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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mardi 20 décembre 2011


Plus que d’une pénurie de lits, la psychiatrie souffre d’une mauvaise organisation

LEMONDE | 20.12.11
En trente ans, le nombre de lits d'hospitalisation complète en psychiatrie a chuté de plus d'un tiers.
En trente ans, le nombre de lits d'hospitalisation complète en psychiatrie a chuté de plus d'un tiers.AFP/PATRICK BERNARD
Le plan "Psychiatrie et santé mentale" a été lancé début 2005 par l'ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy à la suite de l'émotion soulevée par le meurtre, en 2004, d'une infirmière et d'une aide-soignante par un patient schizophrène de l'hôpital de Pau, alors en rupture de soins. Le plan avait pour objectif premier de décloisonner la prise en charge en psychiatrie, en évitant, dans la mesure du possible, l'hospitalisation à temps complet pour privilégier la prise en charge en extra-hospitalier. "Or, le recours à l'hospitalisation est demeuré excessif, notamment faute de solutions d'aval, mais aussi de possibilités suffisamment développées de prises en charge alternatives en amont", note la Cour des comptes.
Dans leur rapport, les magistrats financiers déplorent ainsi un usage disproportionné des hospitalisations à temps complet en rappelant qu'ils entraînent "une forte coupure du patient avec son milieu social et familial". Les structures extra-hospitalières alternatives à l'hospitalisation existent – appartements thérapeutiques avec présence intensive de soignants, atelier ergothérapeutique avec activités ludiques et sportives, prises en charge alternatives à la gravité de la pathologie du patient – mais "restent insuffisamment nombreuses au regard des besoins".
Selon la Cour des comptes et contrairement aux idées reçues, la France ne souffre pas d'une pénurie de lits en psychiatrie. La Cour relève en revanche que les capacités d'hospitalisation complète sont fréquemment saturées. Les quelque 57 408 lits en psychiatrie ont permis de réaliser 18,8 millions de journées d'hospitalisation en 2010, soit 89,5 %, un taux global d'occupation très important.
Un nombre de lits en diminution et une inégale répartition géographique.
Un nombre de lits en diminution et une inégale répartition géographique.Cour des comptes, d'après DREES
Pour la Cour, cette saturation est liée en partie à une durée de séjour moyenne de l'ordre de 30 jours (six fois plus importante qu'en hôpital général) et à des séjours trop répétitifs. Elle s'explique, notamment, par une absence d'alternatives en séjour d'aval. Or, cette situation de "suroccupation continuelle provoque des effets pervers""l'absence de place en cas d'urgence conduit parfois à recourir à l'hospitalisation sans consentement" afin de parvenir à hospitaliser des patients qui pourtant n'en relèvent pas; les moyens et les personnels soignants sont focalisés sur les hôpitaux au détriment des prises en charge extra-hospitalières.
La Cour qualifie ainsi d'"inadéquates" nombre d'hospitalisations longues réalisées en psychiatrie: en 2009, la part des séjours de plus de six mois était de 5,6 % et celle des séjours de plus d'un an, 3,3 %. Beaucoup de ces patients, dont certains très handicapés mentalement, pourraient être réorientés, soit dans des structures de soins alternatives, soit en structures médico-sociales, une fois leur handicap psychique reconnu.
La Cour donne l'exemple de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) où 971 patients en séjour prolongé (plus de dix mois) résidaient dans les hôpitaux en 2007. Seuls 282 (29 %) ne pouvaient pas être réorientés dans d'autres structures. Les autres l'étaient potentiellement, notamment dans le secteur médico-social: parmi eux, 15,5% étaient hospitalisés depuis plus de quinze ans, dont 5,8 % depuis plus de vingt-six ans.
Cette occupation de lits inadéquate réduit fortement la disponibilité de l'hôpital: un patient qui occupe une place pendant un an empêche quelque 12 autres hospitalisations de trente jours. Ce système inadapté génère des coûts importants: une hospitalisation complète coûte 450 euros par jour, soit plusieurs fois le coût complet, intervenants sociaux inclus, d'une prise en charge ambulatoire ou à temps partiel. Pour la Cour des comptes, l'enjeu réside donc dans une meilleure organisation du secteur: "Le redéploiement des moyens par l'hospitalisation de patients réorientables devrait permettre de dégager de nouvelles ressources pour des prises en charge alternatives."
Adrien Maillard

lundi 19 décembre 2011



Le Point.fr - Publié le 15/12/2011 à 14:32

Le manuel américain des troubles mentaux déshumanise la médecine et veut à tout prix faire entrer les malades dans des "cases".

Le Pr Maurice Corcos part en guerre contre le fameux DSM (Diagnostic and Statistical Manuel) américain. Ce psychiatre et psychanalyste, qui dirige le département de psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte à l'institut mutualiste Montsouris de Paris, s'insurge contre "le nouvel ordre psychiatrique", tel qu'il est enseigné aujourd'hui dans les facultés de médecine. Et il le fait savoir dans le livre qu'il vient de lui consacrer*. Il regrette la seule prise en compte des faits et donc la disparition de toute interprétation subjective, ce qu'il considère comme une grave régression pour les malades. Et il s'emporte contre la réduction des existences à de simples accidents biologiques.
Dès l'introduction, le ton est donné : "La pensée stérilisée par l'apprentissage à répondre efficacement à des QCM (questionnaires à choix multiples) pour valider leurs examens" réduit les étudiants en psychiatrie à "collecter les symptômes que leur impose le DSM, les additionnant sans fin, puis les soustrayant pour aboutir à un résultat qu'ils livrent joyeux comme le bon élève qui a vaincu une équation à une inconnue. Mais l'équation a plusieurs inconnues et l'homme, surtout quand il devient "fou", sont une machine déréglée qu'aucune check-list ne parviendra à résumer..."

Système pervers

Le Pr Corcos compare le DSM à l'invention d'une notice universelle pour les machines délirantes détraquées, à l'usage de médecins informaticiens phobiques de la clinique... Rien de moins. Avec cet instrument, l'ambition du psy n'est plus d'entrer dans l'expérience intérieure du patient, mais de répondre à son excentricité par une cohérence objective. Ce spécialiste dénonce donc ce système pervers qui a été mis au point pour que les chercheurs des différents pays puissent travailler sur une base de critères diagnostiques commune et ainsi comparer efficacement leurs travaux. Mais les malades, dans tout ça ?
La manière de les observer, Maurice Corcos la compare à celle des touristes qui, dans les musées, les sites archéologiques ou les mariages, passent la plus grande partie de leur temps l'oeil rivé au viseur de leur caméra, sans jamais regarder vraiment ce qui se passe et sans se l'approprier sensoriellement. "Aux tableaux mentaux, ils substituent mentalement des images électroniques, c'est-à-dire un imaginaire virtuel, car sans affect." Le réel n'est donc jamais abordé directement par ces psychiatres, qui se réfugient aussi très souvent derrière des imageries médicales (notamment l'IRM) pour tenter de comprendre la situation.
Les deux premiers DSM (en 1952 et en 1968) étaient "inscrits dans leur époque, où les questions de la subjectivité et du sens n'étaient pas encore considérées comme accessoires", souligne le spécialiste. D'ailleurs, les différents courants de pensée avaient été invités à participer à leur rédaction. Mais, depuis, le monde "scientifique" a pris le pouvoir. L'Amérique est parvenue à promulguer un nouvel ordre mental. L'ultrascientisme, la rentabilité aveugle, la frénésie technologique, voire la barbarie mécanique et froide règnent en maîtres. C'est pourquoi Maurice Corcos espère que les psychiatres - au moins français - vont finir par dénoncer "le nouveau contrat social qui veut les aliéner" et qui tente d'enfermer l'humain dans des cases, afin de répondre aux demandes d'une société qui ne veut plus de désordre ni de folie. Sera-t-il entendu ?
L'homme selon le DSM, éditions Albin Michel, 234 pages, 20 euros

Le divan n'a pas dit son dernier mot.


Au moment même où l'on assiste à une diminution progressive de l'influence de la psychanalyse dans bon nombre de services de psychiatrie au profit des approches neurobiologiques, s'est ouvert à Sainte-Anne l’Institut Hospitalier de Psychanalyse. Le lieu, ouvert depuis mai 2011, propose des consultations psychanalytiques gratuites et accessibles à tous ainsi qu'une riche plate-forme de formation à la psychanalyse pour les psychologues et les internes en psychiatrie. Village gaulois ou témoignage de la capacité de la psychanalyse à innover et à se transformer ?
Autant laisser tout de suite à la porte les préjugés que vous pouvez avoir sur l'hôpital psychiatrique, ses soignants revêches et ses corridors dont le mobilier et l'éclairage justifient à eux seuls l'entrée en dépression sévère : à l'Institut Hospitalier de Psychanalyse de Sainte-Anne, l'hospitalité commence précisément par le soin apporté aux locaux et l'idée que ça n'est pas parce qu'une personne est en état de grande souffrance psychique qu'elle n'est pas sensible au beau. Le lieu a été créé en mai 2011 par une figure de la psychanalyse en France, Françoise Gorog. Pendant longtemps, elle a été la seule femme mais aussi la seule lacanienne se revendiquant comme telle à diriger à Sainte-Anne un service de psychiatrie. Ateliers d'écriture, de cuisine, de philo, de danse ou de relaxation proposés aux patients, possibilité de revenir aux ateliers ou en accueil déjeuner après l'hospitalisation, patients en tenue de ville, psychiatres tous formés à la psychanalyse et ne portant pas de blouse blanche, séminaires de psychanalyse et de sciences humaines pour le personnel soignant... Outre l’extrahospitalier, les deux pavillons qu'elle a dirigés pendant plus de vingtannées, l'un ouvert, l'autre fermé, ont été des modèles de ce que la psychiatrie hospitalière peut donner de mieux quand elle cesse de se vautrer dans la frénésie sécuritaire pour se concentrer enfin sur ce que devrait être sa mission première : prendre soin de nos fous. Françoise Gorog fait partie de ces soignants qui n'hésitent pas à aller passer les fêtes de Noël à l'hôpital auprès des patients, ou à aider les infirmières à nettoyer l'appartement enseveli sous les détritus d'une personne en voie de clochardisation. A l'heure où, du fait des terribles restrictions budgétaires dont pâtit la psychiatrie en France, les réunions d'équipes dans un nombre grandissant de services se limitent de plus en plus à un triste jeu de chaises musicales pour pouvoir gérer à flux tendu le manque de lits disponibles, son départ du Secteur 16 de Sainte-Anne en mai dernier en a inquiété beaucoup – mais aussi réjoui ceux qui considèrent la psychanalyse comme un bibelot exotique dont la place doit désormais se cantonner aux bibliothèques ou aux musées.
« Quitter le modèle de la médecine à deux vitesses
pour nous rapprocher de celui de la psychanalyse pour tous. »
Philosophe, Françoise Gorog constate : « Quand j'ai commencé ici, la file active était de 800 malades, quand j'ai laissé le secteur 16, en mai dernier, nous étions à 2500 malades. Entretemps, le personnel médical et psychologique s'était accru de peut-être un quart de plus grand maximum. Avec la politique d'austérité qui se dessine, il faut quand même être réalistes. »
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Daniel Pendanx, L’institutionnel, la clinique, et le management comportementaliste

jeudi 15 décembre 2011 
par P. Valas 
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Le Surmoi - JPEG - 1.7 Mo
L’institutionnel, la clinique, et le management comportementaliste
Depuis quelque temps, suite à un changement de direction, nous voilà confrontés à notre tour à une politique managériale qui met cul par-dessus tête notre service éducatif de milieu ouvert : le dit « fonctionnement du service » n’est plus un moyen de servir les pratiques, d’aider les éducateurs qui sont en première ligne dans l’exercice des mesures de milieu ouvert, mais devient à lui-même son propre horizon.

 La gestion devient sa propre fin, le moyen de satisfaire une logique d’emprise sur les dites « ressources humaines »…

Nous sommes dans l’auto-référence à soi. Ce qui correspond profondément à la culture dominante, celle de l’auto-fondation… Nous sommes donc condamnés tout à la fois à combattre et à nous maintenir vivants et ouverts auprès de ceux que nous affrontons – ce qui est loin d’être facile !

 Le management, épousant la structure familialiste (paternaliste) des vieilles associations philanthropiques patriotes…

Le management, épousant la structure familialiste (paternaliste) des vieilles associations philanthropiques patriotes, établit un rapport quasi féodal aux praticiens : vous êtes nos salariés, nous est-il dit.
La priorité est pour ces directions gestionnaires, désarrimées du tiers commun, celui du travail clinique, éducatif, le « bon fonctionnement du service », et non le souci de garantir l’espace institutionnel tiers.
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Hôpital et bouts de ficelles

| Par noemie rousseau - Mediapart.fr

Dans les coulisses de l'expertise psychiatrique

Publié le 17/12/2011 
Certaines expertises psychiatriques sont réalisées en prison (ici, à Rennes).
Certaines expertises psychiatriques sont réalisées en prison (ici, à Rennes).
(AUDUREAU AURELIE / LE PARISIEN / MAXPPP)

Moitoiret, Breivik, Agnès… Qu'il s'agisse du meurtrier du petit Valentin, de l’auteur de la tuerie en Norvège ou de la collégienne violée et tuée en Haute-Loire, ces affaires mettent en exergue le rôle de l’expert psychiatre, de plus en plus central dans le système judiciaire. Et donc de plus en plus exposé à la critique.
Aucune formation spécifique n'est requise pour se lancer dans l'expertise judiciaire. Les psychiatres qui le souhaitent déposent une candidature, examinée par une commission de magistrats. Si celle-ci est validée, il faut prêter serment. L'expertise, rémunérée plus de 250 euros brut, doit rester une activité annexe, pratiquée en marge de l'exercice de la psychiatrie. La plupart du temps, les experts psychiatres interviennent sur ordonnance du juge, et doivent répondre à un certain nombre de questions sur la santé mentale et la personnalité d'un individu. 
L’enjeu, souvent, est de taille : cette personne peut-elle être jugée responsable de ces actes ? Est-elle susceptible de récidiver ? Sa parole est-elle crédible ? C’est à ce type d'interrogations que doivent répondre ces experts, après une à quelques heures d’entretien avec un prévenu, un mis en examen ou un accusé. Comment se déroule cette rencontre  sous haute tension, tant du point de vue des psychiatres que des expertisés ? FTVi est allé à leur rencontre.
• Le premier contact : "observer le sujet dans sa spontanéité"
"C’est un grand moment", témoigne Serge Bornstein, expert-psychiatre auprès la Cour de cassation. Cette première, et souvent unique, rencontre peut avoir lieu en prison, si la personne est incarcérée, ou dans un des lieux de consultations de l’expert-psychiatre (hôpital, cabinet…) si la personne est libre, sous contrôle judiciaire. Lors des premières minutes de l’entretien, l’expert-psychiatre commence son "inspection" : vêtements, allure, gestes, mimiques, phrasé, démarche… "On peut observer le sujet dans sa spontanéité", explique Serge Bornstein.
Il se souvient ainsi de la première impression que lui a faite Stéphane Moitoiret quand il l'a rencontre en prison : "Il n’avait pas du tout l’air d’être un malade psychiatrique, il se comportait bien, répondait aux questions." Un comportement qui a joué dans la conclusion finale de l’expert, selon lequel son discernement n’était pas "aboli" mais "altéré" au moment des faits. Un avis partagé par cinq experts psychiatres, et par les jurés, qui l’ont déclaré responsable de ces actes.
Ce premier coup d’œil est important, aussi, du côté de l’expertisé. "A la seule façon dont il était assis, j’ai compris que c’était un psy alors qu'on me l'avait présenté comme médecin, se souvient l’abbé Wiel, acquitté dans l’affaire d'Outreau (2005). Le contact a été très froid."
L’expert-psychiatre part avec un avantage. Avant de rencontrer la personne mise en cause, il a parcouru son dossier, lu le procès-verbal de la police. "Cet homme est accusé d’attouchements sexuels dans un cinéma, trois personnes ont témoigné contre lui", signale cet expert-psychiatre de la région parisienne avant de recevoir dans son bureau Jean (le prénom a été modifié), un haut fonctionnaire d’une soixantaine d’années. Ce dernier, costume sombre et froissé, est visiblement très mal à l’aise. Les traits tirés - il a passé la nuit en garde à vue -, il se montre toutefois affable. C’est la deuxième fois, en six ans, qu’il se retrouve dans cette situation.
• L’examen de la personnalité : "parfois, on ouvre un tiroir bien rempli"
C’est le moment "où on fait connaissance", précise Serge Bornstein, qui choisit parfois d’attaquer d’abord par les faits, selon son "intuition". S’il opte pour l’examen de la personnalité, commence alors une série de questions d’ordre "biographique" et "professionnel". "Quel âge avez-vous, où êtes-vous né, avez-vous des frères et sœurs, que faisaient vos parents, sont-ils encore en vie, quelles études avez-vous faites, quel est votre métier, êtes-vous marié, avez-vous enfants ? etc" Cet examen minutieux prend un certain temps. Il permet d’établir le parcours de l’individu et de repérer des éléments importants. "Parfois, j’ouvre un tiroir, il n’y a rien, d’autres fois, il est rempli de choses intéressantes", constate Arnaud Martorell, expert psychiatre auprès la cour d’appel de Paris.
Jean, fatigué, a du mal à se souvenir des dates exactes. Mais l’expert psychiatre, alerte et très attentif, insiste. Quitte à le bousculer, pour repérer une éventuelle contradiction dans ses dires. "Je suis désolé, je n’ai pas dormi de la nuit", se défend ce père de famille.
Des questions précises d’ordre physique sont aussi posées : Poids ? Taille ? Maladies à déclarer ? Fumeur ? Consommateur d’alcool ? De drogues ? Qualité du sommeil ? De l’appétit ?... Pour définir la personnalité du sujet, et son niveau intellectuel, ce dernier peut être soumis à des tests, comme celui de Beauregard (l’expert-psy commence une phrase, l’expertisé doit la terminer), ou de Rorschach (la personne doit décrire ce qu’elle voit dans des tâches d’encre). "L’expert m’avait demandé de relier vingt noms à vingt adjectifs, se souvient l’abbé Wiel. Il m’avait aussi fait passer le test de Rorschach, mais étant donné que je le connaissais, j’ai dit que voyais des fleurs, des oiseaux…", confie-t-il, soulignant que le psy s’était rendu compte qu’il se "moquait de lui".
L’expertisé est également amené à se décrire lui-même : "Etes-vous têtu, vous mettez-vous souvent en colère, rangez-vous bien vos affaires, diriez-vous que vous êtes un sentimental", demande l’expert-psychiatre à Jean.
Viennent enfin les sujets plus intimes et personnels, tels que la sexualité. "Parfois, il faut être très prudent sur ce genre de terrain", souligne Serge Bornstein. Dans le cas d’une affaire d’agression sexuelle, impossible, toutefois, de faire l’impasse sur ce sujet. "A quel âge avez-vous eu votre premier rapport sexuel ?", demande l’expert à Jean. "Etes-vous heureux sur ce plan avec votre femme ?", "L’avez-vous déjà trompée ?". L’intéressé, gêné, répond. Et saisit l’occasion de se confier, de révéler des choses, parfois, qu’il n’a jamais dites à personne. "L’expertise a un rôle thérapeutique, surtout si la personne reconnaît les faits", assure Serge Bornstein.
• Le rapport aux faits : "déni" ou pas ? 
L’attitude de l’expertisé vis-à-vis des actes qui lui sont reprochés est également un élément déterminant au regard des psychiatres. Si Jean reconnaît une partie des accusations portées contre lui, il dément avoir commis certains gestes. Un déni "sujet à caution", selon l’expert-psychiatre, qui estime que cet homme tend à minimiser ses actes. "Je n’ai jamais cherché à faire du mal à qui que ce soit", insiste-t-il, recroquevillé sur sa chaise. "Vous regrettez tout de même ce que vous avez fait ?", lui demande le médecin. "Oui", répond-il, contritEt de promettre qu’il ne retournera plus jamais dans un cinéma seul et qu’il est prêt à être pris en charge psychologiquement.
Quand les faits imputés sont plus graves, la situation est souvent plus complexe. Patrick Dils, acquitté en 2002 du meurtre de deux enfants à Montigny-lès-Metz (Moselle) en 1986, a d’abord fait des aveux aux policiers avant de se rétracter. Agé de 16 ans à l’époque, il a refusé d’en dire plus aux experts psychiatres, et s’est muré dans le silence. "J’étais réservé, introverti", reconnaît-il aujourd’hui. "Patrick Dils avait réitéré des aveux très détaillés et circonstanciés aux policiers", se rappelle Arnaud Martorell, qui l’a rencontré à la prison de Fresnes (Val-de-Marne). Quand je lui demandais pourquoi il niait les faits après avoir fait des aveux pareils, il refusait de parler, il était totalement mutique", explique-t-il, soulignant la difficulté, dans ce cas, de mettre en doute sa culpabilité.
Quant à Stéphane Moitoiret, le fait qu’il nie son crime est une preuve, selon Serge Bornstein, qu’il lui reste "une certaine lucidité". Assez pour vouloir éviter la prison ? C'est l'intime conviction de l’expert-psychiatre, qui a choisi de ne "pas arrêter la marche de la justice".
 • Les conclusions de l’expert : trancher la question du "trouble psychique"
Elles sont inscrites dans un rapport, renvoyé au procureur ou au juge, et versé au dossier. Si l’affaire n’est pas trop lourde, comme c’est le cas pour Jean, l’expert-psychiatre prend des notes et rédige ses conclusions en même temps que l’entretien. Le tout tient en cinq ou six pages. Pour les grandes affaires, trente ou quarante  pages peuvent être nécessaires.
Généralement, l’expert-psychiatre doit répondre à au moins six questions : "Le sujet présente-t-il des anomalies mentales ou psychiques", "Ces anomalies sont-elles en relation avec le passage à l’acte ?" "Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ?" "Présente-t-il un état (sous-entendu psychiatrique) dangereux ?" "Est-il curable ou réadaptable ?" "Etait-il atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique de nature à abolir, altérer ou entraver le contrôle de ses actes ?"
Dans ses conclusions, il doit trancher au moins sur cette dernière question cruciale. Appelé par le commissariat pendant l’expertise de Jean, le psychiatre s’est déjà fait une opinion : "Je peux d’ores et déjà vous dire qu’il ne relève pas de la psychiatrie", indique-t-il aux policiers.
Dans le cas de Stéphane Moitoiret, cette question a opposé dix experts-psychiatres ! Le diagnostic, qui doit être posé dans les conclusions, a également varié d'un expert à l'autre : schizophrène à tendance paranoaïque pour certains, paraphrène pour d'autres (qui alterne les moments de délire et les moments où il a un certain rapport à la réalité),"pré-psychotique" pour Serge Bornstein. Selon l’expert, cet individu a adhéré au délire d’une autre, "sa majesté divine" Noëlla Hégo, mais n’était pas totalement déconnecté du réel. 
De son côté, Patrick Dils se souvient que les experts-psychiatres avaient conclu qu’il avait "un âge mental de 8 ans" et avaient détecté "un noyau psychotique", pouvant entraîner une perte de contact avec la réalité. Une expression lui revient également, celle du "syndrome de la cocotte-minute", utilisée à l’époque pour expliquer comment une soudaine explosion de colère aurait pu conduire cet adolescent à massacrer à coups de pierres deux enfants. "C’était la seule hypothèse qui pouvait justifier un acte aussi barbare", analyse Patrick Dils. 
L’expertise psychiatrique répond donc à une méthodologie précise et homogène, même si son résultat est soumis aux différentes interprétations et sensibilités de ceux qui la pratiquent, la psychiatrie étant une science humaine. C'est d'ailleurs pour cette raison que son influence grandissante dans les procédures judiciaires est régulièrement critiqué. Et appelle, selon certains, une réforme sans plus tarder.
Catherine Fournier