Au début de la crise, notre cerveau nous a encouragés à négliger les informations inquiétantes, considèrent les psychiatres Hugo Bottemanne et Philippe Fossati. D’où une forme d’insouciance collective.
Hugo Bottemanne est interne en psychiatrie. Diplômé en philosophie, il travaille sur la manière dont nous générons et modifions nos croyances à l’Institut du Cerveau et de la Moelle.
Philippe Fossati est professeur de psychiatrie à Sorbonne-Université et chef d’équipe à l’Institut du Cerveau et de la Moelle. Il dirige le département de Psychiatrie Adulte de l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP. Lauréat 2016 du Prix Halphen, il est spécialiste de la dépression.
Dimanche 15 mars, 24 heures avant le discours de mobilisation générale du président de la République Emmanuel Macron et tandis que la Chine a décrété l’état d’urgence sanitaire, beaucoup de Français se rendent aux urnes puis profitent de la chaleur du soleil dans les parcs. Certains observateurs s’étonnent alors du décalage entre les informations provenant du monde et la manière dont nous percevons les risques associés au COVID-19, condamnant l’inconséquence d’une partie de la population et des instances gouvernementales. Rétrospectivement, alors que l’expansion de la pandémie a plongé notre pays dans un climat de crainte et une crise sanitaire sans précédent, l’insouciance qui a prévalu pendant de nombreuses semaines questionne. Avons-nous été victimes de la manière dont fonctionne notre cerveau?
Le cerveau, une machine prédictive?
Notre esprit est tissé par nos croyances à propos du monde. À chaque instant de notre vie, elles définissent ce que nous attendons, ce que nous percevons et ce que nous choisissons. Une théorie influente en sciences cognitives, dite du «cerveau bayésien», suppose que notre cerveau fonctionne comme une «machine à inférences» qui élabore continuellement des croyances à propos de son environnement. Celles-ci lui permettent de générer des hypothèses sur le monde qui sont utilisées pour filtrer la perception et guider nos actions. À chaque fois que notre cerveau détecte une différence entre ce qu’il croit et ce qu’il perçoit, le décalage crée une erreur de prédiction qui lui permet de réviser son modèle. Notre cognition est ainsi constituée d’un cycle perpétuel d’inférences (nous percevons et nous agissons en fonction de nos croyances) et de mises à jour (nous modifions nos croyances en fonction de ce que nous percevons et de ce que nous faisons).