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samedi 20 mars 2021

CheckNews Le nombre de lits de réanimation a-t-il vraiment baissé de 30% en un an en Ile-de-France ?

par Vincent Coquaz  publié le 19 mars 2021

Une capture d’écran d’un article du «Canard enchaîné», datant d’octobre, relance le débat sur le nombre de lits de réanimation en région parisienne. Au prix de quelques confusions.

Bonjour,

Votre question porte sur une capture d’écran du Canard enchaînélargement partagée sur Twitter depuis mercredi 17 mars. Les commentaires qui l’accompagnent accusent le gouvernement d’avoir «délibérément laissé baisser le nombre de lits» de réanimation en Ile-de-France, qui serait passé de 2 500 en mars 2020, à «1 700 aujourd’hui». Et ce alors que le taux d’occupation des lits de réanimation par des patients malades du Covid-19 dans la région a dépassé les 100%, et que le nombre de malades en réanimation a dépassé le pic de la deuxième vague, poussant les autorités à envisager des mesures sanitaires plus restrictives.

Cette «révélation» du Canard est reprise et partagée par des milliers de personnes dans la foulée, y compris des éditorialistes, comme Guillaume Bigot (CNews, Sud Radio) qui en appelle à la démission du Premier ministre. Pour certains, il s’agirait même d’une stratégie organisée par le gouvernement pour  «vous faire croire à l’extrême gravité de cette épidémie».

Confusion entre capacité temporaire et capacité durable

Premier problème : la capture d’écran (en général suffisamment floue pour qu’on ne puisse pas la lire en détail) de l’hebdomadaire ne décrit pas la situation «aujourd’hui» dans les services de réanimation pour la simple et bonne raison qu’elle date… de l’édition du 21 octobre 2020 du Canard enchaîné.

Ensuite, les tweets comparent des situations très différentes, et font deux confusions, entre la première et la deuxième vague d’abord, et surtout entre capacité temporaire et capacité durable.

Ainsi, en Ile-de-France, on dénombrait environ 1 150 lits de réanimation (expression qui englobe le matériel et surtout le personnel nécessaire pour s’occuper d’un patient en réanimation) avant la crise fin 2019.

Cette capacité avait été portée à 2 700 lits pour les patients Covid lors du pic de l’épidémie, en avril 2020. C’est ce premier chiffre que cite le Canard. Au niveau national, cette même stratégie avait permis de passer la capacité de 5 000 à 10 000 lits lors de la première vague. Ce qui avait permis à Emmanuel Macron d’estimer en octobre dernier que la France avait réussi un effort de «doublement», sans préciser que cette augmentation était nécessairement temporaire.

Des lits réaffectés

Ces lits ne sont pas vraiment créés mais plutôt réaffectés, notamment grâce à la politique massive de déprogrammation des patients non-Covid. Les lits proviennent par exemple de «lits de surveillance continue transformés en lits de réanimation» ou «d’unités d’hospitalisation et notamment des unités d’ambulatoire»,selon une note de la Haute Autorité de santé (HAS).

Six mois plus tard, fin octobre, au cœur de la deuxième vague, le Canard enchaîné faisait état, pour l’Ile-de-France, de 1 700 lits de réanimation disponibles dans la région. Ce qui ne veut pas dire que 1 000 lits ont été supprimés entre la première et la deuxième vague, mais que moins de lits ont été réaffectés en réanimation. Pourquoi ? La dynamique épidémique n’était tout simplement pas la même dans la région : lors de la deuxième vague, un peu plus de 1 100 personnes au maximum ont été en réanimation en même temps. Contre plus de 2 600 lors de la première vague.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Si l’on s’intéresse aux lits de réanimation qui perdurent, hors déprogrammation, le chiffre est «sensiblement le même» depuis un an selon l’agence régionale de santé (ARS). Une différence toutefois : là où il existait une tension importante sur les médicaments et les respirateurs nécessaires en réanimation, les hôpitaux d’Ile-de-France disposent désormais de stocks suffisants. Comme lors de la première et de la deuxième vague, des lits supplémentaires ont été ajoutés ces dernières semaines avec l’afflux de patients souffrant du Covid. Mais pour l’heure dans un nombre inférieur.

Ainsi, à ce jour, 1 400 lits de réanimation sont disponibles pour les patients Covid, avec un objectif de 1 500 à court terme, indique à CheckNews l’ARS francilienne. «Il faut évidemment y ajouter quelques centaines de lits non-Covid en plus, pour de la réanimation non programmée (urgences, accidents d’ampleur ou attentat par exemple)», ajoute l’institution. Pour parvenir à cet objectif, celle-ci a demandé aux établissements de santé de déprogrammer «40% de leur activité déprogrammable» dans les jours qui viennent, alors qu’ils avaient atteint 80% de déprogrammation de l’ensemble de leur activité lors du pic de la première vague. Aujourd’hui, ce taux se situe à 30%, estime l’ARS.

«La cancérologie est sanctuarisée»

Alors que certains commentateurs s’étonnent qu’on n’ouvre pas davantage de lits, les spécialistes insistent sur le fait que l’opération demande non seulement du personnel (qui n’est pas forcément disponible), mais se fait aussi au détriment d’autres activités. Certains médecins réanimateurs alertent ainsi depuis plusieurs mois sur le fait qu’ils ne pourront pas nécessairement augmenter leur capacité (même temporaire) de façon aussi importante que lors de la première vague. Et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord la politique de déprogrammation a évolué. Lors de la seconde vague, les médecins ont été ainsi plus réticents à déprogrammer aussi massivement que lors de la première vague, et ont voulu s’en tenir aux opérations les moins urgentes. «Aujourd’hui, toute la cancérologie est sanctuarisée», note par exemple l’ARS. Or, si l’on déprogramme moins, on peut mécaniquement réaffecter moins de lits en réanimation. Autre différence de taille : contrairement à la première vague, l’ensemble du territoire est désormais touché de façon plus uniforme, empêchant des transferts de personnels soignants vers les régions les plus touchées, et donc l’ouverture de lits supplémentaires.

«Si on doit déprogrammer davantage, on le fera»

En cas de besoin, différents «aménagements» (notamment des réaffectations de lits) devraient permettre de «monter entre 12 000 et 14 000 lits de réanimation» dans tout le pays dans les prochaines semaines, soit plus encore que lors de la première vague, juge Jean-Michel Constantin, secrétaire général de la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar), interrogé fin janvier par la MontagneCelui-ci soulignait au passage la difficulté d’ouvrir de façon durable et rapide des lits de réanimation, notamment en termes de personnel : «Pour ouvrir un lit de réanimation et le faire tourner vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il faut cinq infirmiers par lit. C’est colossal en matière de moyens humains.»

«Si ça s’aggrave, il n’y a que deux solutions : transférer des patients vers des régions où la tension est moins forte, et surtout déprogrammer plus, indique-t-on à l’ARS Ile-de-France. Si on doit déprogrammer davantage, on le fera. On pourra monter à 2 700 comme lors de la première vague. Mais ce n’est pas anodin.» Cette fois-ci, les autorités disposent tout de même d’un avantage non négligeable : l’anticipation. «Ce n’est plus la même situation, on a appris, estime l’agence. En mars 2020, on avait tout fait du jour au lendemain. Maintenant on peut déprogrammer plus progressivement, en accélérant ou ralentissant le rythme.»


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