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mercredi 21 juillet 2010

Seuls Au « Monde »
Par Gérard Huber Et Alain De Mijolla

2 juillet 2010 

Lire le journal, ce n’est plus seulement apprendre les nouvelles, ni même savoir ce que des professionnels de l’information en disent, mais découvrir comment il convient de se positionner vis-à-vis de cet « on-dit ». Que cet « on » ne soit pas neutre, qu’il ne soit pas réductible au « il y a », c’est également d’évidence, car, derrière lui, « il y a » des hommes et des femmes, des journalistes, qui engagent leur responsabilité d’auteur.

Or, se pourrait-il qu’il y ait des « news » et des « on-dit » à propos de la psychanalyse, et, plus particulièrement, de la pensée de Freud et de son héritage ? Assurément. Mais, nous nous risquons à le dire ; Le Monde, puisque c’est, ici, de ce journal qu’il s’agit, ne joue pas pleinement son rôle. Non seulement parce que les responsables du « Monde des Livres » et des « Débats » sélectionnent auteurs et ouvrages, ce qui, au demeurant, est inévitable, étant donné la place dont ils disposent, mais parce qu’ils le font au nom d’une conception obsolète de l’information qui prétend, par cette distanciation, « brechtienne » qui emprisonne le signifiant sous la table des signifiés, savoir de quoi il convient de parler, au prétexte que ce serait « d’actualité ».

Certes, Le Monde n’est pas une revue de recherche, mais, de même qu’il n’y a pas de curiosité, dans quelque domaine que ce soit, sans renoncement à un finalisme qui prétend être le bon discours de la causalité, de même il ne saurait y avoir de vie des idées sans renoncement à sa prédétermination, à son « promptage ».

Le fait que, récemment, les lecteurs du Monde (et d’autres journaux d’ailleurs) en soient venus à penser que l’actualité de la pensée freudienne était cadrée par les orageux échanges qui se sont développés entre Michel Onfray et Élisabeth Roudinesco en est un exemple patent. C’est ainsi que Le Monde, mais on pourrait en dire autant du Point ou du Nouvel Observateur, n’a pas accordé la moindre ligne à la recension des travaux du fondateur de la Société Internationale d’histoire de la psychanalyse en France, Alain de Mijolla, ni à celle des travaux du biographe français de Freud, Gérard Huber. Et, si nous prenons cette initiative de dire ce mot, nous pouvons, cependant, l’affirmer : nous ne sommes pas seuls au Monde à le dire.

Nous ne sommes pas des militants de la psychanalyse ni des épigones de Freud. En effet, nous ne cherchons pas à convaincre, encore moins à formater, car nous ne sommes pas mus par l’utopie du pédagogisme. Si nous croyons en une potentialité de fait, ce qui explique pourquoi nous sommes psychanalystes, d’ailleurs, nous ne prétendons nullement qu’il existe une égalité de fait immédiate devant la compréhension des choses de l’âme. Mais justement, de même que nous faisons confiance à nos patients, sans leur promettre quelque compréhension de soi qui se ferait par magie, de même nous pensons qu’un journal doit faire confiance à ses lecteurs et leur faciliter l’accès, pour ne pas dire leur ouvrir le chemin, de ce qui se joue, hic et nunc, en matière d’actualité du psychisme et de la pensée de Freud. Ouvrir le chemin, cela veut dire ne pas fermer la porte aux diverses opinions qui « dévieraient » d’un conformisme rédactionnel, quel qu’il soit.

Nous sommes respectueux des philosophies et psychothérapies qui, par d’autres cheminements que ceux de Freud, ont tenté d’atteindre le même objectif que lui, mais nous savons qu’il y a un avant et un après Freud, et qu’en matière de cet après, il est de la responsabilité de tous ceux qui font circuler les idées d’ouvrir leurs cadres traditionnels de référence, c’est-à-dire de s’enquérir auprès de tous de ce qui les déborde.

Gérard Huber est psychanalyste et biographe de Freud.
Alain de Mijolla est psychanalyste et historien de la psychanalyse.


(Cet article a été adressé au Monde le 23 juin 2010. Nous sommes, à présent, en attente d’une réponse de la Médiatrice du Courrier des Lecteurs).

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