par Julien Lecot publié le 6 juillet 2022
«Une situation catastrophique». Dans un courrier adressé ce mercredi à la ministre déléguée chargée des Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq, que Libération a pu consulter, le réseau «Paralysie cérébrale France» sonne l’alerte : si aucune mesure n’est prise en urgence, c’est toute une partie du secteur du médico-social qui risque de s’effondrer. Et les conséquences pourraient être dramatiques pour les personnes en situation de handicap.
Au cœur de tous les problèmes, encore une fois : le manque de personnel. Dans les Etablissements et services médico-sociaux pour adultes, qui accompagnent des handicapés moteurs, déficients intellectuels ou encore polyhandicapés, «20 à 30 % des postes d’infirmiers, d’aides-soignants, d’accompagnateurs éducatifs et sociaux, de kinésithérapeutes ou d’ergothérapeutes sont vacants», détaille Jacky Vagnoni, le président de Paralysie cérébrale France, dans la lettre adressée à la ministre. Sa fédération, qui regroupe environ 200 établissements, est pour sa part à la recherche d’au moins 210 employés.
Ces dernières années, c’est tout le secteur du handicap qui a petit à petit perdu en attractivité. La faute à des salaires jamais revalorisés, dépassant difficilement le smic pour les aides-soignants, accompagnants et éducateurs, et à des horaires décalés difficilement compatibles avec une vie personnelle. La prime Ségurde 183 euros net par mois, réservée lors de son instauration en 2020 au seul personnel soignant des hôpitaux et Ehpad publics, n’a fait qu’accentuer cette fuite de main-d’œuvre. Alors qu’ils étaient déjà moins bien payés, beaucoup de travailleurs du secteur l’ont quitté pour bénéficier d’une meilleure rémunération dans le public, aggravant la pénurie.
Les résidents, premières victimes de cette pénurie
La prime a finalement été étendue au compte-gouttes à d’autres secteurs, handicap compris. «Mais aujourd’hui encore, 30 % de notre personnel, comme les agents de soins ou animateurs, n’ont toujours pas le droit à cette revalorisation», déplore Elodie Bastien, directrice générale de l’Association départementale des infirmes moteurs cérébraux de la Sarthe, dans un point presse organisé par Paralysie cérébrale France ce mercredi. «Ce sont souvent les plus petits salaires qui en sont exclus, reprend-elle. Quant aux autres, la revalorisation reste minime après des années sans augmentation, et permet tout juste de dépasser le niveau du Smic, le tout en travaillant avec des horaires décalés, de matin ou de nuit, ou sur des journées coupées en deux.»
Sur le terrain, cette pénurie de personnel a déjà des conséquences concrètes. Des unités d’accueil sont contraintes de fermer, les résidents étant regroupés dans d’autres parties des établissements pour rentabiliser au mieux les effectifs restants. D’autres sont renvoyés dans leurs familles, quand celles-ci sont en mesure de les accueillir. Une situation compliquée quand on sait que ces personnes en situation de handicap nécessitent en général de lourds soins et un accompagnement en permanence. «Nos établissements, ce sont des lieux de vie, des domiciles pour ces personnes. Quand on demande à des résidents de partir de chez eux, ça s’assimile à une expulsion locative, dénonce Julien Bernet, directeur d’Hapogys, association qui regroupe six établissements en Gironde. Voilà ce qu’on accepte aujourd’hui en France : qu’on expulse les plus fragiles d’entre nous.»
Pour les bénéficiaires qui restent dans les établissements – encore une majorité aujourd’hui, heureusement –, la prise en charge est forcément dégradée. Finis les sorties et les loisirs, en sous-effectif le personnel n’a d’autre choix que de se focaliser sur les besoins vitaux, explique Marie-Eve Viarde, directrice Handicap’anjou, association installée dans la Loire : «On est dans une forme de replis, de renoncement à la vie sociale. On ne parle plus de dynamique inclusive ni d’activité de plaisir. C’est un renoncement dramatique. Désormais, nous n’avons plus que des corps dont on garantit la survie, et non la vie sociale, la gaieté, le loisir.»
Pour faire face à cette «situation (qui) n’est plus tenable et est devenue inacceptable pour la dignité et la sécurité des personnes en situation de handicap» et essayer de trouver une solution le plus rapidement possible, Paralysie cérébrale France sollicite, dans sa lettre adressée à Geneviève Darrieussecq, une rencontre «en urgence» avec la ministre «pour partager un état des lieux du secteur médico-social». Et demande «de garantir le financement immédiat des mesures Ségur» tout en les étendant «aux métiers oubliés», ou encore d’envisager «de concert le sort de l’hôpital et celui du secteur du médico-social dont les avenirs sont totalement interdépendants». Sans quoi, tous les professionnels du secteur l’assurent, l’été pourrait donc être dramatique.
«C’est toujours la même chose»
Mardi, pour son premier déplacement depuis sa nomination à la place de Damien Abbad, Jean-Christophe Combe, le nouveau ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, a présenté «une série de mesures afin de faire face aux tensions de recrutement dans le secteur médico-social», explique le ministère dans un communiqué. Entre aides au recrutement et renforcement «des filières gériatriques», a été annoncé le«doublement de la rémunération des heures supplémentaires des professionnels des établissements médico-sociaux qui relèvent de la fonction publique hospitalière».
Au grand dam du secteur associatif qui ne semble pas pouvoir en bénéficier et craint, une nouvelle fois, de voir ses effectifs se faire la malle. «C’est toujours la même chose : les hôpitaux en premier, ensuite les Ehpad, et des mois après, une fois qu’on a réussi à se faire entendre, les associations du handicap, râle Jacky Vagnoni. Ce communiqué nous inquiète. C’est une nouvelle législature, un nouveau ministre, mais les bonnes vieilles habitudes continuent.»
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