CRITIQUE
Natalie Depraz mobilise la philosophie, la psychologie et les sciences pour expliquer ce que faire attention signifie
Il faut faire attention à l’attention. Elle n’a l’air de rien, on ne l’aperçoit guère, la confondant avec la vie normale de l’esprit et de l’activité humaine, la «basse continue» qui l’accompagne. Ou bien n’apparaît que sur demande, quand on fait «appel à la vigilance». Souvent elle s’endort, en effet, à l’instar d’élèves qu’un cours ennuie et que vient secouer - vous écoutez, oui ?- l’injonction du professeur(«on les voit alors, notait Simone Weil, froncer les sourcils, retenir leur respiration, contracter les muscles»), comme si «être attentif» n’était pas «naturel» mais exigeait un effort. Elle ne peut être ni totale ni totalement absente, car on ne saurait agir ni entreprendre quoi que ce soit si on était attentif à tout ou si on ne faisait attention à rien. Sa caractéristique, c’est la «variabilité», sa capacité d’aller à la vitesse du son de la détente à la concentration, de la distraction à la vigilance, justement. L’attention fait «être aux aguets», comme l’instinct le fait chez les animaux, et sans doute, en lui permettant de fuir à temps les dangers, d’observer, de prévoir, a-t-elle permis la survie et le développement même de l’humanité. En tant que disposition individuelle, elle donne relief au monde physique et social que chacun habite. «Les objets qui nous entourent, les événements de notre vie, les situations auxquelles nous sommes confrontés, les personnes que nous côtoyons changeront de statut ontologique en relation avec le degré d’attention que nous leur accorderons.» Aussi n’est-il pas étonnant qu’elle ait fait l’objet de tant de recherches, anthropologiques, philosophiques, scientifiques ou, quand elle se trouble («attention deficit disorder»), psychopathologiques.