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vendredi 22 mai 2020

«Pratiques abusives» dans une unité psy du Val-d’Oise : «J’ai terriblement honte»

Par Eric Favereau — 
Dans un centre hospitalier des Côtes-d'Armor.
Dans un centre hospitalier des Côtes-d'Armor. 
Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libératio

Une psychiatre de Moisselles, dans le Val-d’Oise, raconte comment face à des suspections de Covid, un administrateur de l’hôpital a décidé d’enfermer les patients de façon unilatérale et sans aucune justification médicale.

Serait-ce l’expression d’une indifférence au regard de ce que vivent des malades mentaux ? Les faits se sont passés dans le ­silence du confinement, dans un hôpital psychiatrique de Moisselles (Val-d’Oise) où, par crainte du virus, les malades ont semble-t-il été enfermés de façon arbitraire. La Dr M., 36 ans, est psychiatre dans cet établissement. Dans un ­témoignage écrit qu’elle nous a transmis, elle raconte la journée du 11 mai, premier jour du déconfinement, qui n’a été pour elle et son service qu’un long cauchemar : «Dans le service, j’apprends que trois patients testés à la fin de semaine [précédente] sont positifs au Covid-19. L’abattement gagne un peu l’équipe. Nous travaillons comme nous pouvons depuis deux mois, avec des outils qui ne sont pas les ­nôtres. Le service est fermé, nos patients doivent rester seuls en chambre, nous faisons au mieux pour éviter les contaminations et en même temps aider nos patients à traverser leurs difficultés.»
Les conditions sont compliquées, l’équipe est en sous-effectif, avec plus de la moitié des postes infirmiers vacants dans l’unité d’hospitalisation. Trois cas positifs, cela signifie notamment «pas de promenades dans le parc pour nos patients pour les quinze jours [suivants], des mesures toujours drastiques pour éviter les contaminations»

«Tous ont été enfermés, sans distinction»

La situation se tend. Avant de déraper. Ce lundi-là, la psychiatre apprend que pendant le week-end prolongé du 8 mai qui vient de s’achever, un ­administrateur de garde a décidé d’enfermer dans leurs chambres les patients au nom du risque de contamination. En une nuit, il a même fait changer les ­serrures. Et cela sans aucun motif psychiatrique, selon le témoignage du Dr M. : «Tous les patients, même en service libre, c’est-à-dire hospitalisés à leur propre demande, étaient enfermés à clé dans des chambres sans aucun ­motif autre qu’un risque de contamination. Tous, sans distinction. Non pas parce qu’ils déambulaient dans les couloirs. Non pas parce qu’il y avait un ­risque individuel ou une pathologie rendant incom­patible la compréhension des ­gestes barrières, ce qui serait déjà à questionner. Non. Nous n’avons été au courant que lorsque le médecin de garde a refusé de ­cautionner ces pratiques abusives.» La mesure est totalement illégale. «Nous devons faire face à une administration qui, sous ­prétexte de crise sanitaire, prend des ­décisions uni­latérales, qui mettent à mal l’éthique de ­notre travail. Mon chef de ­service a immé­diatement saisi le contrôleur général des lieux de privation de liberté, et il a exigé que soit mis un terme à la confusion entre isolement psychiatrique et confinement sanitaire.»
Trois heures après qu’elle eut pris connaissance de cet épisode, débarque le directeur de l’hôpital. D’après la psychiatre, il dénigre la façon dont travaille le service, notant que les trois cas de Covid détectés étaient sans doute liés à une mauvaise appli­cation des protocoles. Ce qui provoque la ­colère de l’équipe. «Depuis deux mois, nous [avions] ­arrêté plusieurs vagues de contamination grâce aux ­mesures mises en place par le service, et sans attendre ­l’administration, qui a mis les protocoles en place bien plus tard», se défend la psychiatre. Celle-ci aurait alors demandé au directeur si les soignants de l’unité allaient être testés. «Nous le réclamions depuis plusieurs semaines, et l’administration avait toujours refusé de prendre en charge les tests, indique-t-elle. Les soignants qui avaient voulu le faire l’avaient fait à leurs frais. Le directeur n’a pas répondu à cette question, disant qu’il attendait des instructions de l’Agence régionale de santé. Puis il a exigé, sans avoir revêtu de tenue adéquate, de visiter immédiatement le service pour faire une tournée d’inspection.»

«C'est l'enfer ici»

Ce même jour, à 16 heures, raconte la psychiatre, une patiente d’une autre unité se jette par la fenêtre. «Elle était dans une unité ouverte à la hâte par l’administration ce fameux week-end du 8 mai, sans concertation suffisante, sans qu’une gestion médicale ne soit clairement établie et sans répondre aux besoins cliniques.» La psychiatre précise : «La patiente était enfermée à clé dans une chambre non adaptée.»
Puis à 17 h 30, son téléphone sonne : «C’est un de mes patients, une des personnes [qui viennent d’être] diagnostiquées Covid +. Il s’effondre en pleurs et me dit : "S’il vous plaît docteur, dites-leur que je ne sortirai pas de ma chambre, et qu’ils peuvent m’ouvrir la porte. C’est l’enfer ici." Cet homme déprimé est en service libre, et enfermé dans sa chambre. J’ai terriblement honte.»
La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, s’est rendue sur place le 19 mai. La direction, interrogée par Libération, nous a affirmé que «le 7 mai au soir, trois cas suspects ont conduit l’administrateur de garde à rappeler, dans un mail datant du 8 mai, aux professionnels présents dans l’unité la nécessité de faire respecter le confinement des autres patients dans l’attente des résultats, ceci en ­application des directives du ministère de la Santé. Cette mesure conservatoire est bien sûr réévaluée à l’obtention des résultats des tests qui déterminent la suite de la prise en charge». La direction estime donc avoir fait son travail. De son côté, Adeline Hazan, manifestement pas satisfaite, réfléchit aux suites à donner à l’affaire.

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