Publié le 06/01/2024
Aurélie Haroche
Sans surprise en cette année olympique pour la France, la Grande cause nationale concerne l’activité physique et sportive. L’enjeu est important pour la santé publique à l’heure où certaines études montrent qu’un nombre croissant d’enfants, adolescents et jeunes adultes n’obéissent pas aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) quant au niveau d’activité physique quotidienne. Cependant, comme toujours, d’autres « causes » auraient peut-être mérité de jouir de ce label (dont on ne mesure pas toujours parfaitement, il est vrai, l’efficacité quant à son influence sur les comportements).
Sédentarité et solitude : même combat
En écho avec l’esprit olympique de rassemblement et de solidarité, la lutte contre la solitude aurait ainsi tout aussi bien pu figurer comme le leitmotiv de cette année 2024. A l’instar, en effet, de la sédentarité, la solitude est un véritable fléau pour la santé publique. De nombreuses études épidémiologiques ont mis en évidence comment le fait de vivre seul constituait un facteur de risque accru de souffrir de différentes maladies métaboliques et chroniques ; tandis qu’elle représente également un risque d’une moins bonne prise en charge. Ces dernières années, ces travaux se sont multipliés, tandis qu’une revue systématique et une méta-analyse de 90 études de cohortes publiées dans Nature en juin dernier confirment une association claire entre isolement social, solitude et mortalité « prématurée ». Maladies cardiovasculaires et cancer du sein sont notamment concernés.
Un rapport scandaleux sur un scandale
Les mesures prises pour tenter de freiner la pandémie de Covid ont à la fois renforcé l’isolement de certaines populations parmi les plus fragiles et par ailleurs illustré de façon dramatique les dangers de la solitude. Ce sont notamment les centaines de résidents d’établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dont les troubles cognitifs et la santé mentale se sont significativement détériorés en raison de l’absence de visite, sans parler du drame des milliers de morts sans la présence d’un proche. Ces morts dans la solitude ont récemment fait l’objet d’un rapport remis au ministre des Solidarités Aurore Berger (rapport dont on peut d’une part déplorer qu’il ait été nécessaire, car cette évidence aurait dû apparaître facilement à tous décideurs et dont on peut d’autre part douter qu’il soit dans tous les esprits si devait une nouvelle fois se poser la question de la pertinence d’interdire toute visite aux mourants).
Aveu d’impuissance
La situation des personnes en fin de vie dans les EHPAD est une bonne illustration de l’ambiguïté pour ne pas dire de l’hypocrisie des pouvoirs publics face à la question de la solitude. Officiellement, il semble ainsi exister une véritable sensibilisation des gouvernements à cette question. La création d’un secrétariat d’état à la solitude en Grande-Bretagne est à cet égard fréquemment citée. D’une certaine manière, le fait même qu’un rapport sur les conséquences ravageuses de l’isolement des résidents d’EHPAD ait été commandé témoigne néanmoins d’une forme de prise de conscience. Mais parallèlement, les actions restent cosmétiques et le sujet est facilement relégué à la seconde place (sans doute en grande partie parce que les réponses sont complexes, au-delà des effets d’annonce et des happenings publicitaires). Par ailleurs, le contexte général est lui aussi riche d’ambiguïté. Les réseaux sociaux et au-delà les nouvelles technologies numériques donnent en effet l’illusion d’un monde où il paraît très facile de pouvoir se « connecter » aux autres, mais ces relations restent artificielles et ne sont nullement parvenues à combler les fractures qui continuent à exister dans toutes nos sociétés.
Mais qui s’en soucie ?
Aussi, les appels à considérer avec sérieux cet enjeu de santé publique se multiplient-ils. L’année dernière, dans le Figaro, le professeur de psychiatrie Philippe Courtet (CHU de Montpellier) et Elodie Michel (cadre de santé, CHU de Montpellier) s’inquiétaient de l’envahissement de « l’indifférence ». Ils se concentraient notamment sur les troubles psychiatriques et sur le paradoxe de nos sociétés « hyperconnectés » et tout en même temps gangrénées par l’indifférence. « La planète se réchauffe, mais l’humanité de nos sociétés est congelée » débutaient-ils. « Juste avant qu’apparaisse la pandémie de Covid-19, ironie du sort, nous étions alertés sur ce nouveau fléau pour la santé publique qu’est l’absence de connexion sociale, en d’autres termes l’isolement social et le sentiment de solitude. Les faits sont là et sa prévalence est en croissance constante dans nos sociétés «hyperconnectées». Ceci ne devrait-il pas justifier le développement de politiques de prévention de la solitude de même ampleur que la lutte contre d’autres problèmes qui retiennent largement l’attention des pouvoirs publics ? (…) Si la solitude est répandue dans la population générale, elle est plus fréquente et plus grave chez les personnes atteintes de maladies mentales, chez les jeunes comme ce fut observé pendant la pandémie, mais aussi chez les personnes âgées, comme en témoigne le récent Baromètre Solitude et isolement 2021 des Petits Frères des pauvres intitulé «530 000 aînés en mort sociale». On ne meurt pas de solitude, mais elle augmente la mortalité de toute cause et les maladies chroniques, cardiovasculaires, métaboliques, les cancers… (…) Les progrès majeurs de la médecine avaient éliminé nombre de tueurs de masse microbiens grâce à l’hygiène, aux vaccins et aux antibiotiques. Mais rien contre cette toxine difficile à détecter qu’est la solitude. (…) Nous ne manquons donc pas d’arguments scientifiques pour expliquer que l’isolement et la solitude jouent un rôle majeur dans la souffrance psychologique et l’apparition de maladies psychiatriques, dont la plus fréquente est la dépression. (…) Heureusement, des pistes de progrès existent et les psychiatres, en première ligne pour rencontrer les individus vulnérables, ont entre les mains des outils pour lutter contre la douleur sociale et la solitude. (…) Mais au-delà de cette souffrance individuelle, il ne faut pas négliger les conséquences sociologiques de la perte de cohésion sociale, marquée notamment par les revendications identitaires et les attaques contre nos valeurs démocratiques. Mais qui s’en soucie, alors que l’isolement et la solitude représentent des enjeux majeurs et bien actuels pour la santé des citoyens et plus largement pour nos sociétés ? Il serait essentiel de ne pas laisser, seuls, les psychiatres, les organisations non gouvernementales et le monde associatif face à l’ampleur de la tâche. Puissent les innombrables politiques «descendus dans l’arène» ne pas oublier que rompre le lien social est mortel » concluaient-ils.
Le rôle des professionnels de santé
Plus d’un an plus tard, cette semaine, dans Le Monde, un collectif comptant notamment des psychiatres et acteurs impliqués dans la santé mentale appelle à la création d’une « fédération pour le lien social ». « Les chiffres actuels nous interpellent et nous mettent face à une réalité incontestable : être socialement isolé accroît les risques de troubles mentaux et physiques, compromet l’efficacité des traitements, et entraîne des hospitalisations plus fréquentes. La solitude, en particulier, est liée à un risque de décès prématuré augmenté de 26 %, tandis que l’isolement social le fait grimper à 29 %. Les ravages de la solitude sont comparables à fumer quinze cigarettes par jour,dépassant même les méfaits de l’obésité et de la consommation régulière d’alcool. Ces statistiques nous alertent sur l’urgence d’agir. Le 15 novembre 2023, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé une commission visant à promouvoir le lien social, rassemblant des personnalités éminentes. Nous saluons cette initiative et appelons à ce que cette question soit reconnue et financée en France comme une véritable priorité de santé publique. (…) En France, nous faisons face à un défi alarmant. Selon le Joint Research Centre de l’Union européenne, environ 15 % des Français se déclarent seuls la plupart du temps, faisant de notre pays l’un des plus touchés par la solitude en Europe. Alors que Santé publique France met en place des stratégies contre l’obésité, le tabagisme et la consommation d’alcool, il est impératif d’intégrer la lutte contre l’isolement social dans un programme national de santé publique. Adopter une approche globale, systémique et fondée sur des preuves pour contrer la solitude de nos concitoyens doit devenir une priorité. Face à la prévalence alarmante de la solitude, nous estimons qu’il est temps que le système de santé français intègre la détection de l’isolement social, tout comme il le fait pour d’autres facteurs de risque modifiables. Nous suggérons que les professionnels de la santé et les acteurs du travail social évaluent le degré d’isolement social des personnes soignées et accompagnées au moins une fois par an pour mieux répondre à leurs besoins sociaux » plaident-ils.
Défi olympique
Bien sûr, dans leur pratique quotidienne, la plupart des professionnels de santé ont facilement constaté le poids de cette comorbidité supplémentaire qu’est le fait d’être seul. Cependant, ils sont impuissants, non seulement par manque de temps, mais aussi par manque de moyens efficaces. Aussi, les exhortations risquent-elles bien de rester lettre morte sans une véritable impulsion politique, également complexe à mettre en œuvre. Impulsion politique qui doit éviter de se reposer sur des opérations faciles de communication. « Nous devons encourager les meilleures pratiques et ressources pour offrir un environnement social sécurisant dès le plus jeune âge, diminuer l’isolement social, enrichir les relations interpersonnelles, et renforcer la santé sociale en collaboration avec les personnes soignées et accompagnées, les citoyens, les professionnels de la santé, les scientifiques et autres acteurs du système de santé. Enfin, pour concrétiser et développer ces mesures, pour lutter aussi contre les méfaits de la solitude, nous proposons la création d’une Fédération française pour le lien social. (…) Il est urgent de prévenir et traiter l’impact dévastateur de la solitude, réduire les coûts croissants qui en découlent, et contribuer à construire une société fondée sur la confiance et le lien social. En investissant durablement dans ce domaine, non seulement nous améliorerons la qualité de vie de nos concitoyens, mais nous réduirons également les coûts de santé à long terme. Agissons ensemble pour prévenir et atténuer les conséquences profondes de la solitude et de l’isolement social en France », préconisent les auteurs de la tribune publiée dans Le Monde.
Un défi olympique.
A systematic review and meta-analysis of 90 cohort studies of social isolation, loneliness and mortality, Nature Human Behaviour, https://www.nature.com/articles/s41562-023-01617-6
Pr Philippe Courtet (CHU de Montpellier) et Elodie Michel (cadre de santé, CHU de Montpellier) https://www.lefigaro.fr/sciences/lutter-contre-la-solitude-un-besoin-urgent-de-sante-publique-20220220
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