GRAZIA
Direction de la
rédaction
8, rue François Ory
92543 Montrouge Cedex
Madame, Monsieur,
J’ai été
choquée à la lecture de votre dossier intitulé « Autisme, une honte à la
française » dans le numéro 129 de la revue Grazia (semaine du 2 au 8
mars), rédigé par Madame Lumet, ainsi que par son édito intitulé « Merci
Freud ! », attaquant l’approche psychanalytique et institutionnelle
dans la prise en charge des autistes en France.
En tant que
psychologue travaillant dans un service de psychiatrie, je tiens à vous dire
qu’au sein d’une équipe nombreuse et pluridisciplinaire, nous exerçons notre
métier avec passion, empathie et engagement pour nos patients. Nous travaillons
quotidiennement à l’écoute, l’aide et l’accompagnement des personnes que nous
accueillions, ainsi que de leurs proches, et cela dans tous les aspects de leur
vie quotidienne, qu’ils soient familiaux, affectifs, sociaux, médicaux ou
professionnels.
Après que 40
000 malades mentaux soient morts de faim dans les institutions pendant la
guerre, que les premiers asiles aient tristement évolués vers un fonctionnement
quasi carcéral où les handicapés mentaux étaient traités comme des délinquants,
c’est avec l’arrivée de la psychanalyse freudienne et de la psychothérapie
institutionnelle que les personnes atteintes de troubles et handicaps mentaux
ont enfin été reconnus comme pouvant être écoutés, soignés, intégrés dans la
ville et dans la vie professionnelle comme tout autre être humain.
À la suite de
la seconde guerre mondiale, pendant plus de trente ans, l’hôpital public s’est
battu pour développer ces approches et mettre en place la sectorisation des
soins psychiatriques, cela dans le but de rendre les soins accessibles à tous,
sans conditions. Pour permettre que la recherche autour de la maladie mentale
se poursuive et participe à faire évoluer en permanence la qualité de ces
soins. Des structures se sont développées en ville, afin que l’hôpital ne soit
plus un lieu de vie et d’enfermement, et que les patients puissent être soignés
à l’extérieur, pour certains même à leur domicile.
Tout cela a
été l’œuvre certes de personnes formées à la psychanalyse, mais ayant surtout
inventé ce que nous appelons aujourd’hui la « clinique du sujet »,
c’est-à-dire une approche qui considère que chaque personne est unique, et que
chaque prise en charge doit être adaptée à ses besoins, à ses désirs, à ses
capacités. Que chacun doit se sentir acteur de son projet de vie, quelles que
soient ses difficultés.
Dans le
service au sein duquel je travaille, sur une équipe d’une centaine de
personnes, seulement quelques-unes sont des psychanalystes. Pourtant, nous
sommes quasiment tous formés et sensibles à une approche analytique dans
l’institution, approche dont nous savons que nous ne pouvons faire l’impasse,
car nous permettant le recul nécessaire pour comprendre et appréhender les
situations complexes et difficultés que le travail quotidien auprès de nos patients
nous impose. Ce travail n’a rien à voir avec les « cabinets »
auxquels vous faites référence dans cet article, et dont nous savons qu’on y a
trouvé depuis toujours les pires dérives – comme dans toutes les disciplines
libérales.
Vous
considérez l’approche française « vieillotte ». Sachez que nous
recevons régulièrement dans notre service des stagiaires du monde entier, venus
observer et découvrir ce qui fait la spécificité de la psychiatrie française, à
savoir la sectorisation et la pratique institutionnelle pluridisciplinaire.
Cette organisation des soins n’existe - effectivement - nulle part ailleurs et
a permis, contrairement à d’autres pays où les malades mentaux se sont
retrouvés littéralement abandonnés à eux-mêmes, de maintenir depuis
l’après-guerre la réelle qualité du travail d’assistance publique. Ce qui est
« vieillot » aujourd’hui est de considérer qu’une approche est la
seule valable, et qu’elle doit annuler toutes les autres, en les
« condamnant », sans distinction ni nuances, sans que ces attaques
soient étayées sur une réelle étude et observation des réalités du terrain.
Aujourd’hui, la plupart des praticiens hospitaliers sont pour la combinaison
des approches, et savent qu’il n’y a aucune raison d’interdire l’une pour le
profit d’une autre, mais qu’elles peuvent au contraire se compléter, toujours
pour proposer aux patients le meilleur panel d’étayages possible.
Alors oui, les
« lobby » de « psykks » auxquels vous faites référence dans
votre article sont fortement mobilisés face à ces attaques. Et ils le resteront
certainement tant que leur travail auprès des personnes en difficulté sera
considéré par ceux qui ne le connaissent pas comme une « honte ». Il
me semble que les médias destinés au grand public comme le vôtre, ont un rôle à
jouer dans ces questions, en effectuant de réelles enquêtes de terrain, sans
imposer aux lecteurs une opinion toute faite, sur une maladie et une situation
sociétale que même les spécialistes du sujet jugent extrêmement complexe.
Suite à votre
article, je ne doute pas que vous jugerez pertinent de m’accorder ce droit de
réponse.
Je vous prie d’agréer, Madame,
Monsieur, l’expression de mes sentiments respectueux.
Clémence Renonciat
Clémence Renonciat