Responsabilité infirmière : avoir conscience de sa pratique professionnelle
Isabelle Burbaud, avocate
Question de droit
26.04.11
La question de la responsabilité des infirmiers commence à s'imposer dans le paysage judiciaire. Pour éviter toute implication, la profession doit avoir conscience de cette responsabilité et prendre conscience des règles fixant l'exercice infirmier. Ce qu'explique Isabelle Burbaud.
Hospimedia : "Vous avez participé le mois dernier à deux réunions organisées par le Conseil départemental de l'ordre des infirmiers (CDOI) de Charente-Maritime sur la responsabilité infirmière. Qu'englobe cette notion de responsabilité pour la profession infirmière ?
Isabelle Burbaud : La notion de responsabilité contient trois types de responsabilité différentes : la responsabilité pénale, la responsabilité civile ou administrative et la responsabilité disciplinaire. Ces trois responsabilités peuvent se cumuler ou exister indépendamment. La responsabilité pénale concerne le professionnel, l'infirmier personnellement et sa conséquence directe est d'obtenir une sanction pénale. Cependant, selon le principe de la légalité, il faut que l'acte ou que l'omission corresponde à une infraction punie par la loi, en vertu du code Pénal. L'infirmier risque alors une sanction pénale, une mention sur le casier judiciaire ou une peine d'emprisonnement, avec ou sans sursis, ou encore une interdiction d'exercer sa profession. Ensuite, il existe la responsabilité civile, pour les infirmiers exerçant dans le secteur privé, ou administrative, pour ceux exerçant dans le secteur public, qui a pour but d'accorder une indemnisation à la victime ou aux ayants droit dans le cas d'un décès. En règle générale, la responsabilité de l'indemnisation revient à l'employeur. Par exemple, dans le cas d'une erreur de médicament ayant entraîné un décès, le Parquet ouvrira une instruction. Généralement, l'indemnisation sera imputée à l'employeur même s'il s'agit d'un homicide involontaire car c'était dans l'exercice normal des fonctions de l'infirmier. On considère alors qu'il y a un défaut d'organisation ou de fonctionnement du service. La responsabilité revient alors à l'employeur, sauf avec la faute détachable, pour le secteur public, et la faute intentionnelle, pour le secteur privé qui s'applique quand un infirmier a commis une faute qui ne relève pas de l'exercice de sa profession, comme une agression sexuelle. Dans ce cas précis, ce n'est pas à l'employeur d'y répondre car les faits sont détachables du service. Par conséquent, l'établissement ne prendra pas en charge l'indemnisation mais celle-ci reviendra à l'agent.
H. : Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet ? S'agit-il d'un sujet récurrent ou qui pose problème à la profession ?
I.B. : Il s'agit en effet d'un sujet important car la responsabilité pénale ne peut pas être occultée. L'erreur humaine existe. À titre d'exemple, dans le cas d'une erreur dans le dosage d'un médicament ayant entraîné le décès d'un patient, l'ouverture de l'instruction par le procureur peut conduire à la mise en cause de la responsabilité pénale de l'infirmier et ce, en dépit d'une absence de plainte par la famille car il s'agit d'un homicide involontaire.
La responsabilité pénale infirmière existe et la profession a tendance à l'oublier, la mettre de côté, pour ne retenir généralement que la responsabilité civile ou administrative. Pourtant, il existe des cas dans la jurisprudence qui, même s'ils ne sont pas nombreux, restent fréquents. Souvent, ces cas concernent la mise en danger d'autrui, un défaut de sécurité, des blessures involontaires... Par ailleurs, cette question de la responsabilité infirmière est un sujet qui est de plus en plus souvent mis en avant. D'une part, on peut considérer que les personnes n'hésitent plus à porter plainte et à demander une indemnisation. La poursuite judiciaire s'instaure de plus en plus dans les mœurs et s'accentue. D'autre part, on peut considérer que la situation actuelle de la profession infirmière (surmenage, charge de travail, organisation des tâches...) peut avoir des répercussions sur la qualité du travail. À l'avenir, la délégation de tâches pourrait conduire à des contentieux si cette pratique est mal encadrée.
H. : Au quotidien, qu'est-ce que cela implique pour la pratique de la profession infirmière ? Quels sont les moyens pour la profession de se prémunir ? Existe-t-il des outils ?
I.B.: Il s'agit d'une problématique primordiale donc la prise de conscience de la part de la profession est extrêmement importante. Au quotidien, cela implique une prise de conscience du respect des règles d'exercice de la profession, prévues dans le code de la Santé publique et dans le code déontologique de l'Ordre infirmier, bientôt soumis à l'approbation. Cela implique aussi le respect des protocoles de soins, des règles de continuité des soins ou encore de l'information du patient. Il faut au maximum respecter toutes ces règles. De plus, il faut noter que les nouvelles pratiques induites, par exemple, par les nouvelles technologies, amènent de nouvelles responsabilités. La protection des données, la confidentialité des informations, l'utilisation de ces nouvelles technologies sont autant de paramètres supplémentaires à prendre en considération. Et ces sujets pourront être à l'origine éventuellement d'une responsabilité accrue pour les infirmiers.
Par ailleurs, avec la responsabilité professionnelle, même si l'employeur est responsable de l'indemnisation, une procédure disciplinaire sera également engagée à l'encontre de l'infirmier concerné. Cette procédure disciplinaire peut aller jusqu'à la démission, voire l'interdiction d'exercer. Un point qu'il ne faut pas non plus négliger. À noter également que les responsabilités peuvent se cumuler. Pour ce qui est des moyens, le code de déontologie infirmier peut s'imposer comme un outil à destination des infirmiers pour les aider dans leur exercice professionnel car le code devrait reprendre les règles d'exercice de la profession. Un élément important pour apprécier les règles de la profession et qui permet la prise de conscience."
Propos recueillis par Géraldine Tribault
- Isabelle Burbaud
Docteur en droit, Isabelle Burbaud a comme activité dominante le droit de la santé. Elle est avocate au barreau de la Rochelle et intervient régulièrement devant toutes les juridictions et les Commissions régionales d'indemnisation et de conciliation (CRIC). G.T.