Le philosophe trans s’appuie sur son expérience pour appeler à « décoloniser » l’inconscient. Sans convaincre.
« Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une académie de psychanalystes », de Paul B. Preciado, Grasset, 128 p.
Invité en novembre 2019 à donner une conférence devant un parterre de psychanalystes lacaniens, Paul B. Preciado, ravi d’en découdre avec les adeptes du « nom-du-père », choisit de s’identifier à Peter le Rouge, le personnage de Franz Kafka dans Rapport à une académie (1917). L’écrivain s’en prenait à la traite des animaux et au colonialisme en relatant l’histoire d’un singe enfermé dans une cage et choisissant de devenir humain, non pour se libérer de sa condition simiesque, mais pour ne pas mourir accroupi : magnifique parabole sur les paradoxes de la liberté humaine.
Ecrits éruptifs
Dans sa conférence, moitié réquisitoire, moitié plaidoyer, publiée ici sous le titre Je suis un monstre qui vous parle, Preciado, philosophe connu pour ses écrits éruptifs contre les réactionnaires de tout bord, se compare donc à un monstre, victime d’un ordre biologique honni qui l’a fait naître femme. Il a eu recours pendant des années à des injections douloureuses de testostérone, non sans avoir été la proie de psychiatres stupides qui l’ont traité de « dysphorique transsexuel ». Enfin, il a vécu sa plus sinistre aventure en restant dix-sept ans sur des divans de psychanalystes appartenant pour la plupart, dit-il, à la caste des bourgeois blancs colonialistes et hétérosexuels.
Aussi se réclame-t-il du long martyrologe des minorités opprimées, en citant des textes d’auteurs maintes fois commentés, de Michel Foucault à Thomas Laqueur. Au terme de cette exploration de soi, il affirme n’avoir jamais voulu être un sujet libre : « Je n’ai pas connu la liberté alors que j’étais enfant dans l’Espagne de Franco, ni plus tard quand j’étais lesbienne à New York, et je ne la connais pas non plus maintenant. » Quant à sa « transition », il écrit : « Rien n’a été aussi difficile que de s’habituer (…) à la saleté des toilettes pour hommes. » Mais, inversant la fable de Kafka, il soutient que l’enfermement dans une cage identitaire en mutation serait la seule issue possible à la question de la liberté humaine. Thèse discutable et peu étayée.
Se livrer en pâture
Soucieux de pourfendre les responsables de son malheur, Preciado préfère user d’un jargon indigné pour qualifier la psychanalyse de « discipline hétéro-patriarcale » ou « patriarco-coloniale ». Et, dans une envolée lyrique, il en appelle à « débinariser » la sexualité et à « décoloniser » l’inconscient. Voilà de quoi alimenter la jouissance lacanienne de ses hôtes, qui brandissent sous son nez la bannière de la fonction symbolique, assimilée par eux à une sacro-sainte « loi du père ». Au cœur de ce show, une spectatrice croit même voir en Preciado une réplique d’Hitler et exige qu’on le fasse taire.
On peut se demander ce que Preciado est venu faire dans cette galère. Pourquoi a-t-il accepté de se livrer en pâture à des praticiens cherchant à l’humilier ? En tout cas, il invite sérieusement la communauté freudo-lacanienne mondiale à le rejoindre dans son combat en faveur d’une « psychanalyse mutante ». Avec un tel manifeste, il se désigne comme le thérapeute en chef d’une rébellion transgenrée qu’il juge aussi centrale pour l’avenir de l’humanité que la révolution climatique.
Mais qui voudra le suivre dans cette « cage » psychanalytique fantasmatique, sans échappatoire vers une possible liberté ? A force de se prendre pour Peter le Rouge et Franz Kafka réunis, le « monstre qui parle » risque fort d’avoir accouché d’une académie de la bêtise universelle, façon Gustave Flaubert.
Lire un extrait sur le site des éditions Grasset.
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