INTERVIEW
Rencontre avec Valérie Guillard, qui a dirigé un ouvrage collectif sur le stockage compulsif.
On s’est empiffrés comme des empaffés. On s’est rués sur les cadeaux (huit en moyenne par Français) dont on a délacé les rubans avec un soupir d’aise. Hum, encore un objet. Encore de quoi assouvir notre inextinguible soif d’accumulation. Car oui, nous avons beau patauger dans la crise économique, rien ne semble limiter notre appétit d’amonceler, quitte à en passer par le marché en pleine expansion de l’occasion. Et qu’importent les discours ambiants qui louent à l’envi le développement durable, le tri, le recyclage, le partage (covoiturage, partage d’outils, couchsurfing…) on s’échine encore à acquérir jusqu’à plus soif. Même à l’heure du numérique et de la dématérialisation, on en redemande. Mais pourquoi ce besoin de jouer les petits cochons stockeurs ? C’est ce que tente d’analyser un ouvrage collectif qui convie la sociologie, l’anthropologie, l’histoire… Intitulée Boulimie d’objets : l’être et l’avoir dans nos sociétés, cette somme tombe à pic en cette période encore plus orgiaque que d’ordinaire.
Entretien avec Valérie Guillard, 40 ans, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine, spécialiste en marketing et déjà auteure en 2013 deGarder à tout prix : décryptage d’une tendance très tendance, qui a dirigé cet ouvrage.
Sommes-nous à ce point devenus des accumulateurs ?
Observez votre lieu de vie, vos placards, vos caves… Ils sont remplis d’objets. On les oublie car chacun a sa place, mais il suffit d’un déménagement ou d’un emménagement avec une autre personne pour mesurer à quel point nous accumulons. Même ceux qui affirment tout jeter gardent certaines pièces «parce que, elle, c’est pas pareil, elle est spéciale». Difficile d’avoir une idée quantitative du phénomène, mais il y a des indices qui ne trompent pas. On assiste à une multiplication des espaces de stockage, du plus banal comme les sacs (à main ou en plastique que l’on distribue à 100 milliards d’unités par an) aux espaces physiques comme les box de stockage et les garde-meubles qui affichent de forts taux de remplissage. Sans compter la prolifération des conseils en management de l’espace.