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jeudi 10 novembre 2022

Santé mentale : doit-on changer le nom des maladies pour mieux les soigner ?

 L'ADN

Par LAURE COROMINES   le 9 novembre 2022

Hystérie, cleptomanie, bipolarité… Les diagnostics varient en fonction des pays et des époques car le contour des maladies mentales évolue au gré du temps et des cultures. Explications d'Aude Fauvel, historienne spécialiste de la médecine.

Stimulées par la pandémiela dégradation des conditions de travail et la crise climatique, les discussions autour de la santé mentale sont partout, des réunions Zoom aux vidéos TikTok. Mais si la parole se libère volontiers sur les réseaux, notre compréhension des maladies demeure imparfaite. Au sein de la faculté de médecine et de biologiede l’Université de Lausanne, l'historienne Aude Fauvel endosse une mission bien précise : s’inspirer du passé pour aider le présent. Pour cela, elle s'intéresse à l’histoire de la médecine et de la psychiatrie, et s'interroge sur les nomenclatures classifiant rigoureusement les différents troubles. Sont-elles les plus adaptées pour répondre au bien-être des patients et favoriser leur santé mentale ? Ne faudrait-il pas s'en affranchir ? La focalisation exclusive de certains spécialistes sur la recherche de la « bonne »  et « ultime » classification diagnostique serait, à ses yeux, d’autant plus problématique que la perception des maladies (bipolarité, schizophrénie...) est soumise à des influences nombreuses et parfois contradictoires : entre autres, pressions financières, enjeux politiques et avancées scientifiques. Comment alors comprendre les désordres mentaux ? Éclairage.

Existe-t-il des tableaux cliniques qui, au travers des époques et des cultures, relèvent toujours de la psychiatrie ? 

Aude Fauvel : Ce point est très discuté. Néanmoins, un certain nombre de clinicien.nes et chercheur.es en sciences sociales s’accordent à dire que l'on retrouve globalement trois invariants qui traversent les cultures et les époques. Grosso modo, ces invariants ont posé problème et ont été qualifiés de « fous » et/ou de « pathologiques » dans la plupart des sociétés. Tout d’abord la tristesse profonde, un état de quasi-sidération qui rend inapte à fonctionner. Ensuite le « délire », durant lequel un individu est vu comme totalement incohérent et, avec qui, personne — d’aucune sphère — ne peut interagir. Il faut toutefois rappeler que les personnes qui entendent des voix non menaçantes n’ont pas toujours été considérées comme anormales. Quelqu’un à qui « Jésus parle » peut ne pas être perçu comme problématique dans une culture chrétienne et par exemple suivre une carrière à l’Église... Et enfin, les épisodes où les individus exhibent des comportements débordants et extrêmement agités.

Quid du fameux DSM, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, régulièrement revisité, qui sert de référence aujourd’hui ? 

A. F : Le DSM (ndlr : pour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), manuel américain lancé en 1952 et réédité pour la cinquième fois en 2013, est aujourd'hui très critiqué, y compris par ses fondateurs. Ces derniers dénoncent notamment des pressions liées au marché du médicament. Certains estiment que des catégories diagnostiques ont été créées uniquement pour justifier la prise de certaines molécules. C'est le cas du « deuil pathologique », par exemple, une catégorie qui figure dans le DSM-5 et dont certains cliniciens estiment qu’elle sert surtout à justifier des sur-prescriptions d’antidépresseurs. À l’inverse, certaines maladies, comme l’hypocondrie, ont disparu en tant que catégories indépendantes de la dernière version du manuel, en partie parce qu’aucune approche et/ou molécule spécifique n’a pu être identifiée pour les traiter efficacement. Le DSM est donc devenu une sorte de gros fourre-tout, et même aux États-Unis, les hôpitaux préfèrent dorénavant se référer à l'ICD (pour International Classification of Diseases.) En outre, les dénominations appliquées à un même tableau clinique peuvent elles-mêmes varier : les patients qui oscillent entre abattement et phase d'agitation, que l'on qualifie aujourd’hui de bipolaires, étaient jadis étiquetés maniaco-dépressifs, une terminologie désormais éradiquée à cause de l'aura péjorative du terme « maniaque. » Avant cela, on les qualifiait de lunatiques, car on considérait que leurs humeurs fluctuaient au rythme de la lune… Pour certains psychiatres, le terme bipolaire est d'ailleurs encore à revoir, car il induit que les patients évoluent uniquement entre deux pôles, alors que le spectre est sans doute plus large.

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