Autisme: des psychanalystes attaquent en justice une documentariste
Par Estelle Saget, publié le 18/11/2011
Une bataille judiciaire s'engage autour du film Le mur, ou la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme qui conclut à l'échec de la psychanalyse chez les enfants autistes.
La bataille judiciaire autour du documentaire Le mur, ou la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme est engagée. Une première audience s'est tenue le 15 novembre devant le tribunal de grande instance de Lille. Trois des psychanalystes interviewés dans ce film, disponible sur Internet depuis deux mois, demandent que celui-ci soit interdit d'exploitation. Ils réclament à la documentariste et productrice indépendante, Sophie Robert, la somme de 290 000 euros, pour l'essentiel des dommages et intérêts.
Ce documentaire de 52 minutes est présenté, sur le site de l'association Autistes sans frontières, comme une "véritable démonstration par l'absurde de l'inefficacité de l'approche psychanalytique de l'autisme." Les plaignants, Eric Laurent, Esthela Solano et Alexandre Stevens, membres de l'Ecole de la cause freudienne fondée par Jacques Lacan, estiment avoir été "piégés". Le projet, qui leur a été présenté sous le titre Voyage dans l'inconscient, s'est révélé, selon eux, une "entreprise polémique destinée à ridiculiser la psychanalyse". Dans leur requête, ils écrivent: "On a dénaturé la pensée et les propos des intervenants en les réduisant ou en déformant leur sens par des commentaires."
"Les propos ne sont pas sortis de leur contexte"
Cette affaire survient alors que la plupart des associations représentant les autistes et leurs familles dénoncent l'approche psychanalytique du traitement de la maladie en France. Elles réclament en vain, depuis des années, l'accès à des thérapies dites "éducatives" largement développées à l'étranger. Citée par Rue 89, la déléguée générale d'Autistes sans frontières, Delphine Piloquet souligne la rudesse de leur combat: "On a l'impression qu'on attaque une religion d'Etat, c'est une fatwa qui s'abat sur ce film." Un site parodique de la pensée des Lacaniens reprend d'ailleurs, avec humour, l'essentiel de la polémique sous un titre explicite, Sang sur le Mur!
Les juges doivent rendre, le 29 novembre, une première décision concernant la demande de saisie des rushes, c'est-à-dire les séquences brutes du tournage. Interrogé par L'Express, l'avocat des plaignants, Me Christian Charrière-Bournazel, justifie cette demande en expliquant que "ses clients veulent pouvoir visionner les rushes afin de voir le montage qui en a été fait." De fait, l'affaire a commencé quand la documentariste, Sophie Robert, a découvert un post-it collé sur sa boîte aux lettres, dans l'immeuble du vieux Lille qu'elle habite - sa société, Océan invisible production, y est également domiciliée. Le papier indiquait qu'elle devait rappeler un huissier dont le numéro était mentionné.
L'huissier, qu'elle a reçu le 25 octobre, l'a informée de la procédure en cours et lui a demandé les rushes. Sophie Robert a refusé, considérant que cette demande était "attentatoire au secret des sources des journalistes." Hormis les 3 plaignants, 24 autres personnes ont en effet été interviewées pour ce documentaire. Par la suite, elle a communiqué à l'huissier les transcriptions écrites des séquences dont sont tirés les propos des trois plaignants. "Je n'ai rien à cacher, affirme-t-elle. Les propos tenus par les intéressés ne sont pas sortis de leur contexte, ils sont d'ailleurs conformes aux thèses psychanalytiques connues et mises en oeuvre de longue date."
Les psychanalistes dans l'impasse face à l'autisme
Le fond de l'affaire, avec la question de l'interdiction d'exploitation, sera abordé lors d'une seconde audience, fixée au 8 décembre. L'avocat de la documentariste, Me Benoît Titran, alerte sur l'importance des débats. "On n'est pas dans la diffamation mais dans la question du droit à l'image, analyse-t-il. Les plaignants ont livré de l'information en connaissance de cause. Ils se sont rendu compte après-coup de la portée de leurs propos, ne les assument plus et voudraient pouvoir revenir sur les autorisations qu'ils ont données. Si le tribunal accédait à leur demande, ce serait la base même du travail journalistique qui serait sapée."
Au-delà du sort de ce documentaire, c'est la question du traitement des enfants autistes qui est posée, une nouvelle fois, dans ce procès. Leur pathologie est aujourd'hui considérée par la majorité de la communauté scientifique comme un trouble neurologique, sans doute d'origine génétique. Des associations de parents se battent pour que des programmes destinées à pallier ce handicap, comme ABA ou Pecs, soient développés en France. Mais pour les psychanalystes, l'autisme s'explique toujours par une mauvaise relation avec la mère, qui serait soit trop fusionnelle, soit trop distante.
Dès lors, que peuvent attendre les autistes de la psychanalyse? Les thérapeutes renommés interrogés dans le film donnent, avec une sincérité confondante, le sentiment d'être dans l'impasse. "Le plaisir de s'intéresser à une bulle de savon, répond l'un d'eux après un long silence. Je ne peux pas vous répondre autre chose." Un autre explique: "Avec un enfant autiste, j'en fais très peu. Très peu, ça veut dire quoi? Que je pose mes fesses, que je me mets à côté de lui et j'attends qu'il se passe quelque chose." Un troisième: "J'essaie d'apprivoiser l'enfant, je me tiens en retrait." Aucun ne cite la méthode du packing, pourtant basée sur des fondements psychanalytiques, mais sans doute trop décriée pour être mentionnée. Celle-ci consiste à envelopper l'enfant dans des couvertures froides et humides avec l'objectif de l'apaiser, un traitement considéré comme "barbare" par plusieurs associations.
En demandant l'interdiction du documentaire litigieux, les trois psychanalystes ont pris un risque. Celui d'attirer l'attention générale sur un film dont l'audience est restée confinée, jusqu'ici, aux militants de la cause des enfants autistes.
Bras de fer juridique autour d'un film sur psychanalyse et autisme
mercredi 16.11.2011, 05:25 - La Voix du Nord
| CONTROVERSE |
La démarche est trop rare pour passer inaperçue. ...
D'un côté, Sophie Robert, une Lilloise se décrivant elle-même comme une « anthropologue de la psychanalyse ». De l'autre, des psychanalystes réputés, reconnus par leurs pairs, y compris sur le plan international. Au centre, un documentaire consacré au traitement de l'autisme par la psychanalyse.
Sur la jaquette du DVD, on peut lire : « Sophie Robert a réalisé une longue enquête auprès d'une trentaine de pédopsychiatres-psychanalystes, dont quelques-uns parmi les plus grands spécialistes français de l'autisme, afin de démontrer par l'absurde - de la bouche même des psychanalystes - de l'inefficacité de la prise en charge psychanalytique de l'autisme. » « En France, les psychanalystes ont quarante ans de retard sur le traitement de l'autisme, précise la documentariste dont c'est le premier film.
Ils s'opposent à des méthodes éducatives et comportementales. » Insistant : « Je les ai filmés en train d'exprimer leur opinion. C'est choquant. Ça nuit à leur image. » S'estimant piégés, trois des experts interviewés réclament l'interdiction du film. Un juge lillois leur a déjà accordé l'autorisation de disposer des rushes. Contre-attaque, hier, de Sophie Robert et de Benoît Titran, son avocat. En référé, ils réclament l'annulation de cette décision « non contradictoire ». But, entre autres, « la protection des sources, argumente Me Titran. Certaines des personnes interrogées pour ce qui sera une série de documents ont réclamé l'anonymat. Elles ne veulent pas être reconnues. »
« Travail de sabotage »
« Il n'a jamais été question de récupérer toutes les images, rétorque Me Charrière-Bournazel, l'avocat des psychanalystes. L'une a été interrogée pendant trois heures, un autre durant deux heures et le troisième, une heure. Leurs propos ont été rendus incompréhensibles. Des questions ont été plaquées après coup sur les déclarations de mes clients. » Il veut donc comparer ces six heures de matériel brut avec le documentaire de 52 minutes déjà diffusé la semaine dernière au cinéma l'Univers de Lille. La question du secret des sources ne tient donc pas pour ce que l'avocat qualifie de « travail de sabotage destiné à une oeuvre polémique ». « On a le droit de penser que la psychanalyse est une absurdité, assène-t-il. Là, on veut juste tourner mes clients en ridicule. » Décision le 29 novembre. Une autre action a été lancée pour faire interdire le film. •
LAKHDAR BELAÏD
Polémique: trois psychanalystes contre un documentaire sur l'autisme
Ces tenants de l’école freudienne dénoncent un “sabotage” destiné à “ridiculiser” la psychanalyse.
Une documentariste lilloise vient d’être assignée par trois psychanalystes. En cause, le film “Le Mur”, qui traite de l’autisme. Ce documentaire est déjà diffusé sur Internet et projeté dans quelques salles de cinéma. “Sophie Robert est assignée en interdiction de diffusion du film. L’affaire sera jugée sur le fond par le tribunal de grande instance de Lille le 8 décembre”, a indiqué Maître Benoît Titran.
Les trois psychanalystes – Esthela Solano-Suarez, Eric Laurent et Alexandre Stevens – appartiennent à l’École freudienne. Ils estiment, selon leurs défenseurs, que le documentaire soutenu par l’association Autistes sans frontières constitue un “sabotage” qui a pour objectif de “ridiculiser” la psychanalyse.
Dans ce documentaire, des psychanalystes expliquent que l’autisme pourrait être la conséquence d’une dépression maternelle, d’une mauvaise relation avec l’enfant, voire d’un refus de l’apport masculin pour la conception. Certains parlent de mère “psychogène”, de “stade de folie transitoire” de la mère, voire de “désir incestueux”. Cette vision est présentée par le film en opposition à des méthodes éducatives et comportementales, appliquées par certaines familles.
“Le tribunal devra trancher la question de savoir si Sophie Robert est sortie des autorisations de tournage” signées par les trois psychanalystes préalablement à leur interview, comme ils l’affirment, a expliqué Me Titran. Ces autorisations, consultées par l’AFP, décrivent la réalisation d’un documentaire en trois volets sur la psychanalyse, dont l’un serait consacré à l’approche psychanalytique de l’autisme.
Par ailleurs, les trois psychanalystes demandent à être considérés comme auteurs et doivent donc pouvoir empêcher la diffusion de leurs propos, ce que conteste également Me Titran.
Le tribunal des référés de Lille statuera d’abord le 29 novembre sur la demande de saisie de l’intégralité des rushes de Mme Robert pour sa série de documentaires, celle-ci ayant jusqu’ici uniquement transmis la copie des entretiens incriminés.
TéléObs avec AFP