SANTÉ
Glissements de tâches dans le secteur de la santé : la réalité cachée
7 DÉCEMBRE 2011
B
udgets contraints, démographie médicale en berne, les glissements de tâches concernent désormais tous les métiers de la santé. Souvent même au mépris du Code de santé qui les régit.
Une aide-soignante qui fait la tournée des anticoagulants, une infirmière qui donne un antalgique non prescrit par le médecin… à première vue rien de choquant pour le patient, qui ne s’en rendra même pas compte. Sinon que, juridiquement, et dans les deux cas, il y a exercice illégal d’une profession, dont les compétences et les limites sont clairement définies par le code de la santé.
Une situation fréquente dans les hôpitaux et dans les EHPAD (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). « Ce sont sans doute les établissements les plus concernés, estime Christophe, infirmier (FO). On voit des emplois aidés, embauchés pour des activités annexes -hôtellerie, rangement- faire fonction d’agent de service hospitalier, voire même d’aide-soignant ! Ils n’ont ni les compétences ni la possibilité de refuser. Et il arrive que l’un d’entre eux se retrouve seul la nuit sur un EHPAD, avec un téléphone pour appeler le SAMU en cas de problème… »
Si pour ces métiers les contraintes financières des établissements peuvent largement expliquer la situation, pour les personnels infirmiers, c’est souvent le manque de médecins dans certaines spécialités qui les fait sortir de leurs compétences. Pour, par exemple, poser un cathéter central, qui est un acte médical.
Certes, ces glissements de tâches ont toujours plus ou moins existé, mais ils étaient davantage formalisés. D’une certaine façon, ils facilitaient la promotion au sein des établissements. Au bout de quelques années, un agent hospitalier pouvait intégrer une formation d’aide-soignant, et une aide-soignante intégrer une formation d’infirmière. Un dispositif aujourd’hui en panne pour deux raisons. D’une part, parce que les budgets de formation ont subi une cure d’amaigrissement en raison des contraintes budgétaires. D’autre part, parce que les effectifs sont tellement tendus dans les hôpitaux, que le détachement d’un agent risque de perturber gravement le fonctionnement de son service. « Une situation flagrante depuis l’instauration de la tarification à l’acte à 100 % dans les hôpitaux », selon les syndicats.
Toutes les professions de santé sont donc concernées par des glissements de tâches insidieux. À l’hôpital, comme dans tous les secteurs économiques, la polyvalence, devenue la règle commune, a été facilitée par l’instauration systématique de protocoles censés faire face à chaque situation. Une infirmière de dermatologie envoyée en médecine infectieuse ou en oncologie ira car elle n’a pas le choix.
« Le problème, c’est qu’elle n’y sera pas à l’aise et qu’elle ne sera pas performante. Dans ce cas-là, on va davantage vers un “glissement de terrain”, avec les risques que cela comporte, que vers un glissement de tâche », ironise Jean-Christophe Razet, secrétaire départemental FO Santé, opposé à ces transferts.
Même problème pour les kinésithérapeutes et les ergothérapeutes, si précieux dans les EHPAD, où l’enjeu est le maintien de l’autonomie de la personne âgée. Les glissements de langages étant les alliés des glissements de tâches, au lieu de séances de kiné, on parle “d’aide à la marche” et de “réactivation des gestes du quotidien”, et le tour est joué. De ce fait, n’importe qui -avec la meilleure volonté du monde mais sans les compétences- va se charger de ce qui relève d’un vrai métier.
Dominique PIERSON