par Maëlane Loaëc publié le 3 octobre 2021
«La dame m’a fait la piqûre sans me le dire, j’ai un peu crié», confie Issa, 17 ans (1), sous les rires de l’équipe d’un foyer du Raincy, en Seine-Saint-Denis. Dans cet internat de l’Association de groupements éducatifs, qui accompagne 500 jeunes confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sur l’ensemble de l’Ile-de-France, vivent huit adolescents de 13 à 17 ans, venus principalement de Paris et de Seine-Saint-Denis. Parmi eux, quatre sont en cours de vaccination, une attend encore la réponse de ses parents, et trois autres ne sont pas vaccinés, par refus des parents ou des jeunes eux-mêmes.
«On commence tout juste à vacciner», admet Pierre (1), le chef de service. Depuis le 5 août, un protocole s’applique aux enfants de plus de 12 ans placés en établissements ou familles d’accueil. Les départements, chargés de ces questions, transmettent aux détenteurs de l’autorité parentale un formulaire, sur lequel ils doivent indiquer s’ils consentent ou non à la vaccination de l’ado. Comme pour le reste de la population, la validation d’un seul parent suffit, le consentement du jeune est également obligatoire et les plus de 16 ans n’ont plus besoin d’autorisation parentale.
En cas d’absence de réponse au bout de quatorze jours, le département peut faire vacciner l’enfant, un choix «laissé à l’appréciation des présidents des collectivités», indique à Libérationle cabinet d’Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’enfance. Et en cas de refus des parents, l’enfant peut être vacciné s’il souffre de comorbidités. Pour les autres cas, le département a la possibilité de «saisir le juge des enfants pour demander à ce que ce dernier se prononce». Pour les enfants n’ayant pas de détenteurs de l’autorité, c’est la collectivité qui choisit de proposer ou non la vaccination. Objectif : «Que le maximum d’enfants puissent être vaccinés au 30 septembre, date à laquelle le pass sanitaire devient obligatoire également pour les mineurs», préconise le secrétariat d’Etat.
«Ils lisent souvent que le vaccin ne sert à rien»
C’est cette date butoir qui a poussé certains jeunes à sauter le pas. Parfois aussi pour continuer les sorties et les activités extrascolaires. «Je voulais pouvoir faire du foot», explique un adolescent de 14 ans. Pour une autre, qui attend l’accord de ses parents, c’est la boxe. «Avec certains jeunes vaccinés et d’autres non, organiser des activités pour tout le groupe comme avant devient vite compliqué», explique Pierre. «Ça impacte les enfants vaccinés, alors que ce n’est pas de leur faute», renchérit Virginie (1), éducatrice.
«Moi, je dois voyager pour voir mes parents au Mali à la fin de l’année», explique un adolescent de 15 ans. Issa, lui, est en bac pro et recherche une alternance dans des entreprises d’électricité ou de plomberie : «J’ai déjà été refusé parce que je n’étais pas vacciné, alors il fallait le faire.» D’autres campent sur leurs positions. «Si on n’est pas obligé de le faire, c’est que ça sert à rien, non ?», lance Magali (1), 17 ans. Sa mère n’est pas opposée à ce qu’elle soit vaccinée, mais c’est elle qui a choisi de faire de la résistance. Seulement, la fin de la gratuité des tests PCR au 15 octobre fait définitivement pencher la balance pour la jeune fille : «Je me ferai sûrement vacciner à ce moment-là», concède-t-elle.
Si aucune contamination n’a été enregistrée au sein de l’établissement, grâce notamment à des gestes barrière bien respectés, les équipes tentent de convaincre les jeunes pas à pas. «C’est difficile parce que sur les réseaux sociaux, ils lisent souvent que le vaccin ne sert à rien», s’inquiète le chef de service.
Respecter malgré tout l’autorité parentale
Dans d’autres cas, ce sont les parents qui refusent l’injection pour leurs enfants. «Certains n’en veulent pas par croyance religieuse, d’autres ont des troubles psychologiques, relate Virginie. Ils ne sont pas confrontés tous les jours aux sollicitations des enfants, alors ils ne se rendent pas forcément compte de la nécessité de la vaccination pour leur vie quotidienne.» Comme beaucoup d’entre eux vivent à l’étranger, les contacter peut prendre du temps.
Mais à l’échelle nationale, la mise en place du dispositif n’a pas trop suscité de tensions avec les parents, avance Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), qui rassemble 140 associations et plusieurs mouvements professionnels. «L’un dans l’autre, analyse-t-elle, je pense que la proportion de parents réfractaires se cale sur celle de la population générale.»
A Paris, seuls 500 formulaires de demande de vaccination avaient reçu un retour sur les 1 300 courriers envoyés, «avec très peu de réponses positives», précisent les services de la ville. Pour autant, plus de 1 000 enfants pris en charge par l’ASE ont reçu une première dose de vaccin cette semaine, sur les 3 700 jeunes accompagnés qui ont entre 12 et 21 ans et qui représentent 27 % des effectifs. Parmi ce millier de jeunes, 700 ont désormais un schéma vaccinal complet. A l’échelle nationale, 72 % des jeunes entre 12 et 17 ans étaient partiellement vaccinés au 28 septembre.
«Je trouve que notre rythme de vaccination reste très positif, ça va monter en puissance, se félicite tout de même Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris en charge des droits de l’enfant et de la protection de l’enfance. Il y a eu un certain nombre de passages obligés pour lancer ces vaccinations, des courriers aux relances téléphoniques, qui nous ont fait perdre un mois, mais il était important de respecter l’autorité parentale et la volonté des enfants.»
Difficile à évaluer à l’échelle nationale – puisque les données sont comptabilisées par département – la progression de la campagne vaccinale est toutefois de bon augure, confirment plusieurs responsables du secteur contactés. En Savoie par exemple, 70 % des enfants pris en charge par des assistants familiaux sont vaccinés, avance Anne Troadec, directrice générale adjointe du pôle Social du département et présidente de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé (ANDASS). «D’après les retours de plusieurs départements, on est sur des taux qui vont se rapprocher progressivement de la moyenne des jeunes Français», indique-t-elle.
«Vacciner les professionnels pour ne pas pénaliser les enfants»
C’est davantage la vaccination des professionnels, non obligatoire, qui inquiète certains acteurs du secteur. Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant, membre du Conseil national de la protection de l’enfance et ancien enfant placé, salue le «compromis flexible»trouvé pour les jeunes, mais craint que des professionnels réfractaires à la vaccination ne gâchent cette mobilisation. «Je suis moi-même éducateur spécialisé, et je remarque sur des groupes Facebook que beaucoup de travailleurs sociaux sont antivax, assure-t-il. Certains professionnels ne seront pas en capacité d’accompagner correctement des enfants, parce qu’ils n’auront plus accès aux espaces de loisirs ni aux rendez-vous médicaux, tout ce qui fait finalement le quotidien d’un enfant placé.»
«Nous entendons cette alerte, c’est pour cela que nous encourageons très fortement la vaccination des professionnels, pour ne pas pénaliser les enfants», répond l’entourage d’Adrien Taquet. Cette inquiétude est aussi balayée du côté des associations, qui indiquent qu’en moyenne, 90 % de leurs travailleurs sociaux sont vaccinés, fait remonter Fabienne Quiriau : «L’épisode de la crise sanitaire a tellement marqué les équipes, qui ont eu peur de contaminer les enfants et se sont vues coupées des parents pendant plusieurs mois, qu’elles n’hésitent pas à se faire vacciner.»
(1) Le prénom a été modifié.
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