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vendredi 13 mars 2020

Coronavirus : en France, les hôpitaux se préparent au pire

Par Nathalie Raulin Pierre-Henri Allain, à Rennes et Guillaume Krempp, à Mulhouse — 
Devant l’hôpital Emile-Muller de Mulhouse, lundi.
Devant l’hôpital Emile-Muller de Mulhouse, lundi. Photo Sébastien Bozon. AFP

D’Alsace en Bretagne, l’inquiétude croît parmi les soignants, épuisés par les réorganisations quotidiennes, face à la virulence des virus et l’afflux des patients.

La sirène d’alarme a retenti sur le front de l’Est. Mercredi soir, à la lecture du bref message relayé par le collectif Inter-Hôpitaux, les autorités sanitaires ont compris que la bataille contre le coronavirus était véritablement engagée : «Les réanimations de Belfort, Besançon, Mulhouse, Colmar sont saturées. A Strasbourg, nous avons arrêté toutes les chirurgies, y compris la chirurgie cardiaque, sauf les urgences. La situation se dégrade de jour en jour avec trois réanimations saturées avec des patients et des personnels positifs.»
Au même moment, une étude de l’institut allemand Robert-Koch classait la région Grand-Est en «zone à risque», au même titre que la Chine, l’Iran ou encore l’Italie. Pris de court, le président LR de la région, Jean Rottner, a immédiatement pris langue avec ses homologues allemands et luxembourgeois, dans l’espoir qu’une «déclaration commune» apaise les craintes des quelque 45 000 travailleurs frontaliers et de leurs employeurs. A en croire le responsable politique, médecin de formation, en dépit d’une circulation forte avérée dans le Haut-Rhin et de la découverte de nouveaux clusters en Alsace, la situation sanitaire n’est pas encore critique : «L’hôpital absorbe la première salve de manière correcte. Une chaîne de prise en charge spécifique pour les malades du coronavirus a été mise en place. La montée en charge se fait de manière progressive et coordonnée. Tout le monde donne de son temps, brancardiers, aides-soignants, infirmiers, médecins. La réserve sanitaire aussi se mobilise.» Mais, prévient Rottner, «les personnels soignants sont épuisés».

Réserve sanitaire

Pour les praticiens consultés désormais quasi quotidiennement au sommet de l’Etat, plus de doute : avec quelques jours de retard sur l’Italie, pays déclaré en quarantaine lundi, la France est à son tour frappée de plein fouet par l’épidémie. Après l’Oise, la Haute-Savoie, le Morbihan, les foyers d’infection se multiplient : Corse, Hérault, Rhône…
L’hôpital public s’est préparé activement au choc. Depuis l’activation vendredi du plan blanc, les opérations chirurgicales non urgentes peuvent être déprogrammées pour libérer au pied levé des places en réanimation et en soins intensifs. Les 108 hôpitaux en première ligne s’organisent pour doubler les capacités d’accueil - la France compte actuellement 5 000 places en réanimation -, de sorte à pouvoir faire face à l’afflux de malades présentant des symptômes sévères, et les équiper d’appareils de ventilation. Un peu partout, la réserve sanitaire (médecins et infirmiers en retraite) est mobilisée, prête à venir prêter main-forte aux soignants en poste.
L’hôpital fait son maximum, mais l’inquiétude ne cesse de croître. C’est que le virus se révèle particulièrement virulent. Dans le Haut-Rhin, en une semaine, il a fallu ouvrir deux nouvelles salles de régulation du 15 pour faire face aux quelque 1 400 appels par jour. Le Dr Philippe Lallemand, qui s’est porté volontaire pour l’accueil téléphonique du Samu, témoigne de la contagiosité de l’agent pathogène : «J’ai fait hospitaliser une femme de 82 ans, très mal en point, qui n’avait récemment eu de contact qu’avec une voisine qui l’avait aidée à monter ses courses», raconte-t-il, indigné que les gens ne puissent pas se procurer de masques, les pharmacies n’étant pas approvisionnées. Pour protéger leurs résidents âgés et fragiles, les Ehpad du département ont anticipé de plusieurs jours l’interdiction des visites, annoncée officiellement mercredi.
Las, en Alsace comme ailleurs, la croissance exponentielle du nombre de contaminés laisse craindre le pire au regard des données scientifiques disponibles. Selon les chercheurs, 15 % de la population infectée développerait une forme grave de la maladie nécessitant une mise sous assistance respiratoire, et 5 % une forme très sévère, parfois létale. Or ces malades sont hospitalisés pour une durée moyenne de vingt jours. En ordre de bataille pour gérer une première vague, l’hôpital public pourrait avoir bien plus de mal à absorber la suivante, concède à demi-mot le Pr Jean-François Delfraissy, immunologue réputé nommé mercredi président du conseil scientifique installé auprès du ministre de la Santé, Olivier Véran, pour «éclairer la décision publique dans la gestion de la crise sanitaire». Dans les zones les plus infectées, le problème n’a plus rien d’un cas d’école. «En l’absence de mesures de confinement de la population beaucoup plus strictes, l’hôpital ne passe pas la vague», confiait un anesthésiste avant les annonces présidentielles. A l’hôpital de Mulhouse, parmi les 820 lits de l’établissement, 70 ont été ouverts pour faire face à l’épidémie. Autre réorganisation conséquente de la structure : les effectifs des urgences ont été divisés par deux, entre «secteur sain» et zone Covid-19. Pour Nathalie (1), infirmière aux urgences, le centre hospitalier fait face à une situation «ingérable». Elle dénonce un management «incohérent» des effectifs : «Je travaille un jour dans le secteur Covid, le lendemain dans le secteur sain.» Elle craint de contaminer des patients non porteurs du virus. Julie (1), aide-soignante, voit aussi un manque d’anticipation des cadres dans la gestion des stocks de matériel de protection. Les masques chirurgicaux sont rationnés. Les masques FFP2, plus protecteurs, sont accordés au compte-gouttes. «La semaine dernière, il restait trois flacons de gel hydroalcoolique pour tout l’hôpital», se souvient-elle.

«Crash test»

Plusieurs infirmières et aides-soignantes témoignent d’un épuisement grandissant face aux réorganisations quotidiennes. «On est en mode crash test», estime Quentin (1), infirmier urgentiste. Un jour, le service des «contaminés» se trouve dans tel bâtiment, le lendemain, il déménage. «Chaque jour, on doit remettre en cause les habitudes prises la veille», souffle Julie. Autre incertitude : les dépistages ne sont plus réalisés pour les patients présentant pourtant d’importants symptômes. Les critères d’hospitalisation ne sont pas non plus clairement établis. S’ensuivent des situations de blocage, où un infirmier estime qu’une personne âgée devrait être hospitalisée et fait face à un refus du médecin. «Une de mes patientes est restée vingt-sept heures sur un brancard, se souvient Quentin. On pensait avoir atteint le fond quand on manifestait pour plus de moyens humains ces derniers mois… C’est encore pire aujourd’hui.»
Dans le Morbihan, département le plus touché en Bretagne avec 85 cas jeudi, deux décès et deux clusters autour d’Auray, le centre hospitalier Bretagne-Atlantique de Vannes a réagi dès l’apparition de l’épidémie, le 2 mars, en installant en quelques heures un poste médical dédié dans un bâtiment administratif avec cinq boxes, accueil et secrétariat, pour recevoir les patients se plaignant des symptômes et ayant appelé le 15. Après auscultation et prélèvements, les cas les plus suspects font l’objet de tests aux CHU de Brest, Quimper et Rennes, seuls habilités à les réaliser. Les malades sont pris en charge dans un service de médecine polyvalente dédié. Seuls les plus fragiles sont hospitalisés, la plupart étant invités à demeurer confinés à leur domicile, meilleure solution pour contenir l’épidémie, selon un médecin.
Selon l’Agence régionale de santé, le centre hospitalier s’était préparé dès janvier à la prise en charge de cas suspects et des renforts ont été mis très vite en place au centre 15 pour gérer les milliers d’appels quotidiens. A l’hôpital de Vannes, l’ensemble du personnel porte désormais un masque. Au CHU de Rennes, où l’on anticipe la phase 3, les visites sont limitées depuis le 7 mars à un visiteur par patient et par jour, et interdites «aux mineurs et aux personnes présentant des symptômes» afin d’éviter que le Covid-19 n’entre dans l’hôpital. Impossible de manquer les grands panneaux d’information à ce sujet. Peu de patients y sont aujourd’hui hospitalisés. Pour combien de temps ? Une commune périphérique, Bruz, vient d’être déclarée «zone de circulation active du virus», après la découverte d’une dizaine de cas.
(1) Les prénoms ont été modifiés.

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