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samedi 1 juin 2024

Interview croisée Aide à mourir : «Il faut faire de la dentelle législative»

par Laure Equy et Nathalie Raulin   publié le 12 mai 2024 à 8h09

Consentement des patients, réactions des soignants… Le rapporteur du texte étudié en commission à l’Assemblée dès lundi, Olivier Falorni, et le médecin Michel Denis, responsable d’une unité de soins palliatifs, échangent sur les dispositions les plus sensibles du projet de loi sur la fin de vie. 

D’un côté, un législateur, partisan de longue date d’ouvrir un droit à l’aide à mourir. De l’autre, un praticien de terrain, qui accompagne au quotidien des patients jusqu’à leur dernier souffle. Avant que la commission spéciale de l’Assemblée nationale commence, ce lundi 13 mai, à examiner le projet de loi sur la fin de vie, socle de la grande réforme sociétale du deuxième quinquennat Macron, Libération confronte son rapporteur général, le député (Modem) Olivier Falorni, au docteur Michel Denis, responsable de l’unité des douleurs chroniques et de soins palliatifs de l’hôpital d’Argenteuil (Val-d’Oise).

C’est son service qu’Emmanuel Macron a visité, en février, peu avant de dévoiler ses arbitrages. Un échange propre à éclairer les sujets d’inquiétude que soulève ce texte, déjà visé par près de 2 000 amendements, qui sera débattu en séance publique à compter du 27 mai. Qu’est-ce qu’un pronostic vital engagé à moyen terme ? La responsabilité d’accorder le droit à l’aide à mourir doit-elle incomber à un seul médecin ? Faut-il laisser une personne non soignante accomplir un geste létal ? Autant de questions lourdes auxquelles les députés devront apporter une réponse d’ici au 11 juin, date fixée pour le vote solennel.

Comme rapporteur ou praticien, quel regard portez-vous sur ce projet de loi qui instaure une aide à mourir ?

Olivier Falorni : En tant que député de La Rochelle-Ile-de-Ré, permettez-moi une métaphore maritime : ce projet de loi, qui arrive enfin à quai, est arrimé à deux piliers, les soins palliatifs et l’aide à mourir. La traversée parlementaire va commencer. Il faut prendre le temps, mais pas un temps inconsidéré. Des malades en fin de vie souhaitent avoir cette sécurité. Il y a eu quatre lois sur la fin de vie, en 1999, 2002, 2005 et 2016, qui ont permis de conquérir des droits pour les malades : celui de ne pas souffrir et le droit de ne pas subir, de refuser l’acharnement thérapeutique. Depuis longtemps, je pense qu’il est nécessaire d’ouvrir le champ des possibles en considérant que les soins palliatifs sont une réponse primordiale et que l’aide à mourir est aussi un recours, un recours ultime. Je suis un militant des soins palliatifs et un partisan de l’aide à mourir : les deux sont complémentaires.

Michel Denis : Je me réjouis que le premier article du texte soit consacré au développement des soins palliatifs. Et j’adhère à la proposition de les renommer «soins d’accompagnement» : se présenter en tant que soins palliatifs peut être très dur pour un patient atteint d’une maladie incurable sans qu’il soit encore confronté à une fin de vie proche. Sur l’aide à mourir, je n’ai jamais eu une posture dogmatique. Je ne suis pas opposé au fait que, sous certaines conditions, une aide à mourir soit proposée au patient. Mais je m’interroge sur sa mise en œuvre sur le terrain.

Quel point en particulier vous pose question ?

M. D. : Le pronostic vital engagé à moyen terme [un des critères auquel doit répondre un patient demandant l’aide à mourir, ndlr] va être difficile à évaluer. On ne peut pas limiter, je le comprends, l’aide à mourir au pronostic engagé à court terme, soit quelques jours au maximum. On peut imaginer qu’un patient atteint de la maladie de Charcot éprouve le besoin de demander une aide à mourir avant la phase ultime. Mais comment juger d’un pronostic vital à moyen terme ? Le Conseil d’Etat préconise de clarifier. C’est indispensable.

Comprenez-vous la difficulté des médecins qui vont devoir déterminer ce pronostic vital ?

O. F. : Le législateur a pour mission d’encadrer cette ultime liberté par des conditions d’accès : une pathologie incurable, des souffrances réfractaires et insupportables et le pronostic vital. Dans toutes les auditions que nous avons menées, la question du moyen terme a été présentée comme excessivement problématique à évaluer. De très nombreux médecins, favorables ou opposés au projet de loi, nous ont dit qu’il était impossible d’avoir un diagnostic précis au-delà du court terme, c’est-à-dire quelques jours. Et ce, quelle que soit la durée retenue, six ou douze mois.

M. D. : Le Conseil d’Etat suggère d’aller jusqu’à un an. Dans mon unité, un monsieur est hospitalisé : on croyait qu’il allait mourir l’été dernier et il est toujours vivant. C’est une notion extrêmement difficile mais il faut bien s’y confronter.

Le texte prévoit que la décision d’accéder à la demande d’aide à mourir repose sur un médecin, après consultation d’un spécialiste de la pathologie et d’un paramédical. Cette responsabilité, portée par un seul praticien, est-elle trop lourde à porter ?

O. F. : Ce sera une réflexion collégiale. La décision finale appartient au médecin sollicité mais il doit recueillir l’avis d’un autre médecin qui ne connaît pas le malade et d’un infirmier ou aide-soignant en relation avec le malade. Je pense que c’est une procédure adaptée. En Espagne, il faut parfois cinquante jours pour obtenir une décision. Je militais pour un délai plafond : une réponse sous quinze jours maximum. Il n’y aurait rien de pire que de voter un texte qui s’avérerait inapplicable.

M. D. : Je suis d’accord avec vous, il faut bien que quelqu’un soit responsable de la décision et le médecin la nourrit en consultant. Mais je connais l’emploi du temps des médecins. On parle d’une décision extrêmement engageante. Sans retour possible. Je pense à mes collègues oncologues, cardiologues, pneumologues, médecins généralistes qui sont submergés par leur activité quotidienne. Quand ils seront confrontés à une demande, je crains qu’ils se disent : «Non, je ne me lance pas là-dedans vu la responsabilité. Je n’ai pas le temps de me poser pour juger de l’aspect réfractaire de la souffrance, du pronostic de vie.» Décider que oui, une personne relève d’un suicide assisté, c’est irréversible.

O. F. : Mais comme la maladie.

M. D. : Oui mais là, il y aura un acte qui terminera une vie et entraînera la mort.

O. F. : Sachant que le malade, lui, peut revenir en permanence sur sa demande.

M. D. : Tout à fait. Mais on est face à quelque chose que le monde médical, en France, n’a jamais usité, ou l’a fait il y a plus d’une vingtaine d’années, quand des cocktails lytiques étaient prescrits sous le manteau. Les soignants en gardent un souvenir extrêmement douloureux.

Ne serait-il pas moins difficile pour un médecin de traiter les dossiers de patients qu’il ne connaît pas ?

M. D. : Je m’interroge. Une relation affective très forte lie le praticien aux patients qu’il suit pour une affection chronique incurable. Cela pèsera dans sa décision. Peut-être faut-il imaginer des équipes dédiées qui seraient sollicitées pour analyser ces demandes en respectant la collégialité.

O. F. : Pour moi, il n’est pas envisageable d’interdire à un malade de solliciter son médecin traitant.

M. D. : Ce n’est pas ce que je dis et je pense que ces équipes faciliteraient l’application de la loi au domicile.

O. F. : La relation de confiance et la connaissance du malade revêtent un aspect émotionnel très fort. C’est pourquoi le deuxième médecin consulté ne doit pas connaître le patient. La loi le précise. Je crois que l’équilibre trouvé est à peu près satisfaisant. Et il y aura un registre de médecins volontaires pour permettre à un malade qui rencontre des difficultés sur un territoire de contacter un praticien prêt à l’aider dans sa démarche.

Le texte fait du consentement du malade une condition essentielle, qu’il doit réitérer à chaque étape et jusqu’à l’acte final. S’il n’est plus en capacité de le faire, le processus s’interrompt…

O. F. : La réitération du consentement est évidemment essentielle. Quand le discernement d’un malade est aboli, sa volonté n’est plus libre et éclairée. Mais il va falloir prêter attention à certaines situations, comme les cas où le malade perdrait son discernement, sa conscience, après avoir obtenu l’acceptation médicale. Comment refuser l’aide à mourir alors que son état se serait encore aggravé ? Ce serait une double peine.

Selon vous, les directives anticipées pourraient-elles remplacer l’expression du consentement si le malade n’était plus en état de le réitérer ?

O. F. : L’article 4 du projet de loi prévoit de développer les directives anticipées et la personne de confiance. Il faut donner un sens à ces dispositions. Il faut faire de la dentelle législative.

M. D. : La réitération du consentement au bout de quarante-huit heures et avant l’administration du produit létal est, à mon sens, indispensable. Mais certains cas interrogent. Avec mon équipe de soins palliatifs, on a ressorti les dossiers des patients qui avaient verbalisé une demande d’aide à mourir, qu’on ne pouvait pas alors satisfaire. Parmi eux, il y avait un patient porteur d’une maladie de Charcot qui jugeait que sa vie deviendrait insupportable quand il ne pourrait plus communiquer. Son cas montre à quel point le sujet est délicat : s’il avait attendu que sa pathologie le prive de parole, ce malade n’aurait peut-être plus été éligible à l’aide à mourir… La question d’une instruction anticipée valant, dans certains cas, réitération du consentement, mérite d’être posée. A l’inverse, il faudrait aller plus loin dans l’encadrement du processus.

Que voulez-vous dire ?

M. D. : En l’état si un patient éligible à l’aide à mourir demande à ce qu’elle soit effectuée au bout de trois mois, la seule corde de rappel est de vérifier que son discernement est intact. A mon avis, l’ensemble des critères devraient être réévalués. Rappelons-nous, avant 1995, on voyait des patients atteints du VIH mourir chaque jour. Puis les trithérapies sont arrivées et le pronostic vital des malades a changé du tout au tout ! Les progrès médicaux, en oncologie notamment, sont incessants : l’arrivée de l’immunothérapie a beaucoup changé le pronostic vital et la qualité de vie des malades atteints de cancers du poumon.

Vos soignants sont-ils prêts à accompagner les demandes d’aide à mourir ?

M. D. : Mes collègues paramédicaux s’expriment avec deux casquettes. Quand Emmanuel Macron est venu, le 8 février, une aide-soignante lui a dit qu’elle serait peut-être la première à demander une aide à mourir si elle était atteinte d’une maladie de Charcot mais qu’en tant que soignante, elle ne se voyait absolument pas la pratiquer. J’entends cela tout le temps et je le respecte.

O. F. : Il est évident que des soignants refuseront de faire ce geste. Mais il faut aussi se souvenir des débats sur l’IVG en 1974. Que disaient alors les opposants ? Qu’il y aurait des refus massifs de pratiquer des avortements ou des vagues de démissions. On n’a rien observé de tel. Je sais qu’il y aura des médecins, des infirmiers qui accepteront d’accompagner les demandes d’aide à mourir, certains considèrent même que c’est un ultime soin.

Etes-vous favorable à l’intervention d’un proche ?

M. D. : Non. Pour moi, l’administration d’un produit létal doit rester un acte professionnel qui relève du monde médico-soignant. Quelles seraient les conséquences pour un néophyte dans la durée ? Cela peut paraître facile dans un moment aigu d’émotion mais comment vit-on avec cela après ? Je n’en sais rien. A mon sens, les médecins et les soignants qui accepteront de prêter leur concours à cette aide devront aussi bénéficier d’une formation, juridique et psychologique.

O. F. : Il y aurait, à mes yeux, deux conditions. La demande devrait être préparée suffisamment en amont. Rien ne serait pire que d’avoir à agir au dernier instant. Et il faudrait que le proche puisse éventuellement bénéficier d’une aide psychologique. Mais je pense qu’il faut vraiment privilégier l’accompagnement par un médecin ou un infirmier.

Craignez-vous que l’approche des élections européennes polarise le débat ?

O. F. : Je ne crois pas. Ce sujet sociétal transcende les appartenances politiques. Ceux qui voudraient privilégier l’outrance aux arguments, le pugilat au débat, seraient très sévèrement jugés par les Français.


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