LES CHEMINS DE LA PHILOSOPHIE par Adèle Van Reeth
Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.
dimanche 28 avril 2019
samedi 27 avril 2019
Sylvaine Perragin : «L’obligation d’être heureux au travail fera bientôt partie des objectifs à atteindre»
Par Erwan Cario —
«Jobless Happiness» ("heureux sans travailler") de Maia Flore (2015). Photo Maia Flore. Agence VU
«Jobless Happiness» ("heureux sans travailler") de Maia Flore (2015). Photo Maia Flore. Agence VU
Après vingt ans passés auprès de salariés en souffrance, la psychologue dénonce, dans «le Salaire de la peine», le business bien huilé du bien-être des salariés, tourné avant tout vers la performance.
Les salariés des grandes entreprises, et parfois des moins grandes, connaissent bien cette impression étrange lorsqu’au détour d’un questionnaire ou d’une formation la structure qui les emploie affiche une préoccupation pour leur bien-être. Il y a comme un décalage, comme une imposture sous-jacente difficile à identifier. Les directions des ressources humaines proposent parfois du coaching pour «gérer son stress», mettent en place une «hotline psy», organisent des «expérimentations managériales» qui vont permettre de «mettre l’humain au cœur du process» pour que les salariés, pardon, les «collaborateurs», soient épanouis. Mais aucune des solutions proposées pour régler les problèmes identifiés n’ira jusqu’à remettre en cause de façon opérationnelle l’organisation du travail qui les a fait naître.
Sylvaine Perragin travaille depuis vingt ans en tant que psychologue du travail indépendante. Dans son livre le Salaire de la peine (Le Seuil) , elle décrit un système mortifère qui a fait de la souffrance au travail un business des plus rentables. Et des plus inutiles. Car depuis la prise de conscience de l’existence de ce phénomène, notamment avec la parution en 1998 de Souffrance en France de Christophe Dejours, et surtout après les dramatiques vagues de suicides chez Renault et France Télécom entre 2006 et 2009, des moyens ont été alloués pour lutter contre le mal-être des salariés. Pour quels résultats ? En 2014, une étude du cabinet Technologia estimait à 3,2 millions le nombre de Français en danger d’épuisement. Une autre étude de l’Institut de veille sanitaire (INVS) évaluait, en 2015, à 480 000 le nombre de salariés en souffrance psychique au travail, dont 30 000 en situation de burn-out. C’est que, selon Sylvaine Perragin, les cabinets de ressources humaines «ont fait de la souffrance au travail un véritable marché avec un produit à vendre, en l’occurrence le "bonheur au travail" pour une performance accrue».
Le Salaire de la peine est la mise en lumière implacable d’un système qui veut tout «solutionner» sans jamais rien résoudre. C’est une démonstration, nourrie d’exemples révoltants, de l’existence d’un consensus industriel autour d’une organisation du travail toxique pour les salariés. Au cœur de celle-ci, on trouve une volonté permanente d’optimiser les ressources (humaines) en fonction d’objectifs forcément chiffrés. Et quand la machine déraille, l’organisation profonde n’est jamais remise en cause. «Dictature de la bienveillance, exécration du conflit, volonté de réconcilier l’inconciliable, solutionnisme primaire, perte de lucidité, le business de la souffrance au travail véhicule l’idée d’un miracle fait de petites solutions, de techniques pour travailler sur soi, écrit Sylvaine Perragin. Comme s’il suffisait d’acquérir un peu de méthode. Vous êtes en colère ? Mettez-vous sur pause, changez votre rapport à l’autre, forcez-vous à dire au moins un compliment par semaine à chacun de vos collaborateurs, mangez cinq fruits et légumes et adonnez-vous à trente-cinq minutes de yoga.» Du yoga, on en aurait peut-être eu besoin pour se remettre de la lecture du Salaire de la peine, mais on a préféré s’entretenir avec son auteure.
Contre un futur « marché de l’autisme », livré par l’État au secteur privé
PAR PRINTEMPS DE LA PSYCHIATRIE
La secrétaire d’État aux personnes handicapées Sophie Cluzel a déclaré à la radio que les enfants autistes ne devaient plus être pris en charge par des psychiatres. Une déclaration inquiétante pour le « Printemps de la psychiatrie », un collectif né des mouvements récents alliant soignants, patients et familles, qui veulent repenser le travail soignant et la prise en charge des patients. Dans cette tribune, le collectif dénonce les orientations actuelles : « Ne plus financer les services publiques et préférer verser des allocations aux personnes pour qu’elles financent des cabinets privés de diagnostic, de formation, d’aide à la personne. ».
Depuis quelque temps dans le champ de l’autisme, une intense communication contre la psychiatrie et la pédo-psychiatrie est déployée par certains membres des gouvernements successifs, par des militants associatifs, et largement relayée dans les médias. La psychiatrie serait coupable de tous les maux : incompétence, délais de prise en charge, culpabilisation des mères, non-respect des bonnes pratiques, retard de la France…
De manière étonnante, sans que cela ne soit dit, on constate en parallèle une augmentation incessante des demandes faites aux psychiatres et autres « psys », de la part de personnes autistes et de familles qui pourtant ont bénéficié de dépistages précoces dans des centres de référence ayant abouti à un diagnostic, de conseils et de formations au sein de Centres ressources autisme (CRA), de dépistages génétiques, de suivis somatiques réguliers, généralistes et spécialisés, de l’application des approches recommandées par la Haute autorité de santé (HAS) (thérapies cognitives, méthodes comportementales, techniques de communication, psychomotricité, orthophonie, ergothérapie, programmes neuropsychologiques…), d’accueil dans des institutions appliquant exclusivement les méthodes les plus recommandées, d’inclusions scolaires en classe ordinaire ou en classe adaptée, de tentatives de travail en milieu ordinaire ou adapté. Ces demandes viennent s’ajouter aux demandes incroyablement nombreuses de personnes autistes sans solution et de leurs familles, qui n’ont pas forcément bénéficié de tout cela.
Les institutions les plus adaptées sont désavouées
Que dire des demandes, souvent urgentes, de ces personnes qui surviennent alors qu’elles ne peuvent plus être accueillies à l’école, qu’elles ne peuvent plus continuer leur travail, qu’elles ne sont pas soulagées par une prise en charge somatique adéquate, qu’elles n’adhèrent plus aux approches recommandées ? Que dire des demandes d’aide pour faire face à des situations difficiles : violence, automutilations graves, errance, tristesse intense, régression des acquis ? Que penser de certaines de ces personnes et de leurs familles qui demandent de l’écoute, un suivi psychothérapique, un accueil dans une institution qui les aiment telles qu’elles sont, ouverte sur le monde et articulée en permanence avec l’école et le travail, et soutenant leurs possibilités d’auto-détermination ? Car oui, ce genre d’institution existe, et plutôt que de s’en inspirer, cette intense politique de communication les désavoue avec une détermination tenace.
Et pourtant, que dire quand le constat est fait par les premiers intéressés que ce type d’approche, ouverte, aide à avancer dans un certain nombre de cas notamment quand il s’agit de violences que s’inflige la personne, à elle-même et à ses proches, sans rendre systématique la sur-prescription de psychotropes ? Peut-on, par exemple, se dire que les personnes autistes sont comme tout le monde, qu’elles ne sont pas des robots, que leur idéal de vie n’est pas forcément celui qu’une sorte d’« aristocratie de l’autisme » a décidé à l’avance pour elles ? Qu’elles peuvent avoir besoin, comme tout le monde, qu’on prenne du temps avec elles et qu’on tienne compte leur personnalité propre ?
Les revendications souvent sincères de nombreuses familles et personnes autistes dénoncent des pratiques maltraitantes qu’elles ont rencontrées en psychiatrie, dont on ne peut douter qu’elles soient réelles étant donné l’état d’abandon de la psychiatrie par les politiques successives d’austérité, de manque de moyens et de transformation des pratiques du côté sécuritaire voire carcéral.
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