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jeudi 18 mars 2021

Documentaire «Les Mâles du siècle» : comment le féminisme fait bouger les masculinités

par Marlène Thomaspublié le 8 mars 2021

Le documentaire du réalisateur Laurent Metterie et de la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie confronte les hommes de tous âges et de toutes conditions aux conquêtes et combats féministes.

Comment le féminisme transforme-t-il les hommes ? Le documentaire les Mâles du siècle, sorti en VOD début mars, entreprend de répondre à cette interrogation sensible par le prisme de paroles masculines intimes assez rares. Ce film est le fruit de la collaboration entre le réalisateur Laurent Metterie et sa conseillère scientifique, Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe et professeure de science politique. Procréation, travail, famille, violences, genre, sexualités… Il retrace en 2 h 20 l’influence des différentes vagues du féminisme sur les masculinités.

Une trentaine de personnes, dont des hommes et femmes trans, sont interrogées pour ce projet, mis sur pied grâce à une campagne de financement participatif. Agés de 17 à 95 ans, les participants sont de tout horizon et de tout milieu social, de celles et ceux qui avaient 20 ans dans les années 70, marquées par la conquête des droits contraceptifs, à celles et ceux qui ont 20 ans aujourd’hui, période post-#MeToo. Choix a été fait de ne pas les présenter pour laisser les identités vivre et se construire au fil des témoignages. L’âge, le prénom, la profession «surimposent une sorte de filtre qui nous empêche de recevoir les propos de façon directe, sans être médiée par toutes les représentations qu’on y associe», a fait valoir Camille Froidevaux-Metterie lors de l’avant-première en ligne, fin février.

Chacune des 17 thématiques explorées est «une sorte de synthèse des positions des hommes», certaines «traditionnelles et d’autres plus contemporaines et sans doute plus féministes», expose Camille Froidevaux-Metterie. La force de ce film réside dans son caractère authentique. Ce qui implique aussi, dans le lot, des propos sexistes, transphobes, racistes ou grossophobes piquants, voire insupportables. Sans recourir à une voix off injonctive, «nous espérons que le même qui va se reconnaître dans des propos sexistes ou homophobes va aussi entendre des contrepoints», explique la conseillère.

«Injonctions viriles»

Il est ainsi possible d’entendre l’un objecter «ce n’est pas à moi de faire [les tâches ménagères] car je travaille 60 heures par semaine»,quand un autre prône l’évidence de s’en charger «à parts égales». De vivre des moments réjouissants lorsqu’un lycéen se lance dans une description du longtemps mystérieux clitoris. L’occasion aussi de cogiter sur la fluidité des genres et l’enfermement des individus dans une masculinité toxique par les voix de deux femmes trans. «L’une d’elles, qui a fait sa transition à l’âge de 50 ans, dit clairement que si elle avait été dans une société qui n’était pas si impérative et si répressive en termes de normes et d’injonctions viriles, […] peut-être qu’elle n’aurait pas fait de transition», relève Camille Froideveaux-Metterie.

Mis face à leurs privilèges, certains interlocuteurs s’autorisent à aller au bout de leurs réflexions, même sur les terrains les plus glissants. Le chapitre sur les violences montre des paroles aussi inhabituelles que douloureuses à entendre pour les femmes. Comme cet homme qui juge que «tout peut être vécu comme du harcèlement», cet autre qui confesse avoir pris conscience «des conneries» faites quand il était «gosse», comme «des mains aux fesses», mais dirait «encore aujourd’hui [que] ça reste gentillet mais en vrai ça ne l’est pas». «J’ai étranglé ma femme, ce qui n’est pas rien», avoue un dernier en assurant n’avoir jamais fait preuve de violences auparavant. «[La violence] est là dans tous les hommes potentiellement», réalise-t-il. Et même en lui donc.

Un film en forme de miroir

Usant d’une «forme un peu abrupte», le réalisateur présente un miroir aux hommes avec son film. Laurent Metterie espère que les spectateurs «vont s’y voir selon leur génération et se demander “où j’en suis ?”» comme lui-même a pu le faire. L’une des hypothèses initiales était que les trentenaires seraient la «génération bascule»ayant «intégré un certain nombre d’enseignements féministes»,énonce Camille Froidevaux-Metterie. Le changement se serait finalement opéré plus tard. «Les trentenaires, comme le dit l’un d’entre eux, est une “génération [qui] est encore dans l’effort”. […] Nous pouvons voir assez nettement dans le film que les vingtenaires donnent le sentiment d’être passé à quelque chose de nouveau», ajoute-t-elle, tout en nuançant que, «sur le “féministomètre”, ce n’est pas parce qu’on est de plus en plus jeune qu’on est automatiquement de plus en plus féministe».

La voix des femmes est portée par des comédiennes lors «d’intermèdes féministes» percutants. Chaque chapitre s’ouvre sur la lecture d’un texte, de Valerie Solanas à Gisèle Halimi en passant par Andrea Dworkin ou Virginie Despentes. Certains frappent par leur modernité comme celui de l’anarchiste russe Emma Goldman, couché sur papier en 1908. «Le féminisme est un projet politique de transformation tellement global que ces textes disent tous quelque chose d’important pour aujourd’hui», remarque celle qui les a dénichés.

La décision de filmer ces actrices dans un cadre suggérant leur nudité a cependant fait tiquer. Laurent Metterie défend un parti pris «très réfléchi», «un nu féministe» montrant une «femme qui parle et pense». La philosophe abonde : «On a voulu donner à voir des corps nus qui pensent et s’extirpent de l’objectification», des «corps sujets.» Au bout de ce cheminement inégal des hommes face aux conquêtes féministes, la palme de la conclusion revient à l’aîné : «On sort quand même d’une longue période où ce sont les hommes qui dirigeaient tout, maintenant on commence à voir des femmes. Il y en avait bien besoin.»


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