Par Béatrice Jérôme Publié le 16 août 2021
REPORTAGE A Valenciennes et à Onnaing, deux structures pensées comme des « pensions de famille » accueillent des personnes âgées. Une troisième voie entre les Ehpad, de plus en plus décriés, et le maintien à domicile.
« Je suis à Versailles ici ! », s’est esbaudie Jacqueline Dewaele en découvrant le monumental escalier, les murs aux boiseries sculptées, les immenses cheminées tapissées de faïence de Delft, la fresque géante du grand salon et sa chambre de 40 m2. L’ancienne institutrice de 83 ans vit depuis avril 2019 dans le plus grand hôtel particulier du boulevard Watteau, au cœur du quartier le plus bourgeois de Valenciennes (Nord). « Maison de famille pour personne âgées », lit-on sur la haute façade en briques rouges.
Son nom est gravé sur une petite plaque en cuivre sur la porte d’entrée en chêne. A côté de la sonnette, on lit aussi celui de Chantal Lannoy et ceux d’autres locataires. En ce début juillet, Mme Lannoy, 89 ans, veuve d’un directeur d’usine, joue à la manille dans le salon de musique près du piano à queue. Autour de la table, Jacques Bruge, 80 ans et ancien animateur de maisons des jeunes et de la culture, Gisèle Coquel, 93 ans, ex-employée d’un grand magasin de la ville. Assise dans une bergère, Anne-Marie Derycke, 84 ans, longtemps chercheuse à l’université de Lille, observe le trio.
Chacun a une bonne raison de vivre ici. Mme Derycke a des « petites pertes de mémoire » qui rendaient « compliqué » son maintien à la maison. Mme Coquel est venue chercher de la compagnie. « La solitude ne me réussissait pas », glisse l’alerte nonagénaire qui gravit allègrement le grand escalier et arpente les pièces de réception en enfilade, chaque jour, « une demi-heure pour s’entretenir ». « Ma fille m’a fait ce cadeau en m’installant ici après mon AVC, confie Mme Dewaele. Une maison luxueuse, des gens accueillants… Je vis sereinement dans une semi-autonomie. »
« Comme dans un roman de Balzac »
« On s’est dit que pour attirer du monde, il nous fallait trouver une très belle maison ! », reconnaît Vincent Delauney, le propriétaire du lieu bâti au XIXe siècle, qu’il a rebaptisé « Watt’Home ». « Ici, on est dans une pension de famille comme dans un roman de Balzac », sourit-il, mais une pension uniquement pour seniors. L’idée paraît simple, mais le projet était un « ovni », quand il a décidé de se lancer en 2016. Aujourd’hui, la loi ELAN de 2018 le répertorie comme « un habitat inclusif », mot-valise qui désigne toute cohabitation entre seniors ou personnes handicapées, regroupés autour d’un « projet de vie sociale et partagée ».
La formule est vantée dans les rapports officiels. Elle est en vogue dans les discours des politiques, plus encore depuis la crise sanitaire qui a montré les limites du modèle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Sur l’enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur cinq ans (2021-2026) destinée aux Ehpad dans le plan de relance du gouvernement, il y aura des crédits consacrés à « l’habitat inclusif », a promis le 12 juillet Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie.
M. Delauney n’a pas attendu les morts du Covid-19 pour critiquer les maisons de retraite. Ancien directeur d’Ehpad, il a piloté durant douze ans des établissements « usines », dit-il, de 60 à 90 lits, et ne croit plus qu’au « small is beautiful »pour tous les établissements pour personnes âgées. Whatt’Home a beau avoir une superficie de 650 m2, il affiche complet avec cinq seniors. Le second étage abrite cinq chambres pour étudiants.
Modèle économique viable
De vastes espaces de vie collective, des locataires semi-autonomes : l’équation financière avait tout d’un casse-tête, a priori. Et pourtant, le modèle économique est « viable », rétorque M. Delauney. « On dégage même une petite marge. »
« Ici, on n’a rien d’autre à faire que de s’occuper de soi et un petit peu des autres », s’émerveille Gisèle Coquel, pensionnaire chez Whatt’Home à Valenciennes
M. Delauney a négocié la demeure 459 000 euros, payée à crédit. Y a injecté 150 000 euros pour les travaux. Cet amoureux des belles pierres s’est ensuite battu pour décrocher les meilleures aides financières pour ses colocataires. Résultat, le lieu offre une alternative moins chère que l’Ehpad à des seniors qui, sans cette formule, auraient été conduits à chercher un établissement inutilement médicalisé pour eux. Chaque locataire dispose à Watt’Home d’une palette de services qui serait plus onéreuse si chacun devait la financer seul à domicile.
La clé du projet est simple : les cinq pensionnaires payent un loyer pour leur chambre et les repas. Ils perçoivent l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et ils bénéficient du crédit d’impôt auquel peut prétendre toute personne de plus de 60 ans qui emploie une auxiliaire de vie à domicile.
« J’ai été subjuguée par le lieu, raconte Anne-Lise Lefèvre, la fille de Mme Dewaele. Pour moi, maman devait venir vivre ici, point barre. Pas question qu’elle aille en Ehpad ! Et en plus, il se trouve que c’est moins cher qu’une maison de retraite grâce au crédit d’impôt », se félicite cette médecin à Valenciennes. En déduisant son crédit d’impôt (565 euros), son APA (125 euros), la facture de Mme Dewaele est de 2 132,50 euros par mois. Sans ces aides, le coût serait de 2 810 euros. Les tarifs de Watt’Home sont modulables. M. Bruge occupe une chambre plus petite et perçoit une APA plus élevée. Son reste à charge est de 1 900 euros.
« Ecrin protecteur »
« Ici, c’est ma seconde maison », s’exclame Nathalie Morin, en épluchant des carottes dans la cuisine. « Maîtresse de maison », comme la surnomme M. Delauney, Mme Morin aide aux levers, aux couchers, s’acquitte du ménage, des repas, intervient la nuit quand un pensionnaire presse l’alarme que tous portent impérativement à leur poignet. La mutualisation des moyens permet de financer sa présence en continu. « Le même service coûterait cinq fois plus cher à toute personne seule qui ferait appel à une aide à domicile chez elle à temps plein », insiste M. Delauney.
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