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lundi 8 août 2022

Des maires de l’Essonne organisent des « colos » inter-quartiers pour briser les rivalités historiques entre bandes

Par   Publié le 7 aout 2022

Quatre municipalités espèrent amoindrir le sentiment d’appartenance à un seul territoire en organisant des activités communes entre enfants de différents quartiers.

Lors du séjour intercommunal des communes d’Epinay-sous-Sénart, Boussy-Saint-Antoine, Quincy-sous-Sénart, et Varennes-Jarcy, à Saint-Cyran-du-Jambot (Indre), le 28 juillet 2022.

C’est un pari sur l’avenir que l’on pourrait résumer ainsi : copains enfants, copains pour toujours. C’est là-dessus que misent quatre maires du département de l’Essonne dont les villes sont durement touchées par le phénomène des rixes entre bandes rivales. En organisant des activités communes à destination des 9-11 ans, tout au long de l’année, ils espèrent briser, avant même qu’il ne naisse, le sentiment d’appartenance exclusive à un seul territoire, à un seul quartier. « L’idée est de faire en sorte que nos enfants se rencontrent et construisent une histoire commune petits, pour que, plus grands, ils aient moins envie de se mettre sur la tête », explique le maire d’Epinay-sous-Sénart, Damien Allouch (Parti socialiste). Point d’orgue de ce dispositif de prévention inédit : la colonie de vacances d’été.

Enzo est hilare, aux anges, « trop content » à l’idée de passer cinq jours avec ses potes de la « veillée interco », comprenez « intercommunale ». Il est 9 h 30 en ce lundi de la fin du mois de juillet, sur le parking de la maison des arts et de la culture d’Epinay, une quarantaine d’enfants venus des quatre communes trépignent en attendant l’arrivée du bus qui les conduira dans l’Indre.

Enzo a 9 ans, une casquette et des baskets, une petite valise à roulettes et des envies d’être copain avec tout le monde. Avec les gars de sa ville, Quincy-sous-Sénart, mais aussi avec les jeunes de Varennes-Jarcy, de Boussy-Saint-Antoine et d’Epinay-sous-Sénart, la ville « ennemie », celle avec laquelle des générations de grands frères se battent depuis près d’un demi-siècle, depuis la construction des quartiers populaires. « On n’en parle pas trop de ça, glisse Enzo, il vaut mieux pas, parce que bon… les grands, ils se mélangent pas trop… »

Lors du séjour intercommunal des communes d’Epinay-sous-Sénart, Boussy-Saint-Antoine, Quincy-sous-Sénart, et Varennes-Jarcy, à Saint-Cyran-du-Jambot (Indre), le 28 juillet 2022.

« Effacer toutes ces barrières »

Certains se haïssent et s’affrontent, parfois jusqu’à la mort. Sans vraiment savoir pourquoi. « D’aussi loin qu’on se souvienne, les rivalités ont toujours existé, sans qu’on en connaisse les causes, nous sommes tous du territoire, cette question des frontières communales fait partie de notre ADN », rappelle M. Allouch. En 2021, un enfant de 14 ans a été poignardé à Boussy-Saint-Antoine, et un autre, encore plus jeune, grièvement blessé, lors d’une rixe opposant deux quartiers rivaux de Quincy et d’Epinay. La veille, une autre bagarre avait provoqué la mort d’une jeune fille de 14 ans, à quelques dizaines de kilomètres de là, à Saint-Chéron.

« Avec les activités tous ensemble et la colo intercommunale, les enfants des différentes villes se connaîtront, quand ils arriveront tous au collège, ils se reconnaîtront, c’est sympa et très rassurant pour nous, les parents », commente la mère d’Enzo, Linda, 33 ans (elle ne souhaite pas donner son nom). Dès la première rencontre « interco » il y a quelques mois, Erynn, 11 ans, s’est portée volontaire pour jouer les intermédiaires. Originaire d’Epinay-sous-Sénart, elle a déménagé à Boussy-Saint-Antoine voilà deux ans. Grâce aux activités intercommunales, elle a retrouvé ses anciennes amies qu’elle s’est empressée de présenter aux nouvelles. « Elle était ravie de le faire, commente sa mère, Yamina (elle souhaite rester anonyme). Les faire se rencontrer ainsi petits, c’est top, c’est leur donner une chance de ne pas se battre une fois au collège. »

« Nous nous sommes aperçus qu’il y avait un trou dans la raquette entre 9 et 13 ans » – Fula Mesika, maire adjointe chargée de l’enfance et de l’éducation à Epinay-sous-Sénart.

« Avec le temps, ce que l’on espère, c’est effacer toutes ces barrières,résume Delicia Souka, 36 ans, animatrice référente de la colonie de vacances de la ville de Quincy-sous-Sénart. Mais, avant cela, il faut faire en sorte qu’ils se parlent et qu’ils aient moins d’a priori, ce qui n’était pas gagné au départ, on pouvait les entendre s’identifier les uns les autres par leur ville : “lui, c’est Quincy”, “lui, c’est Epinay”. » Il a fallu des mois avant que les groupes se mélangent. « Ces réticences viennent beaucoup des grands frères, qui, eux, sont pris dans ces rivalités et les transmettent à leurs petits frères », note Fabien Delpech, responsable du service enfance et affaires scolaires à la mairie de Quincy.

Dans ce bout de département, les collégiens des villes de Quincy, Varennes et Boussy sont réunis au sein de l’établissement André Dunoyer de Segonzac, à Boussy-Saint-Antoine. Tandis que les élèves d’Epinay se retrouvent exclusivement entre eux au collège La Vallée. Une répartition géographique qui alimente les antagonismes historiques opposant les jeunes du quartier du Vieillet, à Quincy (auxquels se greffent ceux de Varennes et de Boussy), à ceux des Cinéastes d’Epinay.

La tranche des 9-11 ans ciblée

« Traumatisées par les événements de 2021 », souligne Typhaine Maumené, coordinatrice vie éducative et jeunesse à la mairie de Varennes-Jarcy, les quatre municipalités ont choisi de cibler principalement une tranche d’âge qui sort trop souvent des radars des pouvoirs publics, celle des 9-11 ans. Un âge auquel on ne déteste pas encore le quartier de la ville voisine mais auquel on côtoie uniquement ses camarades de classe de l’école de son lieu de résidence. Un âge, surtout, où les enfants des familles les plus précaires cessent souvent de fréquenter les centres de loisirs qui proposent des activités extrascolaires pendant les vacances ou les mercredis.

A partir de 9 ans, les taux de fréquentation des structures municipales (centres jeunesse, centre de loisirs, accueils collectifs de mineurs…) chutent de 50 % en moyenne. « Nous avons compris que ces jeunes étaient rendus autonomes très tôt par leurs parents, on appelle ça la politique de la clé autour du cou, les familles sans beaucoup de moyens font le choix financier d’inscrire à ces activités seulement le plus jeune de la fratrie », raconte Amélie Marchienne, responsable du service enfance et éducation à la mairie d’Epinay-sous-Sénart. « On les perd alors de vue et on ne détecte plus rien », regrette M. Delpech. « Nous nous sommes tous aperçus qu’il y avait un trou dans la raquette entre 9 et 13 ans », abonde Fula Mesika, maire adjointe chargée de l’enfance et de l’éducation à Epinay-sous-Sénart.

Or, c’est à cet âge que tout se noue. « Les premières tensions commencent à apparaître dès la fin de l’école élémentaire », fait remarquer Mme Mesika, Et c’est peu après, au collège, « que les logiques de confrontation se cristallisent », relève Romain Colas (Parti socialiste), maire de Boussy-Saint-Antoine. Avant qu’elles ne s’apaisent une fois au lycée. « On tente un truc qui peut avoir l’air tout bête, mais ça fait plus de quarante ans que ça dure tout ça, avec des enfants de plus en plus jeunes, des plus grands qui les poussent à s’affronter et maintenant des morts », poursuit l’élu de Boussy. Une cinquième ville, Brunoy, entend se joindre au dispositif dès 2023.


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