Le sociologue et économiste, Bernard Friot.
La crise du Covid-19 a révélé pour beaucoup les impasses du capitalisme. Alors qu’il met en péril le rapport au vivant, les services publics et les productions locales de base, il s’est aussi révélé incapable de faire face à une pandémie autrement que par des injonctions venues d’en-haut sous surveillance policière. Dans Désir de communisme (Textuel, septembre 2020), Judith Bernard et Bernard Friot explorent les voies ouvertes par de nouveaux droits s’appuyant sur le « déjà-là » communiste conquis par les luttes sociales. Le salaire des fonctionnaires, attaché à la personne et non au poste de travail, peut être généralisé à tous les plus de 18 ans. La Sécurité sociale peut être étendue par exemple à l’alimentation, au logement, aux transports, à la culture ou à l’énergie. Pour toutes les entreprises, les dettes d’investissement peuvent être remplacées par une cotisation économique permettant la subvention de l’outil et sa propriété d’usage par les salariés. Autrement dit, notre avenir commun passe par une démocratisation radicale, et d’abord en matière de responsabilité des travailleurs sur la production.
Sociologue du travail et
Sociologue du travail et économiste, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, Bernard Friot anime l’Institut européen du salariat. Il est aussi à l’origine de la création de Réseau salariat, une association d’éducation populaire qui promeut l’idée d’un « salaire à la qualification personnelle » pour toutes et tous. Nous lui avons posé des questions sur son analyse de la situation actuelle, marquée par la crise liée au Covid-19, sur sa vision du monde d’après et plus largement sur ses travaux, fondés sur une étude approfondie de la création du régime général de sécurité sociale, véritable « déjà-là communiste » selon lui. Entretien réalisé par Léo Rosell et Simon Woillet.
LVSL – D’une simple crise sanitaire, la situation provoquée par la pandémie de coronavirus a évolué en crise économique et promet une crise politique de grande ampleur. Comment analysez-vous le moment que nous sommes en train de vivre ? Comment a-t-on pu en arriver là ?
Bernard Friot – Certes, à court terme la crise sanitaire réduit la production et les ressources et porte donc des risques politiques pour le pouvoir, mais je ne mettrais pas les crises dans l’ordre que vous proposez car la crise sanitaire est une résultante des deux autres.
Cela fait plusieurs années que nous sommes dans une crise politique de grande ampleur. En témoigne le fait que le débat politique, si l’on ose l’appeler ainsi, est dominé depuis 2017 par la confrontation entre LREM et RN, deux frères jumeaux nés de la crise d’hégémonie de la bourgeoisie capitaliste. Frères jumeaux avec le même culte du chef, la même détermination à en finir avec les droits conquis par les travailleurs organisés, le même usage fasciste de la police comme point dur d’une attaque en règle contre les libertés individuelles et publiques au nom de la protection contre un ennemi aussi insaisissable qu’imprévisible : terrorisme, virus ou n’importe quelle entité instrumentalisée pour imposer un État autoritaire.
En effet, l’État républicain construit sous la Troisième République, et réaffirmé après l’échec de Vichy, comme écran protecteur, outil politique de la bourgeoisie capitaliste et instrument d’intégration des organisations populaires, est en échec. Les milieux d’affaires sont contraints de sortir du bois, d’acheter tous les grands médias et de bricoler directement un exécutif et une majorité parlementaire sans autonomie ni épaisseur, en mettant leurs commis au pouvoir.
Rappelons qu’en un peu plus de trois ans, dans une banque à faire de la fusac (fusion-acquisition), une de ces activités notoirement parasitaires des premiers de cordée dont le confinement a montré l’inutilité pour le bien commun, Emmanuel Macron a gagné plus de trois millions d’euros, entre autres au service de l’agrobusiness international en accompagnant Nestlé dans l’acquisition des laits maternisés Pfizer (contre Danone). La prétendue « société civile » qu’il a regroupée autour de lui au gouvernement et au Parlement est du même tonneau.
« En une phrase : la bourgeoisie est en train de perdre son hégémonie sur le cœur de son pouvoir, le travail, et c’est pourquoi elle s’appuie de plus en plus sur des États très autoritaires. »