Publié le 13/01/2024
On ne sait comment l’arrivée fracassante de Gabriel Attal à Matignon modifiera la promesse faite par Elisabeth Borne d’engager une réforme de l’Aide Médicale d’Etat (AME) en ce début d’année. Il est cependant certain qu’après l’adoption mouvementée de la loi Immigration, le sujet demeure dans les esprits et reste un objet de préoccupation pour un grand nombre de professionnels de santé. Beaucoup en effet se sont élevés pour manifester leur adhésion à l’AME et leur refus d’une transformation de ce dispositif. Pour nous, le professeur André Grimaldi revient sur le débat autour de la loi immigration en se concentrant notamment sur les enjeux de l’AME, mais aussi sur le séjour « talent » qui concerne entre autres les professionnels de santé.
Par André Grimaldi, professeur émérite CHU Pitié Salpêtrière
L’adoption de la loi immigration a entrainé la démission du Ministre de la santé, Aurélien Rousseau, bien que l’article consacré à l’AME (Aide médicale d’Etat) pour les personnes étrangères en situation irrégulière ait été retiré du texte de loi, après que la première Ministre eut promis au président des Républicains d’en débattre ultérieurement. Les élus du parti Les Républicains et du Rassemblement national souhaitent en effet supprimer l’AME pour la remplacer par une Aide médicale d’Urgence (AMU), ce qu’avait accepté le ministre de l’intérieur. Indépendamment de la question de l’AME, la loi votée par le Parlement et soumise au Conseil constitutionnel durcit les règles d’octroi d’un titre de séjour temporaire pour les étrangers résidant habituellement en France, gravement malades et ne pouvant bénéficier (effectivement et pas simplement théoriquement) du traitement approprié dans leur pays, bien que cette « immigration médicale » concerne moins de 4000 (moins de 2%) nouveaux titres de séjour chaque année.
De plus la Loi réduit l’accès aux droits sociaux des étrangers (hors UE) en situation régulière en leur imposant un délai de carence. Les convictions éthiques du Ministre expliquent sûrement sa décision de démissionner mais elle renvoie vraisemblablement aussi à un désaccord sur la place du Ministre de la Santé par rapport au Ministre de l’intérieur sur les questions portant sur la santé des étrangers vivant en France. Ce sujet relevant d’abord de la politique de santé est délibérément confondu avec la politique de régulation des flux migratoires. Si Gérald Darmanin est le véritable ministre de la santé des migrants, Aurélien Rousseau a dû estimer qu’il était de trop ! La politique migratoire ne devrait-elle pas d’ailleurs être traitée non pas quasi exclusivement par le ministère de l’intérieur, comme c’est le cas actuellement, mais aussi par les ministères des affaires étrangères, du travail, de l’éducation nationale, de la recherche et de l’enseignement supérieur et de la santé ?
Parler de l’AME pour ne pas parler des « vrais coûts exorbitants »
La question de l’augmentation des flux migratoires est sûrement un sujet majeur pour l’Europe et donc pour la France, d’autant qu’ils sont appelés à s’intensifier dans les années à venir avec les désordres du monde et les conséquences du dérèglement climatique. Mais l’immigré est d’abord un bouc émissaire facile. Parler de l’immigration permet en effet d’éviter de répondre aux principales préoccupations des français à commencer par la dégradation de notre système de santé. Les immigrés ne sont pas responsables des déserts médicaux ! Ainsi dans le débat sur l’AME, ses opposants mettent en avant son « coût exorbitant » laissant entendre que si la France dépense beaucoup pour la Santé (12% du PIB), l’AME n’y est pas pour rien.
C’est en réalité 1.2 Milliard en 2022 soit 0.5% du budget de la santé. Il est vrai que ce coût n’a cessé d’augmenter d’année en année. Mais si le coût a doublé en 13 ans c’est que le nombre de bénéficiaires a lui aussi doublé dans le même temps passant de 200 000 à 400 000 (dont 25% de mineurs qui ne sont pas juridiquement en situation irrégulière) tandis que le coût annuel par bénéficiaire est resté stable à 2400€, nettement inférieur à celui de l’ensemble des assurés (cette stabilité s’expliquant par un moindre recours à l’hospitalisation). Surtout parler du coût de l’AME d’1,2 milliard permet d’éviter de parler des coûts de gestion de notre système de santé de plus de 17 milliards, officiellement 6% des dépenses de santé (ce qui nous place en 2ème position des pays de l’OCDE dont la médiane est de 3%). Pourtant, la fusion des Assurances complémentaires dans la Sécurité sociale, défendue par le vice-président du Conseil d’Etat, permettrait d’économiser plus de 7 milliards de frais de gestion inutiles.
Parler du coût de l’AME permet aussi d’éviter de parler des 34 milliards de bénéfices (avant impôt) des producteurs du vaccin anti-Covid (Pfizer et Moderna) et plus généralement des super bénéfices des géants internationaux de l’industrie pharmaceutique imposant leurs prix de vente aux Etats nationaux. Causer de l’AME permet toujours d’éviter de parler de l’absence historique dans notre pays de la régulation médicale des dépenses de santé grâce à la mise en œuvre d’une politique d’amélioration de la pertinence des soins, alors que l’on répète depuis des années que 20 à 30% des actes et des prescriptions sont injustifiés ! De même on dénonce les fraudes à l’AME alors que le rapport Evin-Stefanini (E-S) constate que « l’AME est désormais la prestation gérée par l’assurance maladie dont le taux de contrôle est le plus élevé » grâce « à l’engagement et au professionnalisme des collaborateurs de l‘assurance maladie dans l’attribution des droits à l’AME » permettant de détecter moins de 3% d’anomalies. Mais dénoncer les fraudes réelles mais limitées à l’AME, permet d’éviter de parler de la fraude à la Sécurité sociale. L’assurance maladie s’est fixé en 2023 pour objectif le dépistage de 500 millions d’euros de fraude dont 70% seraient dus aux établissements de santé et aux professionnels de santé (les transports coûtent 5 milliards par an à l’assurance maladie). L’ancien ministre du budget, Gabriel Attal, estimait à un minimum de 5 milliards la fraude aux cotisations sociales de la part des employeurs.
Le système le plus généreux d’Europe… ça reste à voir
En fait, on prétend réduire les flux migratoires qui sont essentiellement d’ordre économique, non pas en permettant aux jeunes d’avoir un espoir d’avenir dans leurs pays d’origine, mais en dégradant leurs conditions d’accueil en France dont la trop grande générosité créerait « un appel d’air ». Il faut d’abord remarquer que le flux migratoire n’est pas plus important vers la France que vers les pays voisins, Il est même plus important vers l’Angleterre et l’Allemagne. Et contrairement à ce qui est prétendu, la France n’est pas la plus généreuse des pays européens en matière de droit à la santé accordé aux migrants en situation irrégulière. Pour avoir droit à l’AME, il faut séjourner en France de façon continue depuis plus de 3 mois et avoir un revenu inférieur à 810 euros par mois. Pour certaines prestations comme la cataracte ou la pose de prothèses, il faut même un délai de 9 mois. Contrairement à une « fake news, » la demande de PMA n’est pas prise en charge. Et le panier de soins de l’AME n’inclut ni les médicaments faiblement remboursés (15%) ni les cures thermales.
On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de ces remboursements pour l’ensemble des assurés. Avons-nous une « préférence nationale » pour le remboursement par la Sécurité sociale de soins n’ayant pas démontré leur efficacité ? De plus certains soins non urgents inclus dans le panier de la CME (canal carpien, pose de prothèses, chirurgie de l’obésité…) sont soumis à une entente préalable. A ces limites de l’AME, il faut ajouter, selon le rapport E-S, le fait que « les patients bénéficiaires de l’AME sont discriminés dans les trois spécialités étudiées. Ils ont entre 14 et 36% de chances en moins d’avoir un rendez-vous chez le généraliste par rapport aux patients de référence, entre 19 et 37% de chance en moins chez l’ophtalmologue et entre 5 et 27% chez le pédiatre ». Le rapport E-S insiste également sur « l’importance des ruptures de droits concernant 100 000 personnes notamment les demandeurs d’asile déboutés, pour une durée moyenne de plus d’un an ».
Si bien que la conclusion des rapporteurs est catégorique : « L’AME n’apparaît pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration » d’autant que 51% des ayant droit ne la demande pas. « Une étude de Médecins du Monde fait état que près de 87% des personnes fréquentant ses centres d’accueil de soins et d’orientation ne bénéficient pas de l’AME ». En conclusion, les deux rapporteurs proposent de renforcer les mesures de contrôle notamment en informatisant la carte des bénéficiaires et en exigeant leur présence physique lors des formalités administratives. Ils suggèrent de limiter l’accès aux soins en étendant le recours à la procédure de l’accord préalable.
Mais ils s’interrogent sur le rapport bénéfice coût de ces mesures et proposent pour réduire les coûts de gestion d’allonger la validité de la carte d’AME à deux ans au lieu d’un an actuellement. Ils proposent d’organiser systématiquement à l’arrivée en France un bilan de santé, d’inclure les bénéficiaires de l’AME dans les dispositifs de l’assurance maladie promouvant la prévention et les parcours de soins coordonnés et d’aligner le régime des demandeurs d’asile sur l’AME pour éviter les ruptures de droit et de prises en charge. Ils proposent donc d’augmenter le nombre de bénéficiaires de l’AME. Ils posent enfin la question de la pertinence de l’effet seuil radical de la ressource inférieure à 810 euros par mois, les personnes ayant des revenus supérieurs devant tout payer de leur poche quand bien même des cotisations sont prélevées sur leur salaire. Après la lecture du rapport E-S, on n’est pas vraiment convaincu que nous avons le système le plus généreux d’Europe ! Il y a pire, le Danemark, et il y a mieux, l’Espagne.
Contradiction
Reste la contradiction fondamentale de notre politique migratoire : nous voulons accueillir moins de malades étrangers pauvres provenant des pays hors UE mais nous voulons bien augmenter le nombre de médecins étrangers venant de ces pays. C’est pourquoi la loi a créé le permis de séjour dit « talent », pluriannuel, pour les professions de santé. « Méchant avec les malades mais gentil avec les médecins » comme dirait Gérald Darmanin. En la matière, nous avons en effet du retard dans la mesure ou nous n’avons que 16% de médecins étrangers contre 50% en Australie,38% au Canada, 33% au Royaume uni et 30% aux USA. Car nous traitons mal les 5000 médecins étrangers (algériens, marocains, tunisiens, libanais, syriens, africains… ) qui travaillent dans nos hôpitaux. Mais ce n’est sûrement pas en dépouillant les pays du Sud de leurs médecins qu’on évitera que les patients de ces pays cherchent à venir en France. La régulation des flux migratoires suppose d’abord une réelle politique de codéveloppement et de coopération des pays du Nord avec les pays du Sud. La régulation par la dégradation des conditions d’accueil et de soins ne permettra pas de diminuer les flux migratoires et sera un triple échec : humaniste, médical, financier.
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