Futur médecin, "bac +10, 80 heures par semaine, 2 000 euros"
Le Monde.fr |
Par Charlotte Chabas
La plupart des patients l'ignorent, mais lorsqu'ils se rendent à l'hôpital, c'est le plus souvent un interne qui les prend en charge. Ils appellent"docteur", comme s'il l'était déjà, celui qui les examine, les rassure, appelle leur médecin traitant, parle avec leur famille, leur prescrit soins et médicaments, leur rend visite le temps de leur hospitalisation. L'interne "fait tourner l'hôpital au quotidien", résument à l'unisson nombre d'entre eux.
Malgré leur blouse blanche et leur stéthoscope glissé autour du cou, les 21 000 internes en médecine sont pourtant toujours officiellement en formation. Cela les place en première ligne d'un front auquel ils ne sont pas encore préparés. Dans un système de santé qui se meurt du manque de personnel, ils ont souvent le sentiment "qu'entre nos deux statuts, l'hôpital pioche ce qui l'arrange". Médecin à part entière lorsqu'il s'agit d'endosser les responsabilités et d'accumuler les heures de travail, étudiant sur la fiche de paie ou quand il s'agit d'appliquer la législation du travail.
LA FORMATION, GRANDE SACRIFIÉE
Alors qu'on leur demande d'être toujours plus "performants", les internes se retrouvent vite confrontés aux limites de leurs connaissances, et doivent apprendre "à faire comme si [ils] savai[en]t",explique Louis, interne à Strasbourg. La charge de travail à l'hôpital est telle qu'elle les empêche souvent de compléter le bagage théorique dont ils ont pourtant besoin pour poursuivre leur apprentissage.
Selon les décrets, deux demi-journées par semaine doivent en effet être accordées par l'hôpital aux internes pour "la formation universitaire". "C'est sûrement le droit le moins en vigueur dans les hôpitaux", affirme pourtant Luc, 28 ans, interne à Lille, et qui n'en a jamais bénéficié dans son parcours.
"Mon statut d'étudiant, il ne me sert que pour avoir un deuxième burger gratuit au Quick", ironise une interne en 6e semestre de chirurgie orthopédique. Pour assurer sa formation, la jeune femme n'a pas le choix : "Je m'enferme chez moi le soir pour potasser des revues médicales." Comme elle, de nombreux internes reconnaissent que la formation théorique, pourtant indispensable, est la grande sacrifiée du système actuel. "Après des semaines de quatre-vingts heures de boulot, je mets un point d'honneur à ne pas ouvrir un manuel de médecine chez moi", explique Emna, interne à Paris. D'autres prennent sur leur temps personnel ce poids supplémentaire, alourdi dans les dernières années de l'internat par les mémoires à rendre et la thèse à présenter.
DES COURS APRÈS 24 HEURES DE TRAVAIL CONSÉCUTIVES