Pour un débat serein sur la question pénale
Point de vue | LEMONDE.FR | 25.11.11 | 09h48
par Pierre Méheust, professeur d'histoire-géographie et ex-membre du Comité d'Orientation Restreint sur la loi pénitentiair
L'élection présidentielle dans le viseur, le débat s'annonce vif sur les thèmes de la justice et de la sécurité publique, comme en 2002, comme en 2007, bis repetita placent. Bien que placés au centre des débats, trop de temps et trop d'énergie ont déjà été perdus, trop d'espoirs déçus et trop d'avancées ont été caricaturées.
Nous devrions nous épargner les querelles stériles et les débats inutiles pour nous interroger sereinement sur les questions de fond. La trame du récit semble, hélas, déjà écrite : d'un côté les professionnels et les associations se sont arcboutés contre la politique sécuritaire de coups de menton menés depuis presque dix ans. De l'autre, un gouvernement qui a commis des maladresses, des erreurs et dont le bilan, qui reste à dresser, s'éloignera sans doute de beaucoup des engagements pris.
L'opposition n'a pas pour autant de boulevards tracés devant elle qui la mèneraient sans encombre place Beauvau ou place Vendôme. A lire les programmes des candidats et à écouter leurs discours, justice et police ont été délaissées et l'augmentation substantielle de leurs budgets permettrait d'ensoigner les maux. Mais à ne porter la critique que contre la faiblesse des moyens, l'opposition se prive d'une réelle occasion de repenser un projet de société dans lequel l'autorité judiciaire serait confortée et la pénitentiaire tiendrait son rang. Cet exercice est complexe et néanmoins indispensable.
Des bases existent pourtant pour ne pas construire sur du sable. Une conviction d'abord, celle de Victor Hugo et de Robert Badinter, la justice pénale ne peut êtreune justice qui tue. Aucun drame, si poignant soit-il, ne doit nous éloigner de cet idéal. Ensuite la loi pénitentiaire (2009) et les Règles Pénitentiaires Européennes (2006) donnent à la prison des objectifs et définissent la réinsertion : mener une vie responsable, exempte de délit et de crime. Cependant, notre société ne réussit pas à élever une pénalité républicaine sur ces textes socles qui doiventencadrer la réponse sociale aux transgressions. Ainsi, la phrase de Nietzsche, reprise par Foucault : "Nos sociétés ne savent plus ce que c'est que punir", semble toujours d'actualité.
Puisque les mots seuls ne suffisent pas, il faut que le politique se penche sur des questions fondamentales, concrètes, pour l'instant délaissées : que fait-on du temps de la peine ? Lorsqu'un homme est condamné à 10 ans de prison, qu'y fera-t-il, comment vivra-t-il et qui deviendra-t-il ? Lorsqu'un homme est condamné à un an de prison, comment cette sanction peut-elle être aménagée pour qu'elle fasse peine et pour qu'elle fasse sens pour la communauté comme pour l'individu ? Comment aider les personnes qui ont été victimes à se reconstruire ? Quels modèles de peines nouvelles peuvent être inventés ? Pourquoi la semi-liberté ne pourrait-elle pas être plus développée ? Pourquoi l'effort d'enseignement de l'éducation nationale et des associations reste-t-il si peu développé en détention alors que les besoins sont si grands et que cette action permet une insertion ou une réinsertion dans la société ? Et à l'issue de la peine, car il doit y avoir une issue, pourquoi l'insertion par l'activité économique, si prometteuse, reste-t-elle en arrière plan ?
Une des tâches du prochain gouvernement sera de redonner de la grandeur à l'autorité judiciaire et un horizon à ses administrations que sont la protection judiciaire de la jeunesse et la pénitentiaire. L'instrumentalisation partisane (de tous bords) des questions relatives à la sécurité a déjà profondément déstructuré le lien social et une société ne peut faire corps si l'on en fragilise une de ses composantes essentielles. Redonner du sens devrait-être l'action prioritaire de nos gouvernants. En effet, les actes de délinquance disent quelque chose de la fragilité de l'homme et de nos sociétés. La deuxième tâche sera de réconcilier la société civile qui a parfois cédé à la facilité d'une critique démagogique. Deux discours inconséquents et caricaturaux se font face : d'une part ceux qui instrumentalisent la douleur et font vaciller la justice en agitant le spectre de la vengeance, d'autre part ceux qui considèrent que toute mesure destinée à mieuxencadrer le suivi des délinquants est un pas vers la construction d'un "droit pénal de l'ennemi" et rejettent toute idée de responsabilité personnelle arguant d'un déterminisme social. La réalité est infiniment plus complexe.
Il faudra beaucoup de sagesse aux hommes politiques pour mener des débats à la hauteur des enjeux et beaucoup d'intelligence collective à la société pour ne pas céder à la tentation égoïste de la critique sans discernement.
Pierre Méheust est aussi professeur à Fleury-Mérogis et ancien président du GENEPI.