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mercredi 31 août 2022

Naturopathie, reiki, lithothérapie… La difficile régulation des thérapies « alternatives »

Par   Publié le 31 août 2022

Une vidéo où Irène Grosjean, grand nom de la naturopathie, évoque la friction des organes génitaux des enfants a remis en lumière la question de l’encadrement de ces pratiques et de leur présence sur des plates-formes comme Doctolib.

De plus en plus populaire, de plus en plus controversée : trente-sept ans après la sortie de Ma médecine naturelle (Michel Lafon), best-seller de la chanteuse franco-israëlienne Rika Zaraï, qui avait fait entrer la naturopathie dans les foyers français, la discipline est au cœur d’une polémique qui met dans l’embarras la plate-forme Doctolib, accusée d’offrir une vitrine complaisante à des pratiques parfois décriées.

Lundi 22 août, le compte Twitter du collectif L’Extracteur, qui veut dénoncer les dérives des pseudo-médecines, publie une vidéo dans laquelle Irène Grosjean, figure nonagénaire de la médecine dite « alternative », évoque la pratique des bains dérivatifs sur les enfants. Le principe de cette méthode, présentée comme ancestrale, consiste, selon elle, à « frictionner » les organes génitaux, plongés dans de l’eau glacée, des enfants fiévreux, afin de les endormir. « Au début, il [l’enfant] ne sera pas d’accord », admet la naturopathe, enjoignant de continuer tout de même. L’Extracteur détaille d’autres conseils dangereux de Mme Grosjean, qui recommande, par exemple, le jeûne aux femmes enceintes ou allaitantes.

Le tollé est immédiat, et cible rapidement la plate-forme Doctolib, accusée de référencer des praticiens se réclamant de Mme Grosjean, offrant de fait une caution de sérieux à ces pratiques non scientifiques, voire dangereuses. Dans un communiqué, le 23 août, le Conseil national de l’ordre des médecins « s’inquiète » de la confusion entretenue par Doctolib entre médecins et pratiques « ne s’inscrivant pas dans l’exercice médical » et appelle à des discussions. Plus véhément, un syndicat de médecin, l’UFML, demande que Doctolib s’en tienne au référencement des seules professions médicales reconnues.

Dix-sept naturopathes déréférencés

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les pratiques sectaires (Miviludes), mobilisée depuis plusieurs mois sur les dérives des médecines alternatives, propose à son tour une réunion. Après une « discussion avec les responsables de Doctolib sur la nécessité de mieux former leurs équipes », la Miviludes organisera, « à la demande de la secrétaire d’Etat à la citoyenneté, Sonia Backès, une réunion de travail commune » dans la semaine du 5 septembre, explique son président, Christian Gravel.

Pris de court, Doctolib a annoncé déréférencer 17 naturopathes ayant été formés par Mme Grosjean. Arthur Thirion, directeur France de l’entreprise, largement majoritaire sur le marché de la prise de rendez-vous médicaux, confirme au Monde qu’une« consultation large » est lancée, tout en rappelant que Doctolib « n’a pas autorité pour statuer sur le fait que les professions non réglementées » aient un droit d’exercice.

Doctolib, qui a déjà modifié la signalisation sur sa plate-forme, promet des décisions rapides sur le sujet, mais demande également un débat « plus large » autour des médecines alternatives, en y incluant les associations de patients. Autant d’initiatives « accueillies favorablement » par le ministère de la santé, qui se dit « profondément attaché à la clarté et à la lisibilité de l’information en santé » mais ne s’exprime pas plus avant sur cette question sensible. En attendant les résultats de ces consultations, Doctolib a gelé les nouvelles inscriptions de praticiens de médecines « non conventionnelles ».

M. Thirion assure que Doctolib n’a pas les moyens de vérifier individuellement « chaque naturopathe pour savoir qui fait quoi et qui dit quoi ». De fait, il est aisé de trouver sur la plate-forme des pratiques tenant plus du mysticisme que du soin : coupeurs de feu supposés guérir allergies ou érythèmes par apposition des mains ; praticiens du reiki promettant d’améliorer la circulation énergétique, y compris par des séances à distance ; adeptes de la lithothérapie, qui assurent soigner en usant des propriétés de certaines pierres…

En réalité, note Sohan Tricoire, elle-même ancienne naturopathe, qui dénonce sur sa chaîne YouTube les dérives de cette discipline, il est difficile de distinguer « bonne » et « mauvaise » naturopathie, tant elle est constituée d’un amalgame de pratiques. « Il y a une grande porosité de disciplines. Chaque naturopathe va puiser à droite et à gauche, de l’ayurvéda hindou à la médecine chinoise. »

« Hygiène de vie optimum »

Née au XIXsiècle, notamment en Allemagne – où elle bénéficie aujourd’hui d’un statut légal –, la naturopathie n’a pas de définition médicale ni officielle en France, où elle est assimilée à une simple profession libérale, sans aucune exigence de diplôme ou de formation. Si la popularité de la discipline est incontestablement en hausse, portée par les crises sanitaires, les scandales de l’industrie pharmaceutique et l’aspiration à des vies plus saines, il est impossible de déterminer précisément combien de naturopathes exercent dans le pays.

La Fédération française de naturopathie (FÉNA), qui a l’ambition de rassembler le secteur, la définit comme une pratique visant à « mettre en œuvre une hygiène de vie optimum et individualisée, (…)dont le but est le bien-être global et durable de la personne ». La porte-parole de la fédération, Sophie Pihan, se désole de cette polémique, assurant que « 95 % des naturopathes font ce métier en sachant quelle est leur place », celle d’un « éducateur de santé ».

La FÉNA milite pour une reconnaissance officielle de la discipline, qui permettrait, selon elle, d’améliorer la qualité des formations, voire pour une « médecine intégrative » qui mêlerait naturopathie et pratique scientifique. Un vœu pieux, estime Clément (qui n’a pas souhaité donner son nom), l’un des membres du collectif L’Extracteur, tant la naturopathie se définit bien souvent par son hostilité à l’allopathie (la médecine scientifique), accusée d’être la cause même des problèmes de santé. La naturopathie se fonde sur des notions comme le causalisme – « penser que les problèmes de santé proviennent de notre éloignement des lois naturelles, voire divines », détaille Sohan Tricoire –, l’hygiénisme ou le vitalisme, l’idée que nous sommes traversés d’énergies mystiques, qu’on peut mobiliser et canaliser.

« On y trouve beaucoup de discours antichimiothérapie, ou disant que le VIH n’existe pas », explique Mme Tricoire. C’est l’une des thèses d’Irène Grosjean – qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Dans un de ses ouvrages, elle prétend avoir vu un patient atteint du VIH guérir grâce au jeûne et à la consommation de jus de légumes.

Mme Grosjean organise des stages avec un autre praticien, Miguel Barthéléry. En 2021, ce naturopathe a été condamné à deux ans de prison avec sursis pour exercice illégal de la médecine, un jugement pour lequel il a interjeté appel. Des familles d’anciens clients l’accusent d’avoir éloigné leurs proches, atteints de cancer, de la médecine traditionnelle et des traitements adaptés, en prétendant les soigner par des remèdes naturels. « Il y a un certain nombre de référents en naturopathie qui sont au cœur de dérives thérapeutiques et sectaires », juge Christian Gravel, dont « une part importante des signalements » concernent le domaine de la santé. Pour lui, le discours d’Irène Grosjean, qui a déjà fait l’objet de saisines, dont certaines « particulièrement inquiétantes »« comporte un risque réel de détournement des malades des soins éprouvés et induit, chez certaines personnes, une emprise psychologique ».

« Audience antisystème »

L’institution s’était déjà saisie du cas de Thierry Casasnovas, naturopathe youtubeur à l’influence certaine, objet, lui aussi, d’un record de saisines à la Miviludes pour des soupçons d’emprise sectaire. M. Gravel assure être « lucide sur le dynamisme de ces réseaux, qui après la crise sanitaire ont bénéficié de l’exploitation d’un climat anxiogène et des peurs ».

De fait, on trouve, au sein du front antipolitique sanitaire né de la crise liée au Covid-19, nombre de tenants des médecines naturelles. « Ces mouvances gagnent toute une partie de l’audience antisystème », note Tristan Mendès France, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication et spécialiste du complotisme en ligne, pour qui la naturopathie, en offrant « une approche holistique, globale, une façon d’être », séduit des publics en recherche d’un discours « alternatif au mainstream en matière de santé ».

Irène Grosjean devait d’ailleurs participer, le 3 septembre, au cinéma Le Grand Rex, à Paris, à l’avant-première du documentaire L’Empreinte, film consacré à Florian Gomet, ancien enseignant converti au crudivorisme et à la naturopathie, qui a parcouru 3 500 kilomètres en courant pieds nus. Un film coréalisé par Pierre Barnérias, déjà réalisateur de Hold-up, un documentaire conspirationniste à succès sur la pandémie. Face à la polémique, la salle a finalement préféré annuler l’événement. Mme Grosjean, pour sa part, assure sur Facebook vouloir « transformer ce qui arrive en une véritable opportunité pour faire découvrir au plus grand nombre les bienfaits de ce fameux bain de siège à friction ».


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