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lundi 18 juillet 2022

« A 38 ans, je n’éprouve ni le besoin d’être en couple ni celui d’entretenir des rapports sexuels. Et aucun manque ne se fait sentir »

Par   Publié le 16 juillet 2022

« Premières fois ». Cette semaine, Lucie, ingénieure dans le domaine du bâtiment, et la découverte de son asexualité.

Mon copain cochait toutes les cases du petit ami parfait. J’étais étudiante en master de physique, il avait à peu près le même âge que moi. On avait de vrais atomes crochus. On discutait, on se faisait des massages – mais nous ne sommes jamais allés au-delà des préliminaires. Lui voulait aller plus loin, de mon côté, je ne me sentais pas prête et il le respectait totalement. Quand les vacances d’été sont arrivées, il m’a invitée dans sa maison familiale à la campagne. On se baladait en forêt, on partageait le même lit.

Cette proximité forcée m’a fait réaliser que cela ne pouvait pas durer. Une fois rentrée, j’ai fini par lui écrire une lettre de rupture, après dix mois de relation. Je sentais que quelque chose clochait : je constatais une sorte d’asymétrie entre ses sentiments et les miens, et je n’avais pas de désir pour lui. J’avais 25 ans, et c’est à partir de cette époque que j’ai commencé à mettre des mots sur ce qui me caractérise : l’asexualité et l’aromantisme.

Lorsque j’ai besoin d’expliquer en quoi l’asexualité consiste, j’ai coutume de dire : « Tu vois les hétéros ? Ils lorgnent le sexe opposé. Les homos ? Les personnes du même sexe. Les bisexuels ? Ils sont intéressés par les deux. Et les “aces” (asexuels) ? Ils n’en désirent aucuns. » Toutefois, des « aces » peuvent souhaiter avoir une relation de couple, ce n’est pas incompatible. Je me reconnais aussi dans la notion d’ « aromantique » car je n’éprouve pas non plus de sentiment amoureux.

Un bout de bois dans un tiroir d’aimants

Lorsque j’étais étudiante, mes amis ne concevaient pas que je puisse ne pas être intéressée par la sexualité, les relations amoureuses. Je me sentais comme un bout de bois au milieu d’un tiroir d’aimants… Je ne comprenais pas pourquoi je ne m’y intéressais pas. J’étais plutôt introvertie, concentrée sur mes études. J’ai pourtant eu une première relation, à 22 ans. J’étais partie en Allemagne, en année Erasmus. Avec ce garçon, nous nous sommes rencontrés sur un forum en ligne consacré à la virginité tardive. On conversait à l’écrit, puis on est passés sur Skype – on discutait pratiquement tous les soirs. Nous avions une relation complice, comme des pièces de puzzle qu’on assemble. Il habitait en Bretagne.

« Si on m’en avait parlé avant, je n’aurais pas eu à être dans cette quête de moi-même, et cela m’aurait évité de blesser ces deux garçons »

J’ai parcouru plus de 1 000 kilomètres pour aller le voir. Pendant le trajet, j’étais déjà remplie de doutes et, une fois sur place, je me suis aperçue que j’aimais davantage l’idée du couple que la personne elle-même. « Avoir une relation », cela rassure, on se sent normal. Cette prise de conscience fut difficile. Encore plus pour ce garçon qui m’a vue partir le lendemain, en m’excusant de m’être crue amoureuse… A ce moment, je n’avais pas réalisé que j’étais asexuelle et aromantique : je me disais simplement que ce n’était pas le bon.

Depuis quelques années, d’autres formes de sexualité, qui sortent de la norme hétérosexuelle, sont mises en lumière. Je m’en réjouis. Il demeure toutefois rare dans une fiction d’observer des personnages ne pas avoir de relation amoureuse ou sexuelle. Certaines séries commencent à traiter ces sujets mais, pour moi, cette mise en exergue intervient un peu tard. Si on m’en avait parlé avant, je n’aurais pas eu à être dans cette quête de moi-même, et cela m’aurait évité de blesser ces deux garçons.

En dehors d’eux, je n’ai vécu aucune autre expérience amoureuse ou sexuelle. Je n’en ressens pas le besoin. Contrairement à certains « aces » qui peuvent avoir une libido normale – sans pour autant éprouver d’attirance sexuelle envers autrui – je ne ressens du désir sexuel que très rarement et à un degré relativement bas. Il m’arrive néanmoins de lire des textes pornographiques. Je trouve cela plaisant mais, dès que je quitte le registre fictif pour la réalité, cela ne m’intéresse plus du tout.

Aucun manque

Lors d’une sortie avec des collègues, dont certains sont aussi des amis, l’occasion de faire un coming out s’est présentée. Les réactions ont été mitigées. Certains l’ont très bien accueilli. D’autres sont restés incrédules, convaincus qu’on ne peut pas être asexuel. Un copain m’a glissé : « Pas de problème, je comprends. Mais si un jour tu veux, tu sais que je suis dispo ! » Parfois j’ai aussi droit au fameux : « Tu dis ça parce que tu n’as pas trouvé le bon ! » Lors d’un précédent travail – je suis ingénieure dans le domaine du bâtiment – , une collègue passait son temps à vouloir me présenter à d’autres… Ces réactions ont tendance à m’agacer car elles sous-entendent que l’on n’est pas complet en n’étant pas en couple.

Dans ma famille, hormis avec mon grand-père, je n’ai jamais ressenti la « pression sociale du couple ». Mes parents m’ont toujours laissé une grande liberté. Ma mère était éducatrice, et mon père ingénieur, comme moi. J’ai eu l’occasion de parler de mon asexualité avec ma mère et mon frère. Lui n’a pas été très surpris. Quant à ma mère, elle se sentait coupable au début. Elle est suivie par un psychologue depuis des années pour un trouble anxieux et dépressif. Elle pensait que son anxiété avait déteint sur moi et inhibé mon désir d’aller vers les autres. Je lui ai expliqué que mon asexualité ne dérogeait en rien à la « normalité » et, surtout, ne consistait, d’aucune manière, une entrave à mon bonheur. Aujourd’hui, à 38 ans, je n’éprouve ni le besoin d’être en couple ni celui d’entretenir des rapports sexuels. Je suis passionnée par mon travail, j’ai des loisirs, des lectures, des amis. Et aucun manque ne se fait sentir.



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