Par Laurent Joffrin — 19 septembre 2017
Le psychologue Steven Pinker montre, dans un essai de plus de mille pages, le «processus de civilisation» de l’humanité au fil des siècles. Malgré les innombrables conflits dans le monde, la violence régresse incontestablement.
Voilà un livre qui nous réconciliera - un peu - avec l’humanité et qui est, peut-être, pour cette raison, l’essai le plus important de cette rentrée. Sa thèse s’énonce facilement : au fil des siècles, la violence entre les humains, qu’il s’agisse des guerres, de la criminalité, des relations personnelles, de l’attitude envers les animaux ou de l’éducation des enfants, n’a cessé de régresser de manière spectaculaire. Malgré des rechutes, des accès d’agressivité soudaine, des retours en arrière transitoires, un «processus de civilisation» s’est développé depuis les premiers temps de l’humanité jusqu’à aujourd’hui, pour faire du monde contemporain le plus sûr, le moins guerrier, au fond le plus humain, qu’on ait connu depuis l’origine des temps.
Las ! On conçoit tout de suite le nombre de préjugés, d’idées reçues, de certitudes bien ancrées qu’une telle thèse heurte de front. Et le sanglant XXe siècle ? Et le terrorisme ? Et la guerre de Syrie ? Et la violence urbaine ? Et la condition des migrants ? Et les innombrables conflits qui jettent les terriens les uns contre les autres et font l’actualité de ce début de siècle ?
C’est là que le livre prend sa valeur. Plutôt que de pondre un énième essai impressionniste, comme on en voit tant dans la production éditoriale française, plutôt que de virevolter avec brio et sans méthode d’une citation à l’autre, d’une hypothèse à l’autre, d’une affirmation arbitraire à un argument d’autorité, pour annoncer la défaite de la pensée, le suicide français, le déclin de la civilisation occidentale, l’imminence de l’insurrection qui vient ou la nécessité urgente de revenir au communisme, sans jamais rien prouver ni examiner un tant soit peu sérieusement son objet, Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard, s’efforce d’étayer systématiquement et méthodiquement son diagnostic, en s’appuyant sur les innombrables données disponibles, en synthétisant la littérature sur le sujet, en se confrontant d’emblée aux objections qu’on pourrait lui opposer.
Bref, il emploie une manière rationnelle et crédible, à cent lieues des numéros de claquettes plus ou moins réussis qui nourrissent le débat français. Il a ainsi écrit plus de mille pages pour décrire ce lent progrès de l’humanité vers une société plus humaine, dont cent pages de notes et encore cent pages de références bibliographiques… Pourtant ce pavé impressionnant se lit avec agrément, parce que son style est limpide, ses exemples nombreux et frappants, ses statistiques toujours surprenantes, et son ton rehaussé d’une qualité qui manque cruellement aux Cassandre de la décadence française et aux Trissotin de la sociologie critique : l’humour.