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dimanche 1 janvier 2012


Avatars et réalités virtuelles pour aider les enfants malades

Michel VIATTEAU, Agence France-Presse (Montréal)
26 décembre 2011
De nouvelles technologies vidéo «immersive» mises au point à Montréal... (Photo: Archives La Presse)
Photo: Archives La Presse






De nouvelles technologies vidéo «immersive» mises au point à Montréal associent médecine, psychiatrie et arts numériques pour offrir aux enfants malades de l'hôpital Sainte-Justine des thérapies pouvant accélérer leur convalescence ou réduire leur angoisse.
Ces thérapeutiques sont développées par une équipe de spécialistes de l'hôpital Sainte-Justine de Montréal, un centre de recherche mondialement connu, et à la Satosphère, le siège de la Société des arts technologiques.
Il peut s'agir d'offrir une simple stimulation sensorielle: un grand brûlé peut se sentir mieux dans un bloc de glace virtuel.
Ou de rassurer un petit malade anxieux en projetant en 3D sur les murs de l'hôpital l'environnement rassurant de sa chambre à la maison.
À côté d'un dôme d'acier de 18 mètres de diamètre, le «premier théâtre immersif du monde» permettant des projections à 360 degrés autour du spectateur, les médecins de Sainte-Justine ont installé une chambre d'hôpital.
C'est un «living lab», un dispositif de recherche en vogue qui exploite des technologies existantes en fonction de besoins exprimés par les usagers, explique Patrick Dubé, coordonnateur de cette entreprise commune.
«On est capables, à travers de multiples projecteurs, de créer des environnements immersifs qui intègrent non seulement les murs, mais le mobilier qu'il y a dans la pièce», poursuit-il.
Un des outils-jouets proposés aux enfants de 6 à 18 ans est une simple caméra vidéo couplée à un ordinateur et à deux écrans, l'un pour l'image en temps réel, l'autre pour visionner les enregistrements. Elle permet aux enfants de se familiariser avec des instruments médicaux, comme la seringue.
Dans les mains d'une petite fille, enfant d'un chercheur impliqué dans le projet, la seringue se transforme en fusée et joue dans un clip vidéo tourné sans aucune aide d'adultes.
Autre application thérapeutique à laquelle les chercheurs prédisent une belle carrière: les avatars, des personnages de dessins animés qui communiquent avec les enfants depuis un écran, manipulés par un thérapeute placé dans une autre pièce.
Certains enfants, traumatisés par leur maladie ou un accident, très anxieux, ont du mal à communiquer avec une personne réelle.
Mais un avatar, avec ses gestes de pantin et sa voix haut perchée, est pour eux un intermédiaire acceptable qui leur permet de réapprendre les relations sociales.
C'est une façon d'utiliser ces technologies dont les enfants sont souvent familiers pour «les aider à socialiser, dans le but de les aider à surmonter leurs peurs, à découvrir des choses d'eux-mêmes. Il y a énormément de potentiel pour notre discipline, mais on est encore au stade de l'exploration», explique le Dr Patricia Garel, patronne du département de psychiatrie à Sainte-Justine.
L'invasion massive dans notre vie d'instruments de communication ou de jeu munis d'écrans peut avoir un impact très nuisible sur la socialisation des enfants les plus fragiles qui s'enferment en eux-mêmes, souligne-t-elle. Mais les mêmes outils, bien utilisés, peuvent au contraire favoriser leur insertion dans la société.

PLAIDOYER POUR LA CREATION D’UN ORDRE INFIRMIER AU SENEGAL

Mardi 27 Décembre 2011

Pourquoi soutenir la création d'un ordre infirmier


Le secteur de la santé est en évolution perpétuelle, confronté qu’il est à des impératifs techniques, démographiques et épidémiologiques. Le financement des soins de santé est soumis à des contraintes budgétaires. Régulièrement, les problèmes de sécurité des patients et de qualité des soins s’invitent sur le devant de la scène médiatique. Les pénuries d’infirmières s’aggravent en même temps que les frontières deviennent plus poreuses et que la mobilité des travailleurs s’accroît. Les consommateurs exigent davantage de transparence dans la manière dont les soins sont délivrés et dans la régulation des professionnels de la santé. 
Selon Humphris et Masterson (2000), la sécurité des soins de santé est favorisée par les facteurs suivants : 
• La responsabilisation accrue des employeurs en matière de protection des patients. 
• La responsabilisation des employeurs vis-à-vis des compétences de leurs employés. 
• L’implication des associations de consommateurs dans les soins de santé. 
• Certains changements dans la manière de préserver la qualité de la formation professionnelle. 
En effet, on s’aperçoit que les modes d’exercice de la profession se diversifient (exercice libéral). C’est ainsi que le statut de salarié sous la responsabilité d’un employeur tend à se réduire. 
Ces mutations ont des implications sur la régulation des professions de santé, le profil des qualifications des infirmiers exerçant dans des contextes différents, la définition des rôles infirmiers, la formation des infirmiers et leur capacité à dispenser des soins dans un contexte en perpétuel mutation. 
L’objet de la réglementation est aussi de protéger les usagers. L’une des manières d’atteindre cet objectif est de faire en sorte que les professionnels de la santé soumis à la réglementation disposent de toutes les compétences nécessaires pour pratiquer leur art. Les employeurs et les responsables des services de santé doivent faire en sorte que les professionnels qu’ils emploient disposent des compétences nécessaires à la fourniture de soins de santé, compétences conformes aux normes acceptables par le public bénéficiaire de ces soins. La définition des rôles des professionnels de santé est un processus évolutif qui doit s’adapter et s’accompagner les progrès techniques et scientifiques. Ceux-ci, à leur tour, suscitent l’apparition de nouveaux rôles de soins de santé. Dans ce contexte, toute modification au profil des qualifications doit être soigneusement négociée. Il est important que les compétences attachées aux rôles des infirmières soient intégrées dans le système éducatif et réglementaire. C’est à cette condition que les infirmières pourront dispenser des soins sûrs et de qualité. 
Cependant, vu le rythme des changements dans les systèmes de santé et dans la société en général, le défi, pour les employeurs, les éducateurs, les régulateurs et la profession infirmière elle-même, est de réagir à ces changements d’une manière opportune et réfléchie. 
A ce titre, nous sommes convaincus que les associations professionnelles sont les mieux placées pour proposer aux pouvoirs publics les normes professionnelles, les exigences de formation et les domaines de pratique (Gragnola et Stone 1997). Il est essentiel que la formation des infirmiers soit basée sur des programmes axés sur les aptitudes ou les compétences nécessaires à la pratique professionnelle. Ceci est particulièrement vrai dans notre contexte actuel fait de mutations très rapides. 
Le problème de l’acquisition des compétences ne se limite d’autre part pas au stade de l’entrée dans la vie professionnelle, puisqu’il faut encore assurer l’entretien des compétences des infirmiers. Cette dernière exigence peut être aisément assurée par un organe de régulation. Pour toutes ces raisons, il est souhaitable d’impliquer tous les acteurs dans le développement des programmes d’éducation et de formation continue en soins infirmiers. 

POURQUOI SOUTENIR LA REGLEMENTATION DE LA PROFESSION INFIRMIERE AU SENEGAL 

Au Sénégal le personnel infirmier occupe une place charnière dans le système de santé. Pivot incontournable dans l’exécution des politiques de santé et de soins, le personnel infirmier se trouve aux différents niveaux du système. La majorité de la population a recourt à l’infirmier pour la prise en charge de sa santé. 
Malgré cette position centrale la profession infirmière ne dispose pas d’un cadre juridique, adapté aux missions qui lui sont dévolues dans notre pays pour encadrer son exercice. 
En effet, outre les rares textes désuets et inadaptés hérités de l’époque coloniale, seule l’Arrêté ministériel n°2651 MSP-DHPS-DCCMP en date du 25 février 1989 fixant la nomenclature des actes professionnels aux auxiliaires médicaux existe comme texte en ‘’vigueur‘’. Il faut ajouter à cela la loi n° 61.33 du 15 juin 1961 relative au statut général des fonctionnaires, le code du travail et le décret n° 77.887 du 12 octobre 1977 portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de la santé et de l’action sociale qui dans leur principe ne règlent pas ces questions de pratique professionnelle. 

Si l’on reconnaît cette place à la profession infirmière et que l’on envisage la réglementation, au sens large, comme un point de départ, la sécurité et la compétence des soins comme un but à atteindre ainsi que tous les autres éléments ( éducation des infirmiers/ères, formation initiale et entretien des compétences, responsabilités des employeurs, définition des rôles et profil des compétences ) doivent être mis en œuvre pour atteindre ce but. Il est indéniable que les organisations professionnelles de soins infirmiers ont un rôle à jouer à chacune des étapes de ce processus. 
C’est pourquoi l’ANIIDES s’engage dans cette réflexion en se référant aux principes de sa politique de promotion de la profession infirmière et de protection des usagers. Aussi, nous nous inscrivons dans l’objectif et le processus de l’organisation ouest africaine de la santé (OOAS) visant la création d’ordres pour les professions infirmière et sage femme dans les pays membres qui n’en disposent pas. A ce titre l’objectif de notre association est de jeter les bases du cheminement qui nous mènera à terme à l’instauration d’une réglementation infirmière au Sénégal. Pour cela l’’ANIIDES, s’adossant sur son leadership national dans le domaine des soins infirmiers, estime que le moment est venu de délimiter des compétences et un champ d’exercice pour les professionnel(le)s infirmiers/ères du Sénégal. La profession infirmière sénégalaise veut que ces compétences là soient utilisées pour clarifier son rôle. 
Par ailleurs, notre avis est que la mise au point de normes de formation initiale et continue à l'intention des praticiens infirmiers est aussi un impératif à réaliser pour garantir la qualité. Ainsi ces normes permettront aux infirmiers de participer activement au modelage leur propre carrière. 
Aussi pensons-nous que cette réglementation que nous appelons de nos vœux doit cibler les points suivants : 
• La nécessité de maintenir la confiance du public dans le système. 
• La nécessité de maintenir des normes en vue de la maîtrise des coûts. 
• La nécessité d’encadrer la délégation de compétences 
• La nécessité de faire évoluer et de fusionner les rôles. 
• L'obligation redditionnelle des praticiens et des organes régulateurs. 
• La nécessité d'assurer la continuité des soins. 
Pour nous engager dans cette voie nous avons besoins de l’écoute et du soutien des décideurs à tous les niveaux mais aussi de l’opinion publique sénégalaise. 
Aussi, nous vous engageons à porter ce projet pour l’intérêt du public qui est le principal bénéficiaire de la régulation des professions plus particulièrement de la profession infirmière, mais aussi pour ne pas être en marge des pays de la CEDEAO car le processus OOAS continue son bonhomme de chemin. Enfin, il y a que la profession est importante et tout le monde en a besoin aujourd’hui et tout le monde en aura besoin demain…davantage. 



Abdou GUEYE, IDE 
Président de l’ANIIDES

La dyslexie : trois symptômes, une seule cause

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 23.12.11
Un scientifique ajuste des capteurs sur un de ses collègues du EEG (électroencéphalogramme) Lab d'Auckland.
Un scientifique ajuste des capteurs sur un de ses collègues du EEG (électroencéphalogramme) Lab d'Auckland.Reuters
Des travaux récents, publiés dans Neuron du 21 décembre, lèvent un coin du voile sur les causes de ce trouble, qui toucherait "environ 5 % des Français", selon Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives au CNRS et cosignataire de l'article. En collaboration avec Anne-Lise Giraud, directrice d'une équipe Inserm à l'Ecole normale supérieure, et Katia Lehongre, jeune chercheuse au sein de son équipe, il y décrit une seule et unique anomalie dans le cortex auditif des dyslexiques qui pourrait être à l'origine de ces trois symptômes.
Défaut de sensibilité
"Les enfants dyslexiques ont du mal à associer les lettres aux sons correspondants pour apprendre à lire", explique Franck Ramus. Les scientifiques soupçonnent depuis longtemps qu'un mauvais développement des aires cérébrales permettant de se représenter les sons de la parole serait la cause de la dyslexie.
Pour mieux comprendre ce phénomène, Anne-Lise Giraud et son équipe ont enregistré l'activité cérébrale de 44 adultes, dont 23 dyslexiques, pendant qu'ils écoutaient un son présentant des variations d'amplitude allant de 10 à 80 Hz.
Les chercheurs ont ensuite analysé la capacité des cortex auditifs droit et gauche à "osciller" avec le son qui les stimulait. Résultat : tandis que, chez les non-dyslexiques, les cortex auditifs fonctionnaient normalement, le cortex gauche des dyslexiques était moins sensible aux sons modulés autour de 30 Hz. Or l'hémisphère gauche du cerveau est spécialisé dans l'analyse du langage.
La difficulté pour le cortex gauche d'analyser certaines fréquences gênerait le cerveau pour découper la parole en "unités" pouvant être associées aux lettres. Ce défaut de sensibilité expliquerait les difficultés pour les dyslexiques à nommerrapidement des images. Leur cerveau est en revanche plus sensible aux rythmes rapides. Une particularité associée à une mauvaise mémoire à court terme des mots.
"Jusqu'ici, on ne comprenait pas bien le lien entre les différents symptômes de la dyslexie, explique Anne-Lise Giraud. Notre découverte pourrait expliquer ces trois aspects de la pathologie avec une seule cause, ce dysfonctionnement du cortex auditif gauche."
Toutefois, il faut rester prudent quant à des applications immédiates pour un meilleur traitement de la dyslexie : "C'est de la recherche fondamentale, tempère Franck Ramus. On a peut-être mis le doigt sur quelque chose d'important. Mais c'est tellement nouveau qu'il est difficile de dire à l'avance si ça va aboutir ou pas à des applications thérapeutiques."
Julien Joly

Trop d'enfants traités contre l'hyperactivité

Par figaro icon Aude Rambaud - le 26/12/2011
La Ritaline est sans risque cardiaque mais des médecins s'inquiètent de l'envolée des prescriptions.
Ritaline, ce mot résonne comme une bénédiction pour des milliers de parents en France. Il s'agit en fait du méthylphénidate, traitement de référence des troubles de l'attention et de l'hyperactivité dès l'âge de 6 ans. Mais la molécule n'est pas seulement utilisée chez l'enfant, de plus en plus d'adultes y ont également recours. Il s'agit d'un psychostimulant proche des amphétamines.
Pourtant, depuis 2005, un doute planait sur sa sécurité cardio-vasculaire. Plusieurs cas d'arrêt cardiaque avaient été signalés outre-Atlantique chez de jeunes hyperactifs traités par amphétamines. Le Canada avait aussitôt décidé d'en suspendre la commercialisation avant de revenir sur sa décision, compte tenu du fait que toutes les personnes décédées présentaient en fait des problèmes cardiaques susceptibles d'expliquer ces accidents. Quoi qu'il en soit, le doute a subsisté pendant toutes ces années. À ce titre, deux études récentes sur des enfants et des adultes et plutôt rassurantes sur ce point sont les bienvenues pour la communauté médicale et les familles. Ces travaux ne justifient pas pour autant des prescriptions jugées excessives par un certain nombre de médecins.

Contractions musculaires

La première, publiée il y a un mois dans le(NEJM), a porté sur plus de 1,2 million d'enfants agés de 2 à 24 ans et la seconde, datant du 12 décembre, est parue dans le Journal of American Medical Association (Jama) et porte sur 450 000 adultes de 25 à 64 ans. Elles ne montrent aucune association entre la prise de ces traitements contre les troubles de l'attention et l'hyperactivité et la survenue d'arrêts cardiaques, infarctus du myocarde ou encore accidents vasculaires cérébraux. Des résultats assez positifs qui ne lèvent pas la prudence des auteurs. Selon eux, ces observations n'excluent pas un risque non décelé dans ce cadre, notamment en raison d'un suivi moyen des adultes assez court (1,3 an en moyenne) et avec des durées de traitement restreintes. En outre, la rareté des événements cardio-vasculaires chez les enfants doit inciter à interpréter ces résultats avec prudence. Parmi les jeunes individus inclus, il y avait environ 375.000 utilisateurs par année. L'échantillon aurait donc mérité d'être encore plus important.
Ces données sont néanmoins «rassurantes», selon le Dr François Banne, psychiatre libéral à Paris, même si elles ne modifieront pas sa pratique. La Ritaline augmente la concentration de dopamine dans le cerveau. Or, celle-ci accroît les contractions musculaires. À ce titre, le médicament peut provoquer une augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. « Il est vrai que des enfants se plaignent parfois de tachycardie, précise-t-il. En cas de signe fonctionnel comme celui-ci ou d'antécédents cardiaques, je demande systématiquement une visite chez le cardiologue. Il y a une inquiétude sérieuse autour de la prescription, notamment dans le contexte de l'affaire Mediator. En outre, je recommande à tous les adultes un bilan cardiaque en raison de l'augmentation des facteurs de risques et maladies cardio-vasculaires avec l'âge.» L'Agence européenne du médicament recommande en effet de rechercher des anomalies de la tension artérielle ou de la fréquence cardiaque et de certains troubles psychiatriques chez tous les patients avant la mise sous traitement puis d'assurer une surveillance régulière. Elle rappelle, par ailleurs, qu'il existe un ralentissement de croissance chez les enfants traités sur de longues périodes.
Pour le Pr Maurice Corcos, chef du service de psychiatrie à l'Institut mutualiste Montsouris à Paris, les résultats de ces études sont effectivement rassurants mais ne répondent pas aux inquiétudes actuelles des psychiatres. «Qu'en est-il du développement cérébral, de la croissance physique et affective de l'enfant?, interroge-t-il. La Ritaline est de plus en plus prescrite à travers le monde à de jeunes enfants et à des adolescents, à des périodes où la formation de nouvelles synapses est très active. Or, cette substance agit directement sur le cerveau et est parfois administrée pendant plusieurs années. Ce n'est pas anodin.»
l s'inquiète également de l'envolée des prescriptions: «Certaines données de la littérature évoquent des augmentations de la prévalence de l'hyperactivité de plus de 600% en dix ans. Je ne veux pas croire à une épidémie! Ces chiffres révèlent un surdiagnostic et par conséquent une surprescription de médicaments. Celle-ci doit être adaptée à un contexte clinique précis, en éliminant par exemple des causes d'anxiété ou de dépression.» Les travaux de recherche sur les causes de l'hyperactivité et les excès de diagnostic, sur les meilleures prises en charge et les conséquences des traitements méritent en tout cas d'être poursuivis.

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05.03.11

par Michel Serres, de l'Académie française

Michel Serres
Michel SerresAFP/ETIENNE DE MALGLAIVE
Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, travaillaient au labour et à la pâture ; en 2011, la France, comme les pays analogues, ne compte plus qu'un pour cent de paysans. Sans doute faut-il voir là une des plus fortes ruptures de l'histoire, depuis le néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, la culture, soudain, changea. Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des vivants, n'habite plus la même Terre, n'a plus le même rapport au monde. Elle ou il n'admire qu'une nature arcadienne, celle du loisir ou du tourisme.
- Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs. Mais, devenu sensible à l'environnement, il polluera moins, prudent et respectueux, que nous autres, adultes inconscients et narcisses. Il n'a plus la même vie physique, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain bondi vers sept milliards d'humains ; il habite un monde plein.
- Son espérance de vie va vers quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière-grands-parents s'étaient juré fidélité pour une décennie à peine. Qu'il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pourrecevoir ce legs. Ils ne connaissent plus les mêmes âges, ni le même mariage ni la même transmission de biens. Partant pour la guerre, fleur au fusil, leurs parents offraient à la patrie une espérance de vie brève ; y courront-ils, de même, avec, devant eux, la promesse de six décennies ?
- Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n'ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant d ‘une médecine enfin efficace et, en pharmacie, d'antalgiques et d'anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ? Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait en des exercices destinés à supporter une douleur inévitable et quotidienne : maladies, famine, cruauté du monde. Ils n'ont plus le même corps ni la même conduite ; aucun adulte ne sut leur inspirer une morale adaptée.
- Alors que leurs parents furent conçus à l'aveuglette, leur naissance est programmée. Comme, pour le premier enfant, l'âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les parents d'élèves ont changé de génération. Pour plus de la moitié, ces parents ont divorcé. Ils n'ont plus la même généalogie.
- Alors que leurs prédécesseurs se réunissaient dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, ils étudient au sein d'un collectif où se côtoyent désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs. Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de règle. Pendant combien de temps pourront-ils encore chanter l'ignoble "sang impur" de quelque étranger ? Ils n'ont plus le même monde mondial, ils n'ont plus le même monde humain. Mais autour d'eux, les filles et les fils d'immigrés, venus de pays moins riches, ont vécu des expériences vitales inverses.
Bilan temporaire. Quelle littérature, quelle histoire comprendront-ils, heureux, sans avoir vécu la rusticité, les bêtes domestiques, la moisson d'été, dix conflits, cimetières, blessés, affamés, patrie, drapeau sanglant, monuments aux morts, sans avoir expérimenté dans la souffrance, l'urgence vitale d'une morale ?
VOILÀ POUR LE CORPS ; VOICI POUR LA CONNAISSANCE
- Leurs ancêtres fondaient leur culture sur un horizon temporel de quelques milliers d'années, ornées par l'Antiquité gréco-latine, la Bible juive, quelques tablettes cunéiformes, une préhistoire courte. Milliardaire désormais, leur horizon temporel remonte à la barrière de Planck, passe par l'accrétion de la planète, l'évolution des espèces, une paléo-anthropologie millionnaire. N'habitant plus le même temps, ils vivent une toute autre histoire.
- Ils sont formatés par les médias, diffusés par des adultes qui ont méticuleusement détruit leur faculté d'attention en réduisant la durée des images à sept secondes et le temps des réponses aux questions à quinze secondes, chiffres officiels ; dont le mot le plus répété est "mort" et l'image la plus représentée celle de cadavres. Dès l'âge de douze ans, ces adultes-là les forcèrent à voir plus de vingt mille meurtres.
- Ils sont formatés par la publicité ; comment peut-on leur apprendre que le mot relais, en français s'écrit "- ais", alors qu'il est affiché dans toutes les gares "- ay" ? Comment peut-on leur apprendre le système métrique, quand, le plus bêtement du monde, la SNCF leur fourgue des "s'miles" ?
Nous, adultes, avons doublé notre société du spectacle d'une société pédagogique dont la concurrence écrasante, vaniteusement inculte, éclipse l'école et l'université. Pour le temps d'écoute et de vision, la séduction et l'importance, les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d'enseignement.
Critiqués, méprisés, vilipendés, puisque pauvres et discrets, même s'ils détiennent le record mondial des prix Nobel récents et des médailles Fields par rapport au nombre de la population, nos enseignants sont devenus les moins entendus de ces instituteurs dominants, riches et bruyants.
Ces enfants habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l'usage de la toile, lecture ou écriture au pouce des messages, consultation de Wikipedia ou de Facebook, n'excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l'usage du livre, de l'ardoise ou du cahier. Ils peuventmanipuler plusieurs informations à la fois.
Ils ne connaissent ni n'intègrent ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants. Ils n'ont plus la même tête.
- Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes ; par GPS, en tous lieux ; par la toile, à tout le savoir ; ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous habitions un espace métrique, référé par des distances. Ils n'habitent plus le même espace.
Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années soixante-dix. Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace. Né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort. N'ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement.
- Il ou elle écrit autrement. Pour l'observer, avec admiration, envoyer, plus rapidement que je ne saurai jamais le faire de mes doigts gourds, envoyer, dis-je, des SMS avec les deux pouces, je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet. Voilà leur nom, plus joli que le vieux mot, pseudo-savant, de dactylo.
- Ils ne parlent plus la même langue. Depuis Richelieu, l'Académie française publie, à peu près tous les vingt ans, pour référence, le dictionnaire de la nôtre. Aux siècles précédents, la différence entre deux publications s'établissait autour de quatre à cinq mille mots, chiffres à peu près constants ; entre la précédente et la prochaine, elle sera d'environ trente mille. A ce rythme, on peut deviner qu'assez vite, nos successeurs pourraient se trouver, demain, aussi séparés de notre langue que nous le sommes, aujourd'hui, de l'ancien français pratiqué par Chrétien de Troyes ou Joinville. Ce gradient donne une indication quasi photographique des changements que je décris. Cette immense différence, qui touche toutes les langues, tient, en partie, à la rupture entre les métiers des années récentes et ceux d'aujourd'hui. Petite Poucette et son ami ne s'évertueront plus aux mêmes travaux. La langue a changé, le labeur a muté.
L'INDIVIDU
Mieux encore, les voilà devenus tous deux des individus. Inventé par saint Paul, au début de notre ère, l'individu vient de naître ces jours-ci. De jadis jusqu'à naguère, nous vivions d'appartenances : français, catholiques, juifs, protestants, athées, gascons ou picards, femmes ou mâles, indigents ou fortunés… nous appartenions à des régions, des religions, des cultures, rurales ou urbaines, des équipes, des communes, un sexe, un patois, la Patrie. Par voyages, images, Toile et guerres abominables, ces collectifs ont à peu près tous explosé.
Ceux qui restent s'effilochent. L'individu ne sait plus vivre en couple, il divorce ; ne sait plus se tenir en classe, il bouge et bavarde ; ne prie plus en paroisse ; l'été dernier, nos footballeurs n'ont pas su faire équipe ; nos politiques savent-ils encore construire un parti plausible ou un gouvernement stable ? On dit partout mortes les idéologies ; ce sont les appartenances qu'elles recrutaient qui s'évanouissent.
Cet nouveau-né individu, voilà plutôt une bonne nouvelle. A balancer les inconvénients de ce que l'on appelle égoïsme par rapport aux crimes commis par et pour la libido d'appartenance – des centaines de millions de morts –, j'aime d'amour ces jeunes gens.
Cela dit, reste à inventer de nouveaux liens. En témoigne le recrutement de Facebook, quasi équipotent à la population du monde. Comme un atome sans valence, Petite Poucette est toute nue. Nous, adultes, n'avons inventé aucun lien social nouveau. L'entreprise généralisée du soupçon et de la critique contribua plutôt à les détruire.
Rarissimes dans l'histoire, ces transformations, que j'appelle hominescentes, créent, au milieu de notre temps et de nos groupes, une crevasse si large et si évidente que peu de regards l'ont mesurée à sa taille, comparable à celles visibles au néolithique, à l'aurore de la science grecque, au début de l'ère chrétienne, à la fin du Moyen Age et à la Renaissance.
Sur la lèvre aval de cette faille, voici des jeunes gens auxquels nous prétendonsdispenser de l'enseignement, au sein de cadres datant d'un âge qu'ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classes, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires, savoirs même… cadres datant, dis-je, d'un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu'ils ne sont plus.
Trois questions, par exemple : que transmettre ? A qui le transmettre ? Comment le transmettre ?
QUE TRANSMETTRE ? LE SAVOIR !
Jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps du savant, aède ou griot. Une bibliothèque vivante… voilà le corps enseignant du pédagogue. Peu à peu, le savoir s'objectiva : d'abord dans des rouleaux, sur des velins ou parchemins, support d'écriture ; puis, dès la Renaissance, dans les livres de papier, supports d'imprimerie ; enfin, aujourd'hui, sur la toile, support de messages et d'information. L'évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d'enseignement. Du coup, la pédagogie changea au moins trois fois : avec l'écriture, les Grecs inventèrent la Paideia ; à la suite de l'imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent. Aujourd'hui ?
Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c'est fait. Avec l'accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l'accès en tous lieux, par le GPS, l'accès au savoir est désormais ouvert. D'une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis.
Objectivé, certes, mais, de plus, distribué. Non concentré. Nous vivions dans un espace métrique, dis-je, référé à des centres, à des concentrations. Une école, une classe, un campus, un amphi, voilà des concentrations de personnes, étudiants et professeurs, de livres en bibliothèques, d'instruments dans les laboratoires… ce savoir, ces références, ces textes, ces dictionnaires… les voilà distribués partout et, en particulier, chez vous – même les observatoires ! mieux, en tous les lieux où vous vous déplacez ; de là étant, vous pouvez toucher vos collègues, vos élèves, où qu'ils passent ; ils vous répondent aisément. L'ancien espace des concentrations – celui-là même où je parle et où vous m'écoutez, que faisons-nous ici ? – se dilue, se répand ; nous vivons, je viens de le dire, dans un espace de voisinages immédiats, mais, de plus, distributif. Je pourrais vous parler de chez moi ou d'ailleurs, et vous m'entendriez ailleurs ou chez vous, que faisons-nous donc ici ?
Ne dites surtout pas que l'élève manque des fonctions cognitives qui permettent d'assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support et par lui. Par l'écriture et l'imprimerie, la mémoire, par exemple, muta au point que Montaigne voulut une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine. Cette tête vient de muter encore une fois. De même donc que la pédagogie fut inventée (paideia) par les Grecs, au moment de l'invention et de la propagation de l'écriture ; de même qu'elle se transforma quand émergea l'imprimerie, à la Renaissance ; de même, la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies. Et, je le répète, elles ne sont qu'une variable quelconque parmi la dizaine ou la vingtaine que j'ai citée ou pourrais énumérer.
Ce changement si décisif de l'enseignement – changement répercuté sur l'espace entier de la société mondiale et l'ensemble de ses institutions désuètes, changement qui ne touche pas, et de loin, l'enseignement seulement, mais aussi le travail, les entreprises, la santé, le droit et la politique, bref, l'ensemble de nos institutions – nous sentons en avoir un besoin urgent, mais nous en sommes encore loin.
Probablement, parce que ceux qui traînent, dans la transition entre les derniers états, n'ont pas encore pris leur retraite, alors qu'ils diligentent les réformes, selon des modèles depuis longtemps effacés. Enseignant pendant un demi-siècle sous à peu près toutes les latitudes du monde, où cette crevasse s'ouvre aussi largement que dans mon propre pays, j'ai subi, j'ai souffert ces réformes-là comme des emplâtres sur des jambes de bois, des rapetassages ; or les emplâtres endommagent le tibia, même artificiel : les rapetassages déchirent encore plus le tissu qu'ils cherchent à consolider.
Oui, depuis quelques décennies je vois que nous vivons une période comparable à l'aurore de la Paideia, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; semblable à la Renaissance qui vit naître l'impression et le règne du livre apparaître ; période incomparable pourtant, puisqu'en même temps que ces techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance et la mort, la souffrance et la guérison, les métiers, l'espace, l'habitat, l'être-au-monde.
ENVOI
Face à ces mutations, sans doute convient-il d'inventer d'inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites, nos médias, nos projets adaptés à la société du spectacle. Je vois nos institutions luire d'un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprirent qu'elles étaient mortes depuis longtemps déjà.
Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? Je crains d'en accuser les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d'anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils n'entendirent pas venir le contemporain. Si j'avais eu àcroquer le portrait des adultes, dont je suis, ce profil eût été moins flatteur.
Je voudrais avoir dix-huit ans, l'âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, puisque tout reste à inventer. Je souhaite que la vie me laisse assez de temps pour y travailler encore, en compagnie de ces Petits, auxquels j'ai voué ma vie, parce que je les ai toujours respectueusement aimés.

Pour lire l'intégralité des textes de la coupole du 1er mars, reportez-vous sur le site de l'Institut de France.