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jeudi 18 mars 2021

" Les paradoxes de la liberté dans un hôpital psychiatrique " d'André Lévy

Par CLAUDINE HERZLICH  Publié le 24 janvier 1970

UN hôpital psychiatrique peut-il être autre chose qu'une prison destinée à " interner " les " aliénés " ? Peut-il laisser ses portes ouvertes ? Cette expérience a été tentée à l'hôpital B... et a échoué. André Lévy, qui en a été le témoin, raconte comment.

Dès la création de l'hôpital, le médecin-chef et le personnel sont décidés à travailler selon de " nouvelles méthodes " : ouverture des portes, suppression des sanctions et des hiérarchies formelles, mixité du personnel et des malades... Celles-ci représentent plus que de simples règles d'organisation : elle obéissent à une idéologie, celle de l'hôpital " ouvert ", en rupture avec l' " hôpital ancien ", synonyme d'autorité absolue, d'oppression des malades, de clans et de privilèges. Pour permettre au personnel d'assumer plus complètement ces innovations, on a demandé l'intervention de deux psychosociologues - dont André Lévy. Ceux-ci devaient, au cours de discussions en groupe, aider les membres de l'hôpital à analyser les attitudes et sentiments provoqués par l'application des " nouvelles méthodes ".

Le livre décrit la façon dont chacun vit le changement, y réagit et, tout en le souhaitant, progressivement l'annule. Accueillies d'abord avec enthousiasme, les " nouvelles méthodes " seront en effet vécues dans l'ambivalence. Aux contraintes de l'organisation hiérarchique de l'hôpital ancien, elles substituent de nouvelles exigences : chacun doit renoncer à ses tendances égoïstes et agressives envers les malades. L'ouverture des portes, les fréquents changements d'horaire, l'abolition des distances avec les malades, engendrent chez le personnel des anxiétés multiples. A la fin d'une année, les " nouvelles méthodes ", toujours prônées mais sans cesse mises en doute, ne sont ni vraiment appliquées ni explicitement rejetées.

Selon l'auteur, anxiété et ambivalence ont leur source dons le caractère contradictoire des " nouvelles méthodes " elles-mêmes. La contradiction fondamentale tient à la fonction sociale de l'hôpital psychiatrique. L'hôpital ancien, en enfermant le malade mental, répondait sans détour à la menace qu'il représente pour toute société. L'hôpital " ouvert ", dit André Lévy, refuse, au contraire, " ce mode de défense primaire ". Mais il ne cesse pas d'assurer la même fonction : débarrasser la société de ses malades mentaux. De là provient la tension des membres du personnel, qui doivent " assumer toute l'anxiété dont la société s'est déchargée sur eux et ne pas s'en décharger à leur tour (par des actes autoritaires ou répressifs envers les malades) ". En outre, en négligeant les besoins de stabilité et de contrôle qui subsistent même dans un groupe décidé au changement, l'application des " nouvelles méthodes " ne peut que perpétuer les conflits.

Bien que les acteurs de ce petit drame aient eu le sentiment de vivre une expérience " unique ", de tels essais de réforme des hôpitaux psychiatriques sont nombreux, en France et ailleurs. L'auteur cherche moins à tirer des conclusions quant aux possi-sibilités de succès ou d'échec de ces tentatives qu'à analyser, sans les habituels partis pris doctrinaux des tenants de la psychothérapie institutionnelle, les " paradoxes " et les contradictions sur lesquels elles reposent fréquemment.

André Lévy est influencé par le courant, d'origine anglaise, qui tente d'appliquer au fonctionnement des groupes des concepts psychanalytiques. Pour lui, le conflit psychologique, entendu au sens freudien, joue un rôle fondamental dans le fonctionnement des institutions. Hostile à l'idée que la structure sociale détermine sentiments et attitudes, il voudrait montrer, au contraire, comment ceux-ci retentissent sur celles-là. Il tente de lier dans son analyse l'" affectif " et le " rationnel " (c'est-à-dire, sem-ble-t-il, les règles formelles qui gouvernent le fonctionnement des institutions), le psychologique et le sociologique. Mais, sur ce point, le livre traduit un certain déséquilibre : l'analyse des attitudes et sentiments est infiniment plus poussée que celle du système social de l'hôpital et de son évolution. Le conflit entre les anciennes et nouvelles méthodes n'est pas seulement l'expression de besoins psychologiques, d'anxiétés inconscientes. Il traduit aussi - ceci transparaît dans sa description - les statuts, les idéologies, les luttes, qui opposent les différents groupes professionnels en présence dans l'hôpital.


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