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mercredi 20 mai 2020

Open Dialogue : En Finlande, un autre dialogue s’est ouvert en Psychiatrie.

En Finlande, depuis bientôt 40 ans, se développe une pensée et une pratique du soin différente du schéma bien répandu « crises-hospitalisation-diagnostic-médication-protocole prise en charge », les soignants finlandais ont élaboré une pratique du soin qui dépasse le cadre médical des prises en charge en psychiatrie.
Le texte suivant a été élaboré à partir de nos rencontres en Finlande avec l'équipe Open Dialogue lors la formation effectuée ainsi que de leur littérature. Toutes les références sont citées en fin d'article
OD = Open dialogue
En Finlande, depuis bientôt 40 ans, se développe une pensée et une pratique du soin différente. Loin du schéma le plus répandu « crises-hospitalisation-diagnostic-médication-protocole prise en charge », les soignants finlandais ont élaboré une pratique du soin qui dépasse le cadre médical des prises en charge en psychiatrie.
Contexte historique et géographique de développement de l’open Dialogue.
C’est donc à Tornio, à la frontière suédoise, que nous avons rencontré ces équipes et participé à une formation à l’Open dialogue. Le premier jour, autour d’un petit déjeuner, une équipe nous a accueillis. Parmi eux, il y avait Mia Kurtti, Kari Valtanen, Anni Haase, Marjo Saarela et Helena Kiviniemi. Nous étions des stagiaires de différents pays dont la Suède, l’Islande et la France.
Lors de notre séjour la formation s’est organisée de la façon suivante : présentation de leur travail, groupes de travail collectifs avec élaboration collective, participation à des entretiens open dialogue avec des personnes sur différents lieux ambulatoires.
Mia Kurtti nous raconte qu’en 1961, Keropoudas est un hôpital psychiatrique construit en « plein milieu de la forêt pour ne pas interrompre la vie tranquille des habitants ».
Dans les années 60-70, l’anti psychiatrie se développe de manière multicentrique y compris en Finlande. Au début des années 1970, suite à une réforme de la psychiatrie publique en Finlande se développe « l'approche adaptée aux besoins (ANA) » (1) ou « NEED ADAPTED TREATMENT ». Cette méthode « implique que les besoins de traitement des patients doivent être évalués au cas par cas ». ANA est une méthode « développée spécialement pour le traitement des troubles du spectre de la schizophrénie ». « Le projet national finlandais sur la schizophrénie a lancé une étude ambitieuse pour améliorer les soins des maladies mentales graves. Dans ce contexte, Alanen et ses collègues de Turku ont développé l'approche adaptée aux besoins, qui a mis l'accent sur: 
  1. une intervention précoce rapide
  2. la planification du traitement pour répondre aux besoins changeants et propres à chaque patient et famille
  3. attention à l'attitude thérapeutique à l'examen et au traitement
  4. considérer le traitement comme un processus continu, intégrant différentes méthodes thérapeutiques
  5. surveiller constamment les progrès et les résultats du traitement (Alanen, 1997; Alanen, Lehtinen, Räkköläinen & Aaltonen, 1991).
A partir des années 80, dans le cadre d’un programme public de recherche national (2) Jaakko Seikkula et son équipe ont décidé de faire évoluer le modèle de soin NAA vers l'approche Open Dialogue : au lieu de se concentrer uniquement sur les troubles du spectre de la schizophrénie, « des efforts ont été faits pour appliquer ces principes à toutes les crises psychiatriques, quel que soit le diagnostic ».
C’est dans un bassin de population de 63000 habitants qu’a commencé à se développer l’open dialogue, dans le sud-ouest de la Laponie finlandaise et de la région hospitalière de Keropudas (seul hôpital psychiatrique de la Laponie occidentale). : « L'idée principale est la fourniture d'un traitement psychothérapeutique pour tous les patients au sein de leurs propres réseaux interactionnels et sociaux » (3)
« il ne fait aucun doute que la désinstitutionalisation pose des défis majeurs aux soins de santé publics » « Certains auteurs ont soutenu que la désinstitutionalisation avait conduit à un phénomène de «porte tournante » (4).
Un des défis de cette équipe (4) a été de montrer comment un soin communautaire en santé mentale, y compris dans le cadre de la crise psychotique peut construire une alternative de soin viable et « rentable » qui contredit cette idée reçue.
A cela s’ajoutait le fait que, dans la psychiatrie dont l’hospitalisation et l’usage de neuroleptiques étaient la ligne directrice, les « nombreux effets secondaires négatifs (6) et des taux de mortalité préliminaires accrus (7) ont été associés aux médicaments neuroleptiques utilisés pour traiter la psychose - ceci malgré le fait que les neuroleptiques ont été traditionnellement considérés comme un moyen de désinstitutionalisation en premier lieu »
« Plutôt que de faire une prise en charge médicamenteuse qui découle d’un diagnostic posé, nous cherchons à avoir plus d’éléments historiques, plusieurs entretiens avant de prendre une décision, est au final prise ensemble » nous explique Mia Kurtti.
En conséquence de quoi, « au cours des quatre dernières décennies, le traitement des personnes ayant un diagnostic de schizophrénie et d'autres psychoses est largement passé des systèmes institutionnels traditionnels aux systèmes psychiatriques ambulatoires et communautaires. Cette tendance est solidement fondée, dans la mesure où les soins hospitaliers psychiatriques présentent de nombreux aspects négatifs, notamment (pour le patient) le désengagement de l'environnement social, en plus des coûts élevés pour la société. » (8)
Du fait des résultats très encourageants de l’Open Dialogue en Laponie occidentale, les soignants ont continué à développer leur pratique. (9)
Ressorts théoriques :       
Lorsque l’équipe a commencé à mettre en place cette nouvelle pratique de soin, une de leurs accroches théoriques était la thérapie familiale sur le modèle de Milan mais « faire une thérapie systémique dans un système public a rapidement rencontré de nouveaux dilemmes pratiques imprévus » lorsqu’il s’est agi de le faire dans un autre contexte que celui d’origine, à savoir hors de l’institut privé mais également avec un autre référentiel culturel.
Une des critiques faites était que la métaphore du « jeu » tendait à « positionner la famille comme un objet d'action thérapeutique, plutôt que comme un partenaire dans le processus thérapeutique. »
Ne souhaitant pas se positionner sur une vision du soin « éloignée et objectalisante de la famille au sein de la procédure d'évaluation », les équipes ont totalement réorganisé le système de prise en charge dans cette région. Nait alors l’idée de faire des « réunions de traitement » hors de l’hospitalisation.
Au même moment, la découverte d’Andersen sur la réflexivité pose une des pierres angulaires de la méthode open dialogue qui est en train de se construire. La découverte d’Andersen est la suivante : en thérapie familiale une équipe est derrière un écran tinté, elle n’est donc pas visible du thérapeute qui se trouve dans la pièce avec la famille. Cette équipe « cachée », observe la famille et étudie la conversation qui se déroule sous leurs yeux. Ce que Tom Andersen a fait alors, c’est de proposer à la famille et au thérapeute qui semblaient dans une impasse, d’écouter, s’ils le souhaitaient, les trois thérapeutes réfléchir à la situation. La famille a alors dit apprécier ce processus « d’équipe réfléchissante » (dans les deux sens du terme).
Anni Haase, psychologue et psychothérapeute, nous explique qu’aujourd’hui encore, lorsque des personnes ont connu le système de psychiatrie commun et découvre l’open dialogue, ils apprécient beaucoup de «savoir ce que pensent réellement les thérapeutes et de les voir élaborer entre eux».
A la différence de thérapie familiale systémique, « l'objectif de OD n'est pas «de donner une impulsion pour changer la logique fixe du système en introduisant une nouvelle logique » (10), mais de créer un espace commun pour un nouveau langage, dans lequel les choses peuvent commencer à avoir des significations différentes » (11)
« L'équipe ne se concentre plus sur la structure familiale, mais plutôt sur tous les individus impliqués ».Le « système » est créé dans chaque nouveau dialogue, là où la conversation elle-même construit la réalité.
Ce que nous avons pu remarquer d’original dans cette pratique c’est qu’elle se positionne différemment des thérapies habituelles : « il n'y a ni objet, ni structure, ni jeu à modifier par la thérapie ». « Il y a plusieurs sujets, formant une polyphonie de multiples voix » : c’est le paradigme linguistique de Andersen et Goolishian (1988).
Point commun avec les programmes psycho-éducatifs : « la famille est un agent actif dans le processus » « La famille n'est considérée ni comme la cause de la psychose, ni comme un objet de traitement, mais comme «des partenaires compétents ou potentiellement compétents dans le processus de rétablissement» (12) Cependant, l’OD n’adhère pas à l’idée des programmes psycho éducatifs qui prônent que « le diagnostic est la base pour éduquer la famille afin d'améliorer sa communication afin de prévenir les rechutes et d'améliorer la rémission » (13)
Un autre élément qui participe de la construction de l’open dialogue est l’influence du courant socio constructiviste : nos constructions seraient, aussi, de nature sociale. Il est alors possible qu’un « nouveau récit soit co-créé dans le domaine partagé des participants » (14). C’est en cela que l’Open dialogue peut être « à juste titre » appelé «dialogue transformateur».
« La psychothérapie est libérée de la quête pour juger la réalité personnelle d'un patient par des critères extrinsèques d'objectivité » (15).
« L'objectivité dans un contexte clinique signifie viser à définir des problèmes permanents sous forme de diagnostic. Le discours désordonné, qui se rapporte à un autre type de manuel de diagnostic, conduit à la stigmatisation des patients et à un traitement dont l'objectif est de traiter une maladie. Cela ammène, trop facilement, à la perte de pouvoir de l'individu, considérant la maladie, et non la personne, comme l'agent principal de son traitement » (16) Dans ce type de langage structurel, la maladie est perçue de la même manière quel que soit le contexte, comme si elle était la même d'un patient à l'autre. »
Pour terminer, l’open dialogue est également bâti sur les principes dialogiques de Bakhtine qui ont permis d’élaborer le déroulement des réunions de traitement et donc le cadre de la clinique dialogique.
« L’approche linguistique en réseau » des soins psychiatriques tissée de toutes ces références théoriques dégage deux niveaux d’analyses dans sa pratique : la poétique et la micro-politique.
La poétique comprend : « Tolérance à l’incertitude », « dialogisme » et «polyphonie dans les réseaux sociaux ». La micro-politique comprend elle, les pratiques institutionnelles. En effet, le cadre de l’entretien fait partie de cette méthode, « mais il est tout aussi fondamental de repenser le cadre politique au sens institutionnel qui peut compromettre l’épanouissement d’une vision du soin ». 
Polyphonie :
La confiance construite entre les soignants qui travaillent ensemble depuis plusieurs années permet des discussions «moins structurées et plus spontanées ».D’ailleurs, lorsqu’on leur pose la question de l’organisation du travail, et celle de leur besoin de flexibilité pour répondre aux demandes d’aide des personnes, Anni HAASE et Mia KURTTI nous expliquent qu’elles gèrent elles-mêmes leurs plannings.Il n’y a pas un ou une cadre qui supervise le planning, elles ouvrent de grands yeux en disant « pourquoi faire ? nous sommes responsables et autonomes quand même ! ». Nous reviendrons sur ce besoin de flexibilité, qui est loin de la notion capitaliste de flexibilité et d’adaptabilité mais qui tend plutôt vers une personnalisation maximale du soin.Cette confiance donc qui règne dans les équipes et qu’ils nous décrivent leur permet d’aborder des sujets « même dans les moments les plus stressants ou difficiles ». Ils nous rappellent que la formation qu’ils ont suivie ensemble pendant plusieurs années, leur a permis de partager des choses très intimes et d’évoluer ensemble. Ils essayent à leur tour de créer «un sentiment de réconfort émotionnel et de créer une histoire à partir de la communication de la personne psychotique ».
Il est fréquent lors des réunions de traitement que des conflits surgissent, des différents familiaux par exemple, mais également des conflits internes de la personne qui demande de l’aide. L’open dialogue consiste alors en la possibilité de faire lieu pour que ces différentes voix existent mais également « encourager l’écoute et l’échange, plutôt que la polarisation de la pensée correcte ou erronée ». Cela pourrait vite s’apparenter à une pacification par la suppression des conflits. C’est d’autre chose qu’il s’agit en réalité : il est possible d’exprimer la conflictualité, de ne pas être d’accord.Ils expliquent : «L'objectif est de générer une compréhension commune, plutôt que de rechercher un consensus ».La mise en perspective des différents points de vue est possible, malgré les désaccords, et cela dans un climat de sécurité émotionnelle. Il est possible de parler de choses très délicates, en présence même de la personne et de son entourage lors de la réunion. Ils nous expliquent qu’il n’y a pas une vérité et que ce que vit la personne en crise, a toute sa place et doit être écouté, pris en compte et participer à ce qui se crée ensemble.Jaakko Seikkula cite d’ailleurs Derrida : « il n'existe aucune essence rigoureusement indépendante de celle qui la transporte». Il ajoute « En d'autres termes, il n'y a pas de conception de la vérité ou de la réalité qui puisse être connue comme séparément et en dehors de l'expression humaine. Le traitement thérapeutique vient de l'effet du dialogue sur un réseau social à mesure que de nouveaux mots et histoires entrent dans le discours commun. Pour ce faire, les pratiques langagières de la réunion de traitement ont le double but de maintenir les gens assez longtemps (tolérance d'incertitude) pour que l'inexprimable puisse s'exprimer (dialogisme) avec l'aide des autres acteurs importants du réseau (polyphonie) ». « La totalité a disparu et pour cette raison nous avons besoin d’aller chercher les détails pour comprendre ce que ça veut dire » Jaakko Seikkula L'idée de réunions de traitement ouvertes n’est pas sans rappeler certains des idéaux démocratiques des anciens Grecs.
« Mettre l'accent sur le dialogue est un nouvel élément de la psychothérapie, mais il tire ses origines de l'histoire des Grecs anciens. Platon, pour sa part, considérait le moi comme une construction sociale (Nightingale, 2000). Dans ses premiers textes, Socrate, en particulier, a été décrit comme celui qui aide les interlocuteurs à créer la vérité dans un dialogue permanent; il ne lui appartenait pas de trouver les réponses (Bakhtine, 1984). Le pouvoir du dialogisme avait déjà été repéré. La période florissante des sciences de la Grèce antique (philosophie, médecine) et des arts (poésie, sculpture) s'est déroulée à la même époque classique où les assemblées de citoyens prenaient la forme idéale de dialogues. À cette époque, ils n'avaient pas été corrompus et il n'y avait pas cette classe spéciale de personnes, les rhétoriciens, qui avaient commencé à utiliser ces réunions à leurs propres fins, mais il s’agissait plutôt de forums ouverts et créatifs pour tous les citoyens libres (Volkov, 1974). »
Comme nous l’avons expliqué précédemment, héritiers de Bateson, l’équipe que nous avons rencontrée a néanmoins abandonné le concept du double lien. En effet, toujours dans cette optique de refuser l’objectalisation, ils considèrent que ce concept tend à suggérer « une réalité extérieure » à changer. A contrario, « une « conversation dialogique» peut construire un chemin hors du monde psychotique. De ce point de vue, la réunion de traitement peut être considérée comme un lieu où les mots nécessaires pour parler de choses difficiles peuvent être trouvés dans le mouvement de va-et-vient du métier à tisser conversationnel ». 
Micro-politique
La mise en place de la pratique clinique de l’open dialogue s’est faite conjointement au développement d’un dispositif institutionnel ainsi qu’un processus de formation pour toutes les équipes.Ce qu’ils appellent « la réunion de traitement » est la forme que prend toute admission.Nous reviendrons plus tard sur le dispositif assurément démocratique de formation mis en place à Tornio. Lors de notre formation, ils insisteront sur les vertus du travail en équipe dans leur dispositif de santé mentale et de prendre le temps. Derrière cette notion de travail en équipe, il y a différentes choses : la formation qu’ils ont effectuée ensemble, mais aussi des équipes composées de soignants de l’intra hospitalier (de l’hôpital Keropoudas) et du personnel ambulatoire au cours des réunions de traitement et des réunions institutionnelles.« Ce type de travail d'équipe réduit la calcification des perspectives en santé mentale car le personnel occupe différents postes au sein du système hospitalier. »La réunion de traitement ne résume pas la pratique de l’open dialogue, mais l’OD est quelque chose qui s’intègre à un ensemble de pratiques (psychothérapie, art-thérapie, …).« Le modèle dialogique organise non seulement le contexte de traitement mais aussi le contexte professionnel ». Mia Kurtti nous confiera à propos de l’open dialogue : «cela m’a beaucoup appris dans ma vie personnelle »De cette manière, et contrairement à d’autres approches systémiques, celle-ci a pu s’intégrer dans les institutions et même les modifier (18).   
Comment s’effectue la réponse à une demande d’aide en cas de crise ?
Cette offre de soin est basée sur ce que l’on a appelé précédemment la réunion de traitement : nous partagerons par la suite une des réunions de traitement auxquelles nous avons participées.
En cas de crise psychiatrique, quel que soit le diagnostic psychiatrique, la même procédure est suivie dans tous les cas.
Soit le patient est contraint à l’hospitalisation obligatoire et la réunion de traitement se déroulera le premier jour après l'admission en hospitalisation et une équipe sur mesure, composée de personnel ambulatoire et hospitalier, est constituée : par exemple un médecin et une infirmière de l’ambulatoire et une psychologue de l’intra hospitalier. Cette équipe prend la responsabilité d’assurer de bout en bout le déroulé des soins, quelqu’en soient le lieu et la durée.
Dans le cas où le patient n’est pas hospitalisé sous contrainte, mais qu’il fait lui-même la demande d’aide ou que quelqu’un de son entourage, préoccupé de la situation, décide de demander de l’aide, cela peut se faire grâce à un numéro spécial.
« Le numéro est connu de tout le monde dans la région, tout le monde peut appeler, aussi bien une personne en crise que sa famille ou des personnes travaillant avec lui qui souhaitent l’aider. »
« La prise en charge commence à la prise de rendez-vous, ce n’est pas juste écrire un rendez-vous dans un agenda, c’est un premier lien très précieux ! La façon dont cela se fait conditionne aussi la suite » nous dit Mia Kurtti.
Ce numéro a été créé pour demander de l’aide en cas de crise et pour eux, c’est primordial de saisir la balle au bond ( ?) : « Le numéro c’est le 247, le numéro n’a pas changé, depuis 30 ans tout le monde le connait. »
Ils ajoutent : « Ici l’open dialogue est institutionnalisé, tout le monde connait le numéro d’urgence, tout le monde sait qu’il peut appeler », les profs, les familles, les services sociaux, etc.. ». 
« Quand on passe le coup de fil pour demander de l’aide cela demande beaucoup d’énergie et de courage pour faire une demande: il faut le prendre en compte. Avant 16h le rythme des coups de fils est disparate, après 16h tous les coups de fils arrivent à la clinique » (19)
La flexibilité des équipes est encore une fois marquée par la remarque d’Anni Haase : « La priorité va au téléphone, si un appel urgent arrive, il est possible de déplacer les rendez-vous réguliers, tout le monde sait que c’est le fonctionnement. Avant d’être en rendez-vous réguliers, ils ont aussi un jour appelé en urgence, donc c’est ok ». Nous reviendrons ultérieurement sur ce qui sous-tend cette flexibilité
Il y a donc toujours deux personnes en permanence avec le téléphone, une à Tornio (22 319 hab) et une à Kemi (21 770 hab), jusqu’à 16h
« Si le téléphone est calme » nous explique Anni, ils peuvent donner un coup de main dans le service, notamment en intra hospitalier.
Les lieux de soin ambulatoires régionaux de santé mentale (appelé cliniques ambulatoires) prennent la responsabilité en organisant une équipe spécifique à chaque cas et en invitant les membres des différentes structures concernées par le patient. Tout cette organisation fait partie intégrante de ce que représente l’open dialogue. Cette organisation s’est même élargie au-delà des crises psychiatriques et les débriefings de situations post traumatiques se déroulent ainsi.
Les 7 principes de l’open dialogue
« L’aide immédiate » qui a été présentée à la fin du paragraphe précédent est un des piliers de l’open dialogue avec 6 autres.
Nous redirons brièvement les principes : en cas de crise, les unités organisent la première réunion de traitement dans les 24 heures suivant l’appel du patient ou d’une personne de son entourage (l’entourage peut comprendre des institutions telles que l’école, les services sociaux, etc..). Ce service de crise est effectif 24h / 24 depuis 30ans.
« Le système mis en place avec appel 24h/24, tu réponds toujours quand c’est toi qui a le téléphone, même si tu dois aller aux toilettes tu prends le téléphone avec toi ! » explique l’une des thérapeutes formatrices.
Derrière cette exigence de réponse immédiate, l’objectif est de réduire au maximum le risque d’hospitalisation dans autant de cas que possible. Dès les premières rencontres, la personne en crise est présente et cela même si les symptômes de la crise sont très intenses.
 Cette réponse immédiate induit la présentation du deuxième principe de l’open dialogue : Une perspective de réseau social.
Ils nous expliquent que c’est primordial que le réseau social (professionnels et famille) du patient soit invité: « bien sûr, il arrive que certains refusent ». Cela est pensé dans l’idée de « mobiliser le soutien du patient et de la famille ».
Le réseau social permet également parfois de trouver des solutions pour des besoins basiques mais très importants pour la personne en détresse, ces besoins peuvent être, dans d’autres conceptions de soin, totalement éludées : Helena, une Pair-aidante de l’équipe nous raconte une prise en charge à laquelle elle a participé : « une patiente connue de nos équipes devait être hospitalisée pour des raisons somatiques et cela a déclenchée une détresse psychologique intense. Helena qui savait qu’elle avait un chat, a alors demandé si elle avait pensé à cela. La dame confia alors être très inquiète de quitter son domicile et d’y laisser seul son chat, ne connaissant pas la durée de son hospitalisation. Une solution a été trouvée pour ce sympathique animal. A la réunion suivante, une fois sortie d’hospitalisation, la dame a pu dire à Helena qu’elle avait été très touchée qu’on pense à son chat, car c’était avec lui qu’elle vivait au quotidien et que d’habitude les médecins ne prenaient pas du tout cela en compte ».
« En ce qui concerne l’école: une fois par mois, il y a des réunions de profs avec profs spécialisés et l’équipe OD détache toujours deux thérapeutes pour participer à la réunion. Il ne faut jamais louper une réunion, il est très important de maintenir le lien » nous explique une formatrice ».
 Le troisième principe a été abordé déjà plusieurs fois précédemment, il découle des deux premiers : c’est le principe de flexibilité et mobilité.
Le principe de flexibilité va de pair avec la prise en compte des besoins du patient et de sa famille. Une fois les besoins établis, une prise en charge singulière est organisée en accord avec le patient. Les différentes approches thérapeutiques, les différents lieux de rencontre possible vont de pair avec la continuité des soins. Pour cela, les thérapeutes se doivent d’être flexibles. Les besoins évoluent souvent au cours de la prise en charge, il est nécessaire là aussi de s’adapter dans le temps, les besoins ne sont pas immuables et ne doivent pas être préconçus par les thérapeutes. C’est cela qui garantira la meilleure prise en charge pour chacun (20).
Durant notre séjour à Tornio, nous nous sommes beaucoup déplacés avec les équipes.
C’est leur quotidien de se déplacer vers les lieux de rendez-vous variés: un exemple de lieux où nous nous sommes rendus avec l’équipe, un centre local pour effectuer des consultations. C’était un bâtiment dont un étage était réservé aux « consultations psy » mais ce bâtiment abritait aussi d’autres associations: ce n’était pas étiqueté PSY.
Ils adaptent leur planning aussi de manière très spontanée, « c’est un investissement personnel » nous disent-ils. C’est à ce moment-là que nous nous sommes rendus compte de l’absence de supervision en ce qui concernait leur organisation (pas de cadre administratif qui organise leur travail pour eux). Ils ont même ri lorsque nous leur avons expliqué la situation que nous connaissions en France.
« Nous nous organisons entre nous et c’est celui qui répond au téléphone qui est en charge de contacter les collègues et d’organiser la réunion de traitement : par la suite, ce sera toujours cette même équipe qui rencontrera le patient et la famille».
Dans la majorité des situations, les réunions se font au domicile si la famille est d’accord mais le principal élément est de « demander aux gens où ils seraient le mieux pour faire la réunion de traitement ».
Ils nous racontent une des situations où la personne qui demandait de l’aide était un bûcheron. « Pour vous donner un exemple, un patient qui travaillait à la coupe du bois en forêt a été vu plusieurs fois en forêt, nous nous sommes rendus là-bas, nous avons fait un feu de camps tous ensemble, il préparait du thé et les réunions se déroulaient ainsi autour du feu. Quand tu commences à travailler avec une situation de crise il faut être très flexible. D’être soi-même en tant qu’individu, très flexible, donc sur le plan personnel ainsi que sur le plan professionnel. C’est difficile lorsque l’on a des enfants en bas âge par exemple ou parceque ce n’est pas dans la personnalité de certains, mais cela s’apprend et c’est passionnant. C’est fatiguant d’être très flexible par moment, et toujours dans la négociation, mais ça m’aide à continuer professionnellement, mais aussi dans ma vie et spirituellement »
La flexibilité est donc un élément à intégrer dans son rapport aux autre, au travail mais également à soi.
Mia nous raconte son expérience de formatrice open dialogue il y a quelques années : « Mon expérience au japon m’a beaucoup entrainée car là-bas la culture est très différente, pas de langue en commun, je me sentais très déconnectée : j’étais plus rigide que d’habitude lorsque je suis chez moi et ma vision était plus étroite. Si je suis mieux connectée à moi, je suis mieux connectée à mes ressources et j’apprends mieux. Je peux alors être dans l’échange, parler d’une autre position plutôt que donner un enseignement théorique. »
Lors de notre conversation elle évoque le « balancing », elle nous explique que le balancing c’est le fait de passer par plusieurs états au cours d’un entretien, plusieurs états émotionnels et c’est difficile d’en parler sur le moment. Cela peut se faire au cours de la prochaine réunion de traitement et le partager avec la personne en soin et les autres thérapeutes ».
 Autre aspect important que nous avons évoqué précédemment est le fait que celui qui décroche le téléphone lors du premier appel à l’aide a la responsabilité de constituer l’équipe qui s’occupera de la prise en charge et cette même personne organise la première réunion. Tous les plans de traitement seront décidés lors de la réunion de traitement en présence du patient. Dans le cas où ce n’est pas fait, que rien n’est arrêté en ce qui concerne la décision, rien ne sera décidé sans le patient entre soignants.
 Cette responsabilité d’organisation induit la nécessaire continuité psychologique des soins que cela se fasse en hospitalisation ou en ambulatoire. Pour cela le réseau est invité à collaborer aussi longtemps que nécessaire. Dans une étude de Jackson et Birchwood de 1996, 65% des traitements étaient interrompus dès la fin de la deuxième année de prise en charge.
 Au principes évoqués et afin de créer un sentiment de sécurité, lors des 12 premiers jours, une réunion de traitement se déroule quotidiennement. Cela permet de créer rapidement pour la personne en crise un contexte dans lequel elle peut élaborer ce qui est en train de se produire pour elle, le processus dialogique aidant et cela permet aux familles de ne pas se sentir abandonnées dans cette situation difficile. Ce dispositif permet de tolérer l’incertitude inhérente à toutes ces situations de crise et ainsi de faire une place pour que les ressources psychiques de la personne, de sa famille et de son réseau social s’expriment. Ensuite les réunions sont organisées de manière plus espacées, selon les souhaits de la personne et de sa famille.
Dans la majorité des cas, aucun contrat thérapeutique détaillé n'est conclu pendant la phase de crise afin d’éviter de poser des conclusions et d’instaurer de fait un traitement trop rapidement.
Avant d’introduire un neuroleptique, dans le cas d’une crise psychotique, l’équipe attend au moins trois réunions. 
« Je suis professionnelle en psy mais vous êtes le professionnel de votre vie ».
Une des formatrices nous explique la tolérance à l’incertitude dans le cadre d’une réunion de traitement qu’elle a effectuée récemment : « Il est possible de dire à une famille que nous n’avons pas toutes les réponses et que nous sommes loin d’avoir tout appris à l’université » et d’ajouter: « Je suis professionnelle en psy mais vous êtes le professionnel de votre vie ».
L’originalité et l’importance de ce concept de tolérance à l’incertitude est qu’elle constitue l’opposé de l'hypothèse ou de tout autre type d'outil d'évaluation. « Les hypothèses sont particulièrement évitées, car elles peuvent faire taire et interférer avec la possibilité de trouver un moyen naturel de désamorcer la crise » (Andersen, 1990).
Ce concept de tolérance à l’incertitude va de pair avec le dialogisme et la polyphonie. En effet, pour que la tolérance à l’incertitude soit envisageable, chaque voix doit être écoutée sans faire de différence de légitimité au cours de la réunion. La polyphonie permet de créer un langage commun d’une situation qui n’avait pas de moyen de médiation jusqu’alors et dont certaines réponses vont émerger. Des réponses peuvent alors se construire sur les conduites à tenir ou parfois même rendre inutiles un traitement.
« Vivez maintenant les questions. Peut-être en viendrez-vous à vivre peu à peu, sans vous en rendre compte, un jour lointain, l'entrée dans la réponse »
« Des conseils immédiats, des conclusions rapides et des interventions traditionnelles rendent moins probable l'instauration de la sécurité et de la confiance, ou qu'une véritable résolution d'une crise psychotique se produise ». Précisons une dernière chose : tolérance à l’incertitude rappelle mais diffère néanmoins de la position de « ne pas savoir ». Dans cette dernière proposition de Anderson et Goolishian de 1992, « le client est l’expert et le professionnel est l’apprenant ». Avec l’approche open dialogue, c’est d’autre chose dont il s’agit. Elle définit « une façon d'être avec les autres et avec soi-même qui est une façon légèrement différente de savoir » qui pourrait être illustrée par ce que signifie Rilke en 1984 en écrivant : «Vivez maintenant les questions. Peut-être en viendrez-vous à vivre peu à peu, sans vous en rendre compte, un jour lointain, l'entrée dans la réponse». 
Déjà évoqué sporadiquement, le Dialogisme est un des fils d’Ariane dans les conceptions de l’open dialogue. Bakhtine conçoit le dialogisme comme constitutif de la réalité sociale. Retranscrit comme cadre de communication des réunions de traitement, il rend possible  de créer un nouveau langage et permet par là même de créer un commun pour des expériences qui n’avaient pas de possibilité de partage avant cela.
Envisageant la crise psychotique comme une aliénation temporaire, si aucun langage commun n’est créé, la personne se retrouve isolée sans « voix ni véritable pouvoir d’agir » (25). Ces expériences restent alors « privées et incarnées pour la personne dans les voix intérieures et les signes hallucinatoires ». C’est plus de se mettre dans la disposition d’écouter qui importe que l’entretien lui-même.
Chaque famille élabore un langage pour parler du problème du patient, le problème étant considéré en partie comme une construction sociale. Dans un article de 1997, Anderson explique que « l'écoute devient plus importante que la manière d'interviewer ». Cela n’est pas sans rejoindre « l’important est d’écouter» et en parlant, «on parle comme un auditeur» (26).
Les thérapeutes acceptent « les hallucinations ou délires psychotiques du patient comme une voix parmi les autres. Au début, ceux-ci ne sont pas remis en question, mais le patient est invité à en dire plus sur ses expériences. Les membres de l'équipe peuvent commenter ce qu'ils entendent mutuellement comme une discussion réfléchie (reflecting team) pendant que la famille écoute » (24).
« La création du dialogue est prioritaire sur la volonté de générer un changement chez le patient et son entourage. Le dialogue est perçu comme un forum par lequel les familles et les patients peuvent acquérir plus de pouvoir dans leur propre vie en discutant des problèmes (22). Une nouvelle compréhension se construit entre ceux qui participent à la discussion (23) ». Ce forum se tient lors de la réunion de traitement : il est question de la crise et du problème actuellement mais aussi de toutes les difficultés associées.
« La crise devient l'occasion de créer et de refaire le tissu d'histoires, d'identités et de relations qui construisent le soi et un monde social ».
Les questions posées et les thèmes de la séance ne sont pas décidés en amont, il s’agit de laisser le maximum de liberté durant la réunion afin que les problèmes estimés important par la personne et sa famille soient exprimés.
Afin que le processus dialogique se mette en place, les thérapeutes répondent aux questions posées par d’autres question ou peuvent exprimer ce que cela génère chez eux comme sentiment ou encore à quel autre évènement ils l’associent. Leur rôle n’est pas de générer une réponse définie à une question posée.
Pour générer un dialogue dès le début, une des tâches des intervieweurs est de « répondre » à ce que le patient ou les autres participants ont dit. Cependant, les réponses prennent généralement la forme de questions supplémentaires basées sur une précédente énonciation du patient. « Du point de vue bakhtinien, chaque énoncé requiert une réponse, il y a une esthétique (un assemblage d'énoncés et de réponses) au dialogue, qui le rend dialogique, plutôt que monologique (qui serait un orateur sans un auditeur contributeur) » (27)
A propos de son terme «hétéroglossie», Bakhtine dit que le sens n'est pas fixe et intrinsèque, bien que les mots portent des traces et des fragments de significations de notre héritage linguistique différent. « Puisque le sens ne se produit que dans un échange continu, l'orateur et l'auditeur sont intimement liés pour donner un sens à l'épisode psychotique. Le processus thérapeutique requiert une participation créative à un langage qui tient compte non seulement de ce que les gens disent, mais aussi des sentiments existants et des réponses sensuelles qui circulent. Au-dedans de la frontière dialogique où la personne, ses accompagnants et les professionnels se rencontrent, un langage de la souffrance peut naître qui peut donner voix à la souffrance ».
D'un point de vue plus socio-constructivistes, les récits sur la psychose sont toujours co-créés au sein des systèmes sociaux (France & Uhlin, 2006).
Dans son approche de co-construction, le dialogisme permet un panel de possibilités qui sont alors considérées comme curatives, il ne s’agit pas « d'orchestrer le traitement autour d'un diagnostic formel », et « même les réponses psychotiques du patient sont considérées comme potentiellement significatives et importantes à prendre en compte, car elles se réfèrent souvent métaphoriquement ou indirectement à de «vrais» problèmes dans la vie du patient ».
Toujours selon un point de vue socio-constructiviste , « la psychose peut être considérée comme un moyen de faire face à des expériences terrifiantes dans sa vie qui n’ont pas un langage autre que celui des hallucinations et des délires. Ogden, en 1990, voit la psychose comme une épreuve paradoxale à la fois pour maintenir et détruire le sens ». Il s'agirait « de la qualité prénarrative de l'expérience psychotique » (28).
"La psychose n'est pas une maladie mais une stratégie de survie en cas de stress sévère"
Découle de ces concepts, le travail de Jaakko Seikkula, l’un des premiers à avoir élaboré l’OD : La psychose n'est pas une maladie mais une stratégie de survie en cas de stress sévère : une proposition d'ajout à un point de vue phénoménologique (nous reviendrons sur un des derniers écrits de Jaakko Seikkula plus tard dans l’article).
Selon Holma et Aaltonen, « la psychose peut également être une évasion afin de maintenir une capacité d’agir (traduit de l’anglais « agency »). Lorsque le patient a du mal à créer du sens par l'action narrative, le but de la thérapie et du traitement est d'ouvrir un canal à travers lequel la qualité de vie pré-narrative peut être narrée, créer une multiplicité d'histoires et offrir ainsi la possibilité de choix dans la construction d'une identité narrative ». Il est alors possible de mettre en récit ce qui ne pouvait être narré avant cela.
Il s’agit de ne pas nier la réalité des voix ou des hallucinations pour ne pas invalider la réalité de la personne en soin. Voici un exemple tiré d’un entretien qui a fait l’objet d’une retranscription pour une publication: «Je ne comprends pas comment est-il possible que vous puissiez contrôler les pensées des autres. Je ne me suis pas trouvé en mesure de le faire. Pourriez-vous m'en dire plus? » On pourrait alors demander aux autres membres du réseau lors des réunions : «Qu'en pensez-vous, les autres ? Comment comprenez-vous ce que M dit ? ». Permettre que toutes les voix soient entendues, même si contradictoires, donne au réseau « la possibilité de construire des récits de restitution ou de réparation (30).
Les mots utilisés ont une grande importance : « pour construire de nouveaux mots et une nouvelle langue, l'accent est mis sur les mots qui sont dits. » (31)
Déroulement d’une réunion de traitement :
Mia kurtti nous explique qu’une réunion de traitement « dure souvent une heure et demi ! », en effet, nous l’avons constaté aux réunions auxquelles nous avons assistées
La souplesse est ce qui se dégage de ces entretiens, une autre façon de parler de "flexibilité", terme qui pourrait être connoté. « Il y a des généralités dans la thérapeutique, mais chaque moment et chaque chose qui se tissent dans la relation est unique »
Nous avons déjà abordé le dialogisme qui est au cœur de la réunion de traitement mais rappelons simplement que pour intervenir l'équipe demande la permission de le faire.
Les thérapeutes partagent leur ressenti et la famille peut ainsi avoir un retour sur ce qui vient d’être énoncé.  Les décisions de traitement sont construites dans ce moment particulier de manière transparente, l'objectif étant de présenter un panel de possibles dans lesquelles les personnes concernées choisissent :les décisions sont prises en présence de tout le monde. Il n'y a pas de réunions distinctes du personnel pour planifier le traitement et rappelons que la question des traitements n’est pas prioritaire chronologiquement dans la réunion. Si rien n’a été décidé, cela est signifié en fin de réunion. Ils nous racontent : « On ne parle pas du patient tant qu'il n’est pas là », « On essaye d’être le plus transparent possible ».
Une thérapeute ajoute : « Le besoin de diagnostic est très important dans tout le reste du système: comme les écoles et l’hôpital. La vie est tellement complexe, y compris la vie de famille, le mettre dans un seul mot c’est compliqué… »
Un autre complète : « Si on apprend aux gens à « danser », et qu’on les implique, ils demanderont moins leur diagnostic, ils apprendront à prendre leur part, accepter l’incertitude et savoir comment faire. »
Par exemple, dans le cas d'une décision d'opter pour un traitement obligatoire, il semble important que des opinions différentes et même un désaccord sur la décision soient ouvertement reconnus et discutés.
« Faire une combinaison de différentes choses et le proposer à la famille sans lui dire « c’est la chose à faire » » suggère Marjo une pair-aidante formatrice.
Comme nous l’avons rapporté précédemment au sujet de cet homme qui était bûcheron, le choix du lieu de réunion se fait de sorte qu’il se sente en sécurité. Toutes les personnes qui participent à la réunion de traitement sont en cercle, nous parlions toute à l’heure de « forum ».
Les membres de l'équipe, qui ont pris l'initiative d'organiser la réunion sont responsables de « la conduite du dialogue ».
« La constellation de l'équipe varie en fonction de la situation spécifique et de l'historique de traitement antérieur de la famille, avec des précédents thérapeutes invités à ces rencontres (s’il est possible de convier le précédent thérapeute, cela se fait).
Exemple d’une rencontre qu’ils nous racontent: 
La maîtresse d’école inquiète voit l’infirmière scolaire : elles appellent l’équipe open dialogue: une réunion est prévue avec: la maîtresse, l’infirmière, l’enfant, les parents ainsi que les deux thérapeutes de l'open dialogue".
Rappelons un autre élément important, la même équipe est présente de la première réunion à la fin du traitement. L’utilisation du dialogisme permet aux multiples voix de s’exprimer, sans « aucune tentative de dévoiler une vérité particulière ».
Mia nous explique : « Dans un entretien quand je me tourne vers quelqu'un j’attends une interaction, quand je me tourne vers l’extérieur, je lui laisse de la place… »
« Dans l’OD il y a deux trois thérapeutes et cela facilite pour parler de soi en tant que thérapeute. » 
Mise en pratique de cette tolérance a l’incertitude « Il est possible de dire a une famille que nous n’avons pas toutes les réponses et que nous n’avons pas tout appris à la fac »
et très souvent les patients nous disent « J’apprécie que vous me disiez ce que vous pensez vraiment »
« Les questions ou réflexions des thérapeutes ne doivent pas interrompre le dialogue en cours à moins que ce qu'ils disent ne cadre avec le thème en cours. » Les thérapeutes « peuvent commenter soit en posant une autre question liée au thème, soit en entamant un dialogue de réflexion à ce sujet avec les autres professionnels (32). Une alternance entre parler et écouter dans le processus de réflexion génère de nouvelles opportunités, pour le patient et sa famille, de reconstruire leur expérience (33).
Une des formatrice nous raconte : « l’ancienne psychiatre disait toujours à son binôme devant le patient « pourquoi tu penses a ce médicament », « qu’est ce que tu en attends », il y a une discussion même de la prescription avec le reste de l’équipe, afin de discuter des enjeux, des effets secondaires etc… on pouvait ne pas être d’accord et tout ça devant le patient, qui ensuite participait à son tour». 
Les formateurs nous diront : « pas de prise de notes pendant l’entretien, être présent permettra de retenir l’essentiel ». Cependant ils recommandent de toujours faire un compte rendu en précisant ce qui a été décidé pendant l’entretien.
Anni Haase nous dit : « On cherche tout le temps des nouvelles manières de rentrer en contact avec les gens et de les rencontrer ». « Les gens qui travaillent ici ne sont pas différents des gens qui viennent se faire aider ». «  Ici tout le monde dans l’équipe est conscient qu’il a un jour souffert et a des traumas ».«  Il y a des choses sur lesquels on arrive pas à mettre de mots, on est ok avec ca ». « Avant je croyais que le dialogue permettait de trouver les mots manquants, maintenant je dis aux patients, si vous souhaitez parler c’est ok mais si vous ne voulez pas c’est ok aussi ». Alors d’autres choses sont tentées pour permettre à la personne en soin et sa famille d’accéder à ses ressources : « Il existe un groupe avec le « physiothérapist »: être dans son corps, respirer, tout sauf parler, qui est très populaire parmi les patients » dit Anni en souriant.
Durant la formation nous abordons la question de l’art-thérapie en groupe. Ils nous précisent que les thérapies de groupe peuvent être difficiles, « on n’oblige pas les patients on fait une simple proposition ». Il est « proposé aussi du sport 3 fois par semaine. Les patients ont le choix entre les différents groupes de thérapie. Quand quelqu’un ne se sent pas capable ou n’a pas envie d’aller dans une activité, il y a toujours quelqu’un du groupe qui va aller le rencontrer pour lui parler du groupe, de comment cela se passe etc.. »
« On utilise parfois le génogramme pour nous aider et la « network MAP » (constellation du réseau social): pour faire le point sur la constellation de toutes les personnes autour du patient, l’école, le travail ou même la police ou les juges s’il a des difficultés avec la loi.. »
Formation des équipes :
 « Cette éthique démocratique en matière de formation fait partie d'une éthique plus large de participation et d'humilité au sein de la culture thérapeutique de Keropudas ».
Dans le bassin hospitalier de Keropoudas, il a été mis en place pour tous « un programme d'introduction d'un an » (34) puis une formation de thérapie familiale de 3 ans : tous, infirmier, psychologues, psychiatres, assistants sociaux, ont pu suivre une formation enseignée de manière démocratique. Démocratique vient du fait qu’ils considèrent que toute personne potentiellement formée peut acquérir ces connaissances. « Cette éthique démocratique en matière de formation fait partie d'une éthique plus large de participation et d'humilité au sein de la culture thérapeutique de Keropudas ».
Ce dispositif a permis de rendre « le système de traitement lui-même plus disposé à considérer les phénomènes psychotiques d'un point de vue psychologique et systémique: l'ensemble du système de traitement est davantage orienté vers l'évolution des besoins des patients, des familles et de leurs systèmes relationnels » (35). « Tout cela a conduit à une durée raccourcie de psychose non traitée et à un premier contact qui a tendance à être établi à un plus jeune âge ». Ce programme de formation a commencé en 1989.
En outre, les membres du personnel sont encouragés à suivre d'autres formes de formation en psychothérapie, telles que la psychothérapie psychodynamique ou cognitive individuelle.
« Tous les 15 jours, les membres du groupe de cette formation se réunissent, se concentrant sur les théories, la supervision directe et le travail sur leur propre milieu familial ».
« Les formateurs sont principalement des collègues du système, des personnes qui se sont qualifiées comme formateurs après avoir suivi un total de six ans de formation en coopération avec l'Association finlandaise pour la santé mentale ».  Le programme de formation est organisé en collaboration avec le Département de psychologie de l'Université de Jyväskylä.
Anni nous raconte leur formation : « Quand on travaille sur soi en OD training on apprend à faire la différence entre ce qui est trop privé et ce que je pouvais dire. Une autre formatrice complète : « Il faut faire la différence entre personnel et intime».
En formation « On travaille sur nous et cela a changé beaucoup de chose sur le plan personnel de pratiquer l’open dialogue dans mon quotidien de travail » nous raconte une formatrice.
Mia complète les propos de sa collègue : « c’est essentiel de faire un travail sur soi pour être soignant », comme eux le font en OD, elle est surprise que cela ne se pratique qu’en psychanalyse. Elle nous raconte que durant leur formation ils sont en groupe de 6-9 et ils travaillent sur leur famille avec deux entraineurs à l’open dialogue. La Supervision est nécessaire ! »
Rappelons qu’une des inspirations théoriques était la thérapie systémique de Milan, dont ils se sont éloignés ensuite. Comme le dit Lynn Hoffman, "moins comme un ensemble de procédures qu'un modèle" d'apprentissage pour apprendre ", l'approche systémique a enseigné aux professionnels à penser de manière flexible et à transformer leurs propres locaux et comportements face aux impasses et aux difficultés (36)Au début des années 80, Boscolo et Cecchin, inspirés des travaux des chercheurs en cybernétique (37), ont proposé la notion d'une vision cybernétique de second ordre : « nous ne pouvons pas parler d'un système séparé et observé, mais seulement d'un « système d'observation » qui prend en compte la lentille de l'observateur ».Une des premières modifications faites dans leur conceptualisation du soin a été de considérer « toutes les personnes impliquées comme membres d'un partenariat ».
Lors de notre formation, ils nous expliquent que « l’une des différences avec la médecine orientale c’est qu’elle prend en compte « l’être ensemble », ne pas seulement apprendre avec sa tête mais aussi vivre quelque chose ». L’une des formatrices nous rappelle une réflexion que Tom Andersen faisait :« qu’est-ce que ça vous fait de ne pas interpréter tout de suite et d’être plus présents ? ».
Ressources de la personne en soin
La personne en soin est considérée comme compétente pour rester dans la vie sociale active, même si elle connaît des crises et des symptômes.
« Dans une large mesure, cela exclut le processus de « chronicisation » de la maladie - un processus qui est plus fréquent lorsque les patients passent à une allocation d'invalidité ». Dans les crises psychotiques, il existe des dangers particuliers pour la personne en soin de rester en dehors du contexte social, car elle peut facilement interpréter les autres comme étant dangereuses et peut ainsi essayer d'éviter le contact ».
Dans le système de traitement par dialogue ouvert de la Laponie occidentale, l’hospitalisation est évitée au maximum, en cas de crise, les patients sont encouragés à rester dans le contexte social, ce qui semble encourager un retour à un emploi actif et à des études. Comme nous l’avons expliqué précédemment, les réunions de traitement au domicile de la personne son quotidiennes les 10-15 premiers jours de la crise.
Autre élément à notifier, il y a à Tornio, 4 pair-aidants. Ces derniers font bien sûr partie des réunions de traitements mais également des formateurs lorsque des formations se déroulent en Finlande ou à l’étranger.
Ils nous expliquent qu’au cours de leur formation ils apprennent à se positionner différemment par rapport à la personne en soin et notamment dire « de quoi pensez vous avoir besoin ? On va essayer de chercher ensemble ce dont vous avez besoin et surtout mettre en avant les « skills » (habiletés/ outils) de la personne. On ne considère pas qu’on va traiter la personne parce qu’on sait ce qui serait bien pour elle ». Il n’y a pas de préalable, l’idée est de chercher ensemble et de faire des propositions à la personne. 
Conclusion et Ouvertures de pistes de réflexion:
L’open dialogue fait à ce jour l’effet d’un engouement mondial, des collaborations et des recherches internationales sont en cours. Initié par Jaakko Seikkula et son ami Tom Andersen (socio psychiatre Norvégien dont nous vous avons parlé précédemment), le processus est actuellement développé dans de nombreux pays tels que la Suisse, la Russie, l’Angleterre, le Canada, la Lettonie, la Norvège, la Lituanie, les USA, l’Estonie, la Suède et bien sûr la Finlande. L’équipe nous raconte qu’ils font des formations dans le monde entier : Marjo, une pair-aidante nous raconte son expérience de formatrice au Japon. « Je pense que c’est une atmosphère globale que les personnes qui travaillent dans une institution se sentent intéressées quand quelqu’un vient de l’extérieur », c’est ce que nous dira Mia lors de notre formation, cela leur permet d’avancer eux même dans leur pratique. Cela répondra d’ailleurs à nos interrogations sur l’accueil qui pouvait être fait aux nouveaux arrivants dans cette « bulle ».
Débutée dans les années 80, leur recherche s’est constituée de diverses analyses qualitatives des processus de traitement qui ont été menés. Ces études ont fourni d'importantes connaissances qui ont permis de développer la qualité psychothérapeutique du travail (40).
« Le projet a débuté dans le cadre d'un projet national finlandais de recherche multi-centrique : organisé conjointement par le Centre national de recherche et de développement pour le bien-être et la santé (STAKES), le département de psychologie (Université de Jyväskylä) et le Département de pharmacologie (Université de Turku) ».
Les recherches menées ont fait l’objet de vives critiques car le « principe le plus fondamental a été de se concentrer sur les conceptions naturalistes dans la vie réelle de la Laponie occidentale, plutôt que sur des essais randomisés ». (38) « Les études de suivi ont été de nature descriptive, plutôt que visant à identifier des facteurs explicatifs généralisés de changement » (39)
Cela illustre bien les controverses de la recherche actuelle au sujet de la scalabilité où « les objets de recherche doivent être stables et interchangeables tout au long des processus expérimentaux, c’est à dire des objets sans histoire ».
La Remise en récit qui s’opère au cours des processus d’Open Dialogue remet au cœur du débat cette volonté fréquente de suppression de l’historicité. McAdams en 2001 écrit « Étant donné que les humains donnent un sens à leurs propres expériences par le biais d'histoires, une possibilité d'améliorer la compréhension de la question consiste à rechercher les histoires de vie de personnes ayant vécu des expériences ».
N’y aurait-il pas intérêt à nous questionner actuellement sur le bien-fondé, en psychiatrie, de la primauté des recherches à type quantitatif et la faible part accordée aux recherches qualitatives.
Egalement, en tout cas en France, une très faible part de la recherche est accordée aux personnes en soin ou anciennement en soin, à la différence de pays comme la Hollande où une recherche réalisée par les personnes en soin existe. Ce constat nous interroge.
Cette confrontation avec l’Open Dialogue  nous éclaire sur les bienfaits d'une « tolérance à l’incertitude » et cela n’est pas sans lien avec le choix du type de recherche menée dans ce domaine.
Les études descriptives, non scalables, gardent en elles la possibilité de surgissement de l’indéterminé, elles résistent à cette uniformisation et permettent la rencontre. La tolérance à l’incertitude est un prérequis à la découverte de point de rencontre. L’open dialogue sort de ce parcours contrôlé de protocoles simplificateurs qui va jusqu’à dénaturer les rapports et l’existence de ceux qui sont en soin. Il permet de réintroduire des niveaux de complexification perdus dans une vision purement médicale des soins.
Lorsque nous abordions la question de la cybernétique c’est également cela dont il était question : il n’y aurait pas un objet distancié à observer et à traiter mais un flux continu qui constitue l’interaction entre les deux, le soignant ne serait pas cet observateur plein d’objectivité tenu à bonne distance pour prendre les décisions froidement. Les choses sont organisées pour que l’imprévu surgisse, « Les questions posées et les thèmes de la séance ne sont pas décidés en amont, il s’agit de laisser le maximum de liberté durant la réunion afin que les problèmes estimés importants par la personne et sa famille soient exprimés ». On semble être bien loin de cette trame apprise par tous les internes de psychiatrie pour pratiquer « l’interrogatoire » du patient.
Le choix du lieu de traitement comme le domicile ou un autre lieu où la personne se sent en sécurité nous évoque le témoignage d’une personne en soin qui expliquait qu’elle ne souhaitait pas retourner à proximité de l’hôpital de peur d’être enfermée. Par cette remarque, nous entendons que les services de psychiatrie ne sont pas associés pour cette personne à la co-construction et à la confiance chère à l’Open Dialogue.
D’un point de vue institutionnel, les formateurs nous confient que le travail "de tissage" qui s’effectue depuis 30 ans est mis à mal par la nouvelle génération de psychiatres : « les médecins de la nouvelle génération n’ont pas cette vision sociale du traitement et de collaboration. La privatisation de la santé et du reste du système de soin rend de plus en plus difficile les réunions pour se coordonner entre différentes institutions car cela ne rapporte pas d’argent: les moments pour se voir tous à la croisée des discipline sont de plus en plus rares. »
Ils nous expliquent : « la Trajectoire dans le traitement en Finlande est très codifiée (équivalent de notre parcours de soin) : d’abord le GP(équivalent du médecin généraliste français), puis le « spécialiste ». D’après eux l’Open Dialogue « shunte » ce système car ce système est « unhelpfull ».
La réunion de traitement qu’ils mettent en place ne se focalise pas sur la disparition des symptômes, donc les traitements médicamenteux ne sont pas une priorité chronologique dans la réunion mais peuvent introduits pour apaiser la personne si cela n’est pas possible autrement. Mais il s’agit de créer un socle commun, par le langage et l’établissement des besoins, sur lequel s’appuyer ensemble par la suite. La personne en soin n’est plus considérée comme un objet de soin.
« La maladie n’est pas considérée comme une régression ou un manque à ou une variation quantitative ou temporelle d’une norme et d’une moyenne » (41)
L’open dialogue est un ensemble de procédures et une conception de l’apprentissage qui permet d’apprendre et de penser de manière flexible : pour paraphraser Hoffman, apprendre « à transformer leurs propres institutions et comportements face aux impasses et aux difficultés ».
A plusieurs reprises lors de notre formation, les thérapeutes nous expliquerons que l’open dialogue ne s’exporte pas tel quel, mais permet de développer une façon d’appréhender le rapport à l’autre. Il s’agira ensuite d’adapter localement des choses. Ici encore la scalabilité est loin d’être recherchée.
"La personne en soin n’est plus considérée comme un objet de soin."
Les tenants de l’Open Dialogue s’inspirent aussi de l’intéressante approche « social-constructivist », qui au-delà du soin, se retrouve également dans l’apprentissage : on construit son savoir avec les autres. Comme dans la pratique de soin, une place est faite pour l’expression du conflit sociocognitif. C’est cela qui permet l’apprentissage : apprendre à apprendre. L’enseignant comme le thérapeute lors des soins n’est pas un expert mais un « guide et un questionneur, et il renvoie l’apprenant à ses propres questionnements ». Se dessaisir d’une place d’expert ne signifie pas laisser la personne en soin et la famille seuls dans ce moment terrible que peut être l’expérience d’une crise : c’est pour cette raison qu’ils insistent sur ce climat de sécurité, sur la fréquence quotidienne des réunions de traitements, sur l’implication d’acteurs autres que la famille, sur l’importance d’une équipe stable dans la durée. Au prix de tout cela, l’équipe peut alors permettre au réseau et au patient, via le dialogisme, de construire une nouvelle compréhension de la situation et de produire lui-même un discours.
Le peu de place accordée au discours de la personne en soin est une question cruciale. Borcher en 2014 écrit à ce sujet : « Le langage clinique dominant peut parfois ignorer les expériences subjectives des personnes ». C’est ce qui rend plus difficile pour les cliniciens de comprendre les phénomènes qu'ils rencontrent et d'interagir avec les personnes qui les ont vécus. Qu’en est-il du peu de diffusion des « Mad studies » et de travaux d’auteurs comme Wilma Boevink ?
Les personnes en soins apprécient de « savoir ce que pensent réellement les thérapeutes et de les voir élaborer entre eux » et l’ont rapporté de nombreuses fois à l’équipe. 
En Finlande, les personnes en soins apprécient de « savoir ce que pensent réellement les thérapeutes et de les voir élaborer entre eux » et l’ont rapporté de nombreuses fois à l’équipe.
Nous pouvons nous interroger sur le fait qu’il semble difficile, en France du moins, de laisser voir aux personnes en soin, la confrontation des avis des soignants, divergents ou pas, mais également d’inviter la personne en soin à prendre part à cette décision.
On entend souvent « il ne faut surtout pas se contredire devant les patients ». Cette difficulté nous interroge. Pourtant avoir un retour sur ce que l’on énonce et comment cela permet de construire sa propre perception de la situation constitue un réel changement de paradigme. Nous ne sommes plus dans la situation en post entretien où les soignants délibèreront entre eux et reviendront ensuite vers la personne concernée pour indiquer la marche à suivre : peut-être que cela est moins infantilisant ? C’est le principe de l’équipe réfléchissante d’Andersen. Il permet à la personne en soin de construire progressivement son point de vue à partir des différents points de vue discutés ensemble. La famille n’est alors plus culpabilisée (elle n’est pas responsable) ni même instrumentalisée (on ne cherche pas à la modifier).
Dans un écrit récent, Jaakko Seikkula nous fait part d’une proposition d’ajout au point de vue phénoménologique concernant la psychose, « la psychose n'est pas considérée comme un état (pathologique) mais comme un moyen de répondre à un stress extrême ».
Il propose la chose suivante : « L'expérience psychotique peut être considérée comme une forme d'excitation affective parmi tous les autres affects ».
Jaakko Seikkula considère qu’il « est possible qu'un large éventail de phénomènes complexes, actuellement classés sous le terme de psychose, ne puissent pas être traités de manière globale comme des symptômes clairs d'une entité pathologique particulière, sans référence au contexte, y compris les aléas de la vie ».
Revenant aux sources philosophiques qui l’ont inspiré jusqu’à présent, il explique : « Reprenant le point de vue d'Emmanuel Levinas et de Mikhail Bakhtine sur la primauté de vivre dans des relations sensibles, le comportement psychotique est perçu comme émergeant dans des relations qui ne garantissent pas des réponses adéquates et le sujet est donc obligé de s'isoler des relations sociales et de développer des comportements étr­­­anges. La phénoménologie s'est concentrée sur le point de vue à la première personne. Pour moi, l'esprit humain n'est pas quelque chose qui appartient au sujet, mais c'est un flux relationnel qui se réalise mieux dans des contextes multi-acteurs. Ainsi, les expériences de l'individu - comme ici celle qu’en ont des personnes psychotiques - ne sont pas perçues comme ayant été générées par l'esprit à l'intérieur de la personne, mais comme une réponse au cadre interactionnel réel ».
Pour moi, l'esprit humain n'est pas quelque chose qui appartient au sujet, mais c'est un flux relationnel qui se réalise mieux dans des contextes multi-acteurs
Une enquête menée par l'utilisateur (42) a également noté « la nécessité d'approches qui prennent en compte la nature complexe de la psychose et qui mettront l'accent sur les expériences de l'usager et leurs facultés, plutôt que de se concentrer uniquement sur la réduction des symptômes et sur des objectifs fonctionnels prédéterminés ». Nous nous attarderons sur le champ lexical utilisé pour qualifier l’administration par cette équipe Finlandaise. Comme nous l’avons vu au cours de ce texte, il nous parle de « Calcification », très belle image de l’immobilisme généré par la simplification à outrance de nos existences. Ils remarquent ainsi comment la bureaucratie empêche la circulation et les mouvements d’aller-retour nécessaires aux soins. Nous nous interrogeons sur les effets en psychiatrie du morcellement croissant du soin qui s’exprime partout au niveau des symptômes et des prises en charge qui en découlent : par l’intervention de prestataires,  par la division par séparation des services en centre expert par pathologie, par la séparation logistique mais surtout budgétaire du social et du médical, par le démantèlement des équipes appauvries en personnel et en ressources pour les soins en psychiatrie - tout cela en prônant la « continuité du soin » qui semble pourtant inenvisageable dans ce morcellement généralisé. L’actuelle organisation du soin, sur le plan institutionnel et logique, avec un enchainement diagnostic-protocole-traitement, fait l’impasse sur la complexité des constructions de récit dont parle cette équipe créatrice d’un commun qui fait soin. Nous, français, sommes actuellement très étriqués dans notre intolérance à l’incertitude qui nous entrave, nous empêche de nous rencontrer et de prendre soin. Le protocole masque l’impossible remise en question car il relève d’une croyance ignorante de la complexité du soin psychique. Comment alors s’approprier cette tolérance à l’incertitude qui dépasse bien évidement le cadre médical ? Comment la personne en soin peut-elle s’appuyer sur un soignant en renonçant à le mettre à une place où il détiendrait la solution et le savoir ? Comment le médecin renonce-t-il à une pratique qui se veut basée sur une vérité scientifique traversée par des enjeux actuels financiers et de compétitivité qui infiltrent son éthique ? Comment apprendre à prendre soin dans ce contexte ? Comment ne pas appliquer mécaniquement ces grilles de lecture qui sont les seuls outils que l’on nous donne et qui nous formatent au cours de nos études ? Comment réduire le gouffre entre deux types de pratiques l’une cherchant à rendre protocolaires les actes de soin et l’autre cherchant à associer personnes en soin et soignants afin de trouver une modalité d’être au monde supportable pour les uns et les autres ?
Peut-être la réponse est-elle dans cette question : comment trouver sa place dans l’équation où l’égalité des places est impossible puisqu’en tant que soignants nous sommes payés pour un travail et socialement désignés comme tels ? Dans quelle mesure doit-on répondre à ces attentes ? 
Nous laissons le dernier mot pour Anni Haase notre formatrice :
« We think we know but NO !! »
graphisme: m3lphy
 Références:
  1. (Lehtinen, Aaltonen, Koffert, Räkköläinen et Syvälahti, 2000).
  2. Etude nationale API (Acute Psychosis Integrated Treatment) (1992 à fin 1993),avec une continuation en tant que projet local Open Dialogue in Acute Psychosis (ODAP)(1994–1997) (Seikkula et al., 2003; Seikkula et al., 2006)
  3. (Seikkula et al., 2006).
  4. Turner, 2004)
  5. (Aaltonen, Seikkula et Lehtinen, 2011)
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  9. (Seikkula: cinq ans d'expérience du premier épisode non affectif… ;; Seikkula: l'approche globale du dialogue ouvert) (Razzaque et Stockmann, 2016).
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  14. Gergen et McNamee (2000)
  15. (Neimeyer & Raskin, 2001)
  16. Gergen & McNamee, 2000).
  17. http://www.fundacioninterfas.org/capacitacion/wp-content/uploads/2013/10/seikkula-and-olson_2003.pdf
  18. (Boscolo et ale, 1987)
  19. (clinique n’implique pas comme en France la référence à un dispositif privé versus public)
  20. patient (Alanen, Lehtinen, Räkköläinen, & Aaltonen 1991; Alanen, 2009).
  21. Je vous prie d'être patient à l'égard de tout ce qui dans votre coeur est encore irrésolu, et de tenter d'aimer les questions elles-mêmes comme des pièces closes et comme des livres écrits dans une langue fort étrangère. Ne cherchez pas pour l'instant des réponses, qui ne sauraient vous être données ; car vous ne seriez pas en mesure de les vivre. Or, il s'agit précisément de tout vivre. Vivez maintenant les questions. Peut-être en viendrez-vous à vivre peu à peu, sans vous en rendre compte, un jour lointain, l'entrée dans la réponse. Lettres a un jeune poête Rainer Maria Rilke 1929
  22. Haarakangas, 1997; Holma & Aaltonen, 1997
  23. Andersen, 1995; Bakhtine, 1984; Voloshinov, 1996
  24. Andersen, 1995
  25. Holma, 1999; Seikkula, 2002
  26. Hoffman, 2000
  27. Volshinov, 1996)
  28. Holma & Aaltonen, 1997; Ricoeur, 1991
  29. The Sense of Agency and the Search for a Narrative in Acute Psychosis Contemporary Family Therapy
  30. Stern, Doolan, Staples, Szmukler & Eisler, 1999
  31. Gergen, 1994; Shotter, 1993a, 1993b
  32. Andersen, 1995
  33. Andersen, 1995; Seikkula, Aaltonen, Malare, et al., 1995
  34. Aaltonen et al., 2011
  35. Whitaker, 2010
  36. Boscolo et al., 1987, p. 28).
  37. von Foerster, Varela et Maturann
  38. Aaltonen et al., 2011 ; Alanen, 2009
  39. Seikkula et al., 2003; Seikkula et al., 2006
  40. Haarakangas, 1997; Seikkula, 2002
  41. Alanen et al., 1991
  42. (Jones et al., 2016b)

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