Ce jour-là, à Saint-Louis, devant la clinique du Planning familial menacée de fermeture par les autorités pour des raisons de « sécurité sanitaire », une poignée de jeunes gens opposés à l’interruption volontaire de grossesse agitent une pancarte à l’étrange slogan : « L’avortement est l’ultime exploitation de la femme ». Sur le parking, un homme plus âgé vêtu d’un gilet arc-en-ciel siglé « clinic escort » se tient prêt à accueillir des patientes. Un jeu de rôles désormais classique dans le pays.