A partir de sa brève rencontre avec Sartre en 1961, Frédéric Ciriez et Romain Lamy retracent en BD le parcours du penseur anticolonialiste.
Août 1961, Frantz Fanon arrive à Rome. A l’aéroport l’attendent Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann. Il vient voir Jean-Paul Sartre en vacances en Italie. Il aimerait que celui dont les écrits ont nourri sa pensée politique et dont il a apprécié Orphée noir, rédige une préface à ses Damnés de la terre. «Demandez à Sartre de me préfacer, a-t-il écrit à son éditeur François Maspero en avril de la même année, en pleine rédaction de ce qui sera son dernier ouvrage. Dites-lui que chaque fois que je me mets à ma table, je pense à lui. Lui qui écrit des choses si importantes pour notre avenir, mais qui ne trouve pas chez lui des lecteurs qui savent encore lire et chez nous tout simplement des lecteurs.» Le philosophe a eu le manuscrit via Claude Lanzmann. La rencontre de visu entre les deux hommes va sceller l’engagement préfacier. Elle est le cadre temporel de cette biographie en forme de roman graphique.
Leucémie
Le choix de ce rendez-vous au sommet avait quelque chose d’idéal. Le compte à rebours accentue l’effet de tension dans lequel se trouvait Fanon. Atteint de leucémie, il se sait condamné, et mourra quelques mois plus tard, le 6 décembre. Il veut profiter au maximum de ce moment d’échange avec l’auteur de Réflexions sur la question juive qu’il admirait. Simone de Beauvoir note chez le militant martiniquais sa «fébrilité», son «intelligence aiguë», il est «intensément vivant» ( la Force des choses, 1963). Sur la table, il y a cet ultime manifeste à destination des peuples décolonisés ou en voie de l’être, qui deviendra la référence de nombreux combats de libération. Il dit : «C’est un livre de combat qui tente de jeter les bases d’un nouvel humanisme. Il aborde successivement la question de la violence, du soulèvement des masses rurales, des trahisons possibles de la bourgeoisie nationale, de la culture populaire… Du rôle de l’intellectuel… et bien sûr des troubles mentaux produits par la guerre.» Le premier jour, ils n’interrompent leur conversation qu’à deux heures du matin, et encore, parce que le Castor met le holà. Comme elle l’a relaté : «Je la brisais le plus poliment possible en expliquant que Sartre avait besoin de sommeil. Fanon en fut outré : "Je n’aime pas les gens qui s’économisent", dit-il à Lanzmann qu’il tint éveillé jusqu’à huit heures du matin.» Elle apparaît ici comme une maîtresse des horloges sourcilleuse, que Fanon renvoie parfois dans les cordes.
Littérature de combat
A écouter sur France Culture en podcast les cinq épisodes de la série dans les «Grandes Traversées» : Frantz Fanon : l’indocile, écrit par Anaïs Kien, réalisé par Séverine Cassar.
Frédéric Ciriez, Romain Lamy
Frantz Fanon
La Découverte, 231 pp
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