A l’occasion de la Journée mondiale de la douleur, le
17 octobre, les spécialistes français se montrent pessimistes sur la prise en
charge de ce syndrome dans l’Hexagone : menaces sur les centres anti-douleur,
enseignement insuffisant, enfants oubliés... D’où l’importance, selon eux,
La douleur concerne quinze millions de personnes en
France. Et selon l’enquête CSA/Sanofi « Les Français et la douleur » réalisée
auprès de 2 000 personnes avec le concours du Pr Alain Serrie (hôpital
Lariboisière, Paris), 92 % des Français interrogés ont souffert d’une douleur
de courte durée ou persistante au cours des 12 derniers mois. Parmi eux, 52 %
souffraient encore au moment de l’enquête. De plus, parmi les personnes
déclarant éprouver des douleurs au moment de l’enquête, 68 % ressentent ces
douleurs depuis plus d’un an. Et cette proportion augmente avec l’âge, puisque
ce taux atteint 79 % dans la population la plus âgée de cette enquête (50-60
ans). Ces douleurs récurrentes concernent surtout les articulations, les
douleurs menstruelles et la migraine.
Une étude qui souligne l’impérieuse nécessité, en
France, du développement d’une prise en charge dédiée de la douleur. « À
l’heure actuelle, alors que le dernier Plan douleur s’est achevé en 2010, l’implication des pouvoirs
publics dans la douleur est insuffisante. Tout reste à faire. Ce n’est pas la
peine de faire des annonces s’il ne se passe plus rien » Tel est le constat un
peu désespérant que dresse le Pr Serge Perrot, rhumatologue et médecin de la
douleur à l’Hôtel-Dieu (Paris).
325
structures dédiées en France
De fait, il existe 325 structures dédiées à la
douleur en France. Or un grand nombre d’entre elles sont menacées. Un certain
nombre de médecins qui s’en occupent vont, en effet, partir à la retraite et
ces postes vont être repris par?d’autres?services, comme ceux d’anesthésie.
D’où un risque de disparition de ces structures. Par ailleurs, une réforme du
troisième cycle des études de médecine est en ce moment en cours, comprenant
une refonte des diplômes d’études spécialisées (DES), qui doit se concrétiser
en 2016. Jusqu’à présent, les étudiants qui se destinaient à la douleur et aux
soins palliatifs se formaient dans une filière particulière. Celle-ci risque
d’être remplacée par une formation transversale à la douleur, qui
compromettrait selon Serge Perrot, la valeur des médecins formés.
Tout n’est pas négatif, cependant. Depuis le dernier
plan, (2006-2010), il existe un cahier des charges assez précis, concernant
l’organisation des soins anti-douleur en France. Les ARS ont, dans chaque région,
identifié des structures, les ont labellisées en deux catégories, consultations
ou centres, ce qui a abouti à un maillage identifié sur un site internet. Tous
les médecins et les soignants peuvent donc savoir quelles sont, dans leur
région, les structures existantes de prise en charge de la douleur. Et le
cahier des charges de ces structures implique un certain niveau de qualité.
Les enfants
oubliés
Le dernier Plan douleur n’a pas, en revanche, tenu
ses promesses sur la prise en charge des populations précaires, notamment les
malades psychiatriques ou les sujets âgés. Quant aux enfants, très peu de
centres leur sont actuellement dédiés (quatre ou cinq en France) et leur
douleur reste très mal prise en charge, selon le Pr Perrot. Le problème est le même
pour les handicapés.
La formation des soignants, un des axes du plan, a,
quant à elle, connu quelques améliorations. Un enseignement obligatoire de
vingt heures consacré à ce thème, pour les étudiants en médecine a notamment
été mis en place. Et pour les infirmières en institut de formation en soins
infirmiers, il existe également des formations à la douleur.
Les avancées en matière de traitement médicamenteux
sont moins évidentes. « On a retiré du marché certains médicaments qui ne nous
semblaient pas très dangereux », pointe Serge Perrot, en évoquant le
Di-Antalvic®. « Quant au Rivotril®, dont l’usage a été limité aux neurologues
pour soigner l’épilepsie, il rendait des services dans le traitement de la
douleur », ajoute le Pr Perrot, qui souhaiterait des études indépendantes
menées par l’Ansm pour prouver la dangerosité de ces molécules. À ce propos, le
rhumatologue pointe l’absurdité de se tourner, comme on le fait actuellement,
vers le cannabis à visée thérapeutique pour soigner la douleur, après avoir
retiré du marché des médicaments qui fonctionnaient.
D’après lui, il n’existe pas non plus de nouveaux
médicaments anti-douleur, du fait de la grande complexité de sa
physiopathologie. « À l’heure actuelle, précise le spécialiste, deux domaines
résistent à la recherche, la douleur et la maladie d’Alzheimer. Dans ces deux
champs, des molécules qui fonctionnent chez l’animal ne tiennent pas leurs
promesses chez l’homme ».
Les traitements non pharmacologiques de la douleur
– telles que les approches cognitives et
comportementales, l’acupuncture, l’hypnose, également au programme du dernier
Plan douleur – se développent de plus en plus dans les centres dédiés. Il a en
effet été constaté que ces thérapies peuvent apporter un bénéfice au patient en
l’aidant à gérer son syndrome douloureux et ne sont pas dangereuses. Mais
beaucoup ne sont pas reconnues, d’où un problème de cotation et de financement.
De plus, selon Serge Perrot, il est très compliqué d’évaluer leur efficacité.
Il existe pourtant aujourd’hui des éléments en faveur de l’action de
l’acupuncture dans certaines pathologies, comme l’arthrose du genou. Pour
l’hypnose, on dispose également de quelques données montrant son efficacité
dans la plupart des pathologies douloureuses (migraines, fibromyalgies,
lombalgies).
Apprendre au patient à gérer ses médicaments
La prise en charge non pharmacologique de la douleur
inclut d’ailleurs aussi l’éducation thérapeutique, couramment employée dans les
centres dédiés. Il s’agit d’apprendre au patient à gérer ses médicaments, ainsi
que les différentes techniques disponibles, et à construire son traitement avec
les soignants.
Cela dit, « malgré la labellisation, les centres de
la douleur ont peu de moyens, imposent des délais d’attente importants et ne
peuvent pas répondre à toutes les demandes », constate Serge Perrot. Résultat :
« Beaucoup de médecins qui envoient leurs patients dans ces centres dédiés ne
sont pas satisfaits en raison du délai d’attente et parce que le service rendu
n’est pas suffisant. Et le fait qu’il n’y ait pas eu de Plan douleur depuis
2010 n’arrange rien ». Ces plans permettent en effet de faire des campagnes de
sensibilisation, d’information et constituent un soutien qui manque
actuellement.
« Nous sommes, sur le plan de la prise en charge de
la douleur en train de rétrograder par rapport aux avancées des années 2000.
Cette régression nous inquiète beaucoup à la Société française de traitement de
la douleur. Il y a moins de moyens financiers et les soins palliatifs
mobilisent actuellement plus que la douleur. Ce qui est regrettable car la
répartition devrait être plus équitable entre ces deux disciplines nécessaires
», conclut le Pr Serge Perrot.
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