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mercredi 30 novembre 2011


CHEZ FRANCIS

Francis est SDF depuis quinze ans. A 60 ans passés, il attend de toucher sa petite retraite et rêve d'une autre vie sous le soleil de l'Equateur. Mais d'ici là, « il faut tenir ». Chronique d'une saison à la rue pour Francis, Anouar, Philippe, Jeff et tous les autres.



Ils sont SDF, psychotiques et « piqués » : qui ça arrange ?

Publié le 25/11/2011 à 06h09
Le regard embrumé, une sexagénaire erre autour de la Halte Femmes, dans le XIIe arrondissement de Paris. « Elle est sous traitement retard », commente Solange, animatrice dans cet accueil de jour depuis quatre ans.
« Elle a eu son injection hier. »
« La plupart des gens qui vivent dehors savent ce qu'est l'injection retard », affirme Jeff, 31 ans, à la rue depuis sa majorité.
Le traitement à effet retard, dit « injection retard », est prescrit par les psychiatres contre les psychoses – notamment la schizophrénie, les troubles bipolaires et les états limites. Seuls sont concernés les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU).
Cette injection antipsychotique évite d'avoir à prendre des médicaments tous les jours. La piqûre libère lentement le principe actif dans l'organisme du malade, appelé à revenir toutes les deux à quatre semaines pour renouveler sa piqûre. Jeff :
« Pendant, les deux-trois premiers jours, c'est sûr qu'on est “out”. »
JEFF, 31 ANS, SDF, SUR L'INJECTION RETARD

Un sans-abri francilien sur trois souffre de troubles psychiatriques

VOIR LE DOCUMENT
L'enquête Samenta de 2009 a confirmé la mauvaise santé mentale des SDF d'Ile-de-France et la surreprésentation des troubles psychiatriques sévères dans la rue. Un tiers des sans-abri franciliens souffrent de troubles psychotiques (13% de la population sondée, avec 8,4% de schizophrénie), de troubles de l'humeur et troubles dépressifs sévères (6,5%) et enfin, de troubles anxieux (12,2%).
Dans les centres médico-psychologiques (CMP) et accueils de jour spécialisés, on encourage souvent l'injection retard pour les sans-abri délirants.

Assimilée à un soin vétérinaire

« J'ai des exemples de gens qui vont à leur piqûre retard, qui baissent la chemise et ils s'en vont le plus vite possible », constate Bruno, à l'Unafam, organisme d'aide aux familles et amis de malades psychiques.
Parfois assimilée à un soin vétérinaire, l'injection retard a mauvaise réputation.

Une femme, dans un accueil de jour (Aurélie Champagne/Olivier Volpi)
Les malades qui sont passés par là ont souvent honte d'en parler. Les témoignages sont décousus, varient d'une semaine sur l'autre.
Pour Sylvie et Christiane, infirmières psychiatriques au service santé mentale et exclusion sociale (Smes) de Sainte-Anne (Paris XIVe), l'injection retard « est un outil ».
« C'est comme un marteau : tu peux t'en servir pour accrocher un tableau ou mettre un coup sur la tête. »
Entendons-nous, il ne s'agit pas de remettre en cause ici les bénéfices de l'injection retard. Pour Sylvie, « quand tu as un psychotique qui a des crises d'angoisse massives, heureusement qu'il a un traitement ». Mais l'injection n'est pas sans danger pour celui qui vit à la rue, pour l'entourage et les soignants.

« Le médecin est tranquille »

On ne guérit pas de la schizophrénie, « on soigne les effets et pas la cause », déplore Bruno, de l'Unafam. La plupart du temps, les grands schizophrènes qui vivent à la rue ne demandent rien, voire refusent les traitements :
« Ce sont des personnes qui sont souvent dans le déni de cette pathologie. »

« Quand une personne n'est plus sous traitement » (Aurélie Champagne/Olivier Volpi)
L'injection retard a l'avantage de régler certains problèmes pratiques liés aux conditions de vie à la rue : elle évite d'aller à la pharmacie, d'avoir à gérer des ordonnances et tout un tas de paperasse. Elle évite aussi les vols de médicaments.
La piqûre étouffe les symptômes délirants, calme les malades agités, agressifs et prévient des éventuels passages à l'acte. Sylvie constate que l'injection est « le traitement royal du suivi en ambulatoire ».
« Ça rassure tout le monde à commencer par le soignant : si c'est sur quinze jours, le médecin est tranquille. Je ne sais pas si ça rassure le patient. »
SYLVIE ET CHRISTIANE, INFIRMIÈRES PSY À SAINT-ANNE, PARIS
Il y a quelques temps, le fils de Bruno a fugué à la rue.
« Son séjour à la rue, il ne m'en a jamais parlé tant la souffrance a dû être immense. Il a dû être ramassé par Médecins du monde à Marseille. Il était en lambeaux. Il s'était fait écraser les pieds dans un parking par une voiture. »

« Une personne qu'on pique… »

Bruno a accompagné plusieurs fois son fils pour son injection.
« Le jour de la piqûre, on retombe de façon peut-être plus difficile que quand on prend son traitement au quotidien. C'est quand même douloureux au niveau de l'image. Une personne qu'on pique… »
Parfois traumatisante pour le patient, la piqûre accentue une mauvaise image chez des personnes dont l'estime d'elles-mêmes est souvent dégradée. L'injection prive également la personne du contrôle de son état et de la régulation des médicaments.

Troubles de l'érection, prise de poids...

D'après l'enquête Samenta, 26,8% des malades en rupture de traitement mentionnent une inefficacité du traitement, 20% évoquent une forte contrainte, 18% des effets secondaires.
« En général, les mecs arrêtent vite parce qu'ils ne bandent plus. Ça, c'est un grand problème pour les messieurs qui sont à la rue », lâche Christiane. Sylvie précise :
« Il n'y a pas les mêmes effets secondaires en fonction des médicaments. La prise de poids est énorme avec les antipsychotiques : 50% des patients prennent de 10 à 30 kg. »

« A la rue, être “out”, ça peut être dangereux »

Les jours suivant l'injection, le malade est « tassé » pendant deux ou trois jours. « Et à la rue, être “out”, ça peut être dangereux », commente Jeff. L'injection rend vulnérable et les malades peuvent être la cible de violence ou de vol.
« Il faut vraiment que le type ait des amis qui s'occupent de lui. Si au moins l'hôpital donnait deux ou trois nuits d'hôtel pour ces jours-là, ce serait bien. C'est pas ce qui se fait. »

« Tassée » (Aurélie Champagne/Olivier Volpi)
Bruno résume le dilemme auquel il doit faire face :
« Est-ce qu'il faut choisir d'être un peu ramolli pendant deux ou trois jours ? Tassé, recroquevillé. Ou est-ce qu'il faut choisir des angoisses sans fond ? Des angoisses gigantesques, qu'on ne peut pas imaginer d'ailleurs. Parfois, j'ai eu dix, quinze appels par jours de mon propre fils tellement il était angoissé parce qu'il était pas sous traitement. Ou parce qu'il avait oublié. »
BRUNO, DE L'UNAFAM, SUR LE DANGER DE LA PSYCHOSE À AL RUE
Le père a tranché :
« Moi, je pense que le soin est indispensable. C'est d'ailleurs le drame des SDF actuels. »

« Piqué », comme « à voté ! »

Mais l'injection ne fait pas tout. Elle calme les délires mais la validité du traitement dépend d'un suivi psy régulier et de l'adhésion du malade. Sylvie :
« C'est une toute petite part de liberté qu'il leur reste encore et la possibilité de s'affirmer en tant que sujet et pas seulement en tant que malade à traiter ou à hospitaliser. Le soin ne peut pas être synonyme de contrainte, sinon ça ne s'appelle pas du soin. »
Les conditions de vie à la rue et l'évolution de la psychiatrie permettent de moins en moins de garantir le suivi nécessaire à donner du sens aux médicaments.
Un infirmier témoigne des injections retard qu'il effectue à la chaîne :
« Il me semble que l'on ne soigne que des personnes qui cheminent autour de leur maladie. Ces rencontres obligées par l'injection retard ont souvent quelque chose d'un rituel “désaffectivé”. “ A voté ! ” On pourrait aussi bien écrire “ piqué ”. D'ailleurs c'est ce que l'on fait : “ Clopixen I.M. : Fait. ” »

La peur du personnel soignant

Depuis la fin des années 90, la réforme du diplôme d'infirmier psychiatrique amène sur le terrain des soignants moins bien formés.
« Maintenant, les étudiants arrivent en psy et ils ont peur. A l'observatoire de la violence sur Saint-Anne, la majorité des infirmiers se sentent en insécurité sur leur lieu de travail », constate Sylvie.
La peur, le développement du soin sous contrainte et la promotion du principe de précaution renforcent une vision sécuritaire de la maladie mentale à la rue.
« C'est l'équation “folie = danger”. Or, pour rencontrer des gens, il ne faut pas avoir peur. Ni des symptômes, ni de la folie. »

« Certains délires aident à survivre à la rue »

Pour Sylvie et Christiane, il existe une forme de délire protecteur qui aide à survivre la rue. L'intérêt du malade n'est pas toujours d'annihiler le délire.
« Quitte à les laisser à la rue – puisque dans les faits, c'est ce qui se passe –, on peut se dire que quand le délire n'est pas mortifère ou traversé d'angoisse terrorisantes, certains délires sûrement aident à survivre ».
SYLVIE ET CHRISTIANE, SUR « LES RAISONS D'ALLER BIEN »

« A la rue, certains délires aident à vivre » (Aurélie Champagne/Olivier Volpi)

« Une fois qu'ils ont fait la piqûre, c'est “ bye bye” »

« Plus on psychiatrise la précarité et moins on remet en cause la société », concluait Sylvie, il y a quelques mois.
Faute de suivi digne de ce nom, l'injection retard n'est plus qu'un moyen comme un autre de garantir la paix sociale en étouffant la souffrance psy à la rue.
« L'injection, je veux bien, mais dans l'intérêt de qui ? » demande Jeff.
« Une fois qu'ils ont fait la piqûre, c'est “ bye bye, rendez-vous dans un mois ” […]. Ce sera pas dans une semaine pour savoir si vous allez mieux. Ce sera le mois prochain. C'est comme si on était inexistant. Ils nous calment… ou plutôt, ils nous cament. »
JEFF : « COMME ÇA, ON EST TRANQUILLE »

Jeff en terrasse (Aurélie Champagne/Olivier Volpi)
La République des Pyrénées.fr



Psychiatrie : quelle vie après une hospitalisation ? Un Palois témoigne

Par Marie-Pierre Courtois
Publié le 28 novembre 2011




La réinsertion dans la société après avoir été hospitalisé en psychiatrie est pour certains un parcours semé d'embûches. Exemple d'un jeune Palois qui a passé plus d'un an au CHP.
«J'ai souvent pensé au suicide, mais les médecins et les infirmiers m'ont aidé à revenir dans le réel. » Admis à 17 ans au Centre hospitalier des Pyrénées (CHP), Nicolas (1) en a aujourd'hui 22 et vit en appartement associatif.
Avant, il voulait travailler dans le social. « Je trouve la société injuste d'accepter que certains dorment et vivent à la rue quand d'autres ont tout. » Sur ce constat, Nicolas bascule et fugue. « C'était injuste d'être dans une maison et je voulais me battre pour survivre. Des voix m'ont dit de partir, je l'ai fait. »
Ramené chez lui par la police, il entre peu après au CHP à la demande d'un membre de sa famille. Diagnostiqué schizophrène, il y reste plus d'un an. « Au CHP, on est écarté de la société et un peu perdu de devoir vivre en collectivité avec les autres patients. Mais les infirmiers te parlent comme à une vraie personne et proposent des activités, et tu te sens retrouver une vie humaine, avec l'envie d'avoir une place, de recréer une famille. » Stabilisé, Nicolas adhère aux soins qui lui sont proposés.
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Publié le 24 novembre 2011

Santé mentale en Afrique: briser les chaînes de la maladie


Au loin, un terrain immense piqué de magnifiques manguiers se profilait derrière le centre de prières togolais. De près, le Québécois Sylvain Ratel a réalisé avec effroi que chaque tronc tenait lieu de prison. À perte de vue, des hommes, des femmes et même une toute petite fille s'y trouvaient enchaînés, exposés au vent, aux insectes et aux périls de la nuit africaine.
Ils étaient amaigris, et souffraient tous de maladie mentale. En entendant parler français, l'un d'eux a soudain entonné un vieux succès de Joe Dassin: «Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit, il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Élysées...»
«Ç'a été le pire moment du voyage. Voir tous ces gens abandonnés. Savoir qu'ils risquaient de rester attachés pendant des années et des années, car l'enchaînement les rend encore plus malades», relate M. Ratel, qui est chef de service à l'hôpital psychiatrique Louis-H. Lafontaine. Indigné, l'éducateur spécialisé a convaincu son employeur de publier Créer des liens pour briser des chaînes, le récit et les images de ce voyage entrepris en 2009, avec un collègue psychologue, Luc Legris.
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Le crime et le divan


Dans « L'Interprétation des meurtres » (Panama), Jed Rubenfeld décrivait la rencontre entre Freud et un jeune psychiatre, Stratham Younger, chargé de favoriser la diffusion de la psychanalyse aux États-Unis. Frank Tallis, docteur en psychologie, consacre également une série au philosophe viennois chez 10/18, et l'on sait la complicité méthodique qui lie l'enquête à l'analyse, le rôle des symptômes que l'on peut comparer à celui des indices, le fait qu'une scène de crime au premier chapitre n'est jamais que l'épilogue d'une histoire à reconstruire.

Ce qui retient à nouveau l'attention du lecteur dans « L'Origine du silence », c'est ce mélange astucieux entre roman-feuilleton, dissertation parfois érudite sur la psychanalyse et reconstitution historique.

Le fracas des armes

Le premier épisode se situait en 1909, sur le chantier d'un siècle prometteur. C'est le fracas des armes qui va anéantir les rêves. En 1920, les protagonistes affrontent les conséquences de la Première Guerre mondiale. Ils soignent un enfant mutique, enquêtent sur des attentats à Wall Street, combattent l'affairisme corrupteur et un trafic de radium dont Marie Curie fait les frais.

Dans l'Europe en ruines, et plus précisément dans cette ville de Vienne où l'on mange les chiens en attendant de chasser les Juifs, Freud évoque pour la première fois un élément de sa théorie permettant d'interpréter le silence de l'enfant.

Et comme dans tout bon polar, ce sont les mots de la fin qui éclairent la scène du crime.
LIONEL GERMAIN

« L'Origine du silence », de Jed Rubenfeld, éd. Fleuve noir, 570 p., 20,90 €.