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mardi 31 mai 2022

Deuil périnatal : «On passe de future maman à rien du tout»

par Anaïs Coignac  publié le 30 mai 2022 

En France, plus de 1 grossesse sur 100 aboutit à la mort de l’enfant. Familles, médecins et associations luttent pour la reconnaissance du sujet, encore tabou.

«Il faut y être confronté pour savoir que ça existe. Même les mots, on ne les connaît pas», lance Sophie de Chivré, maman de trois enfants, dont une première petite fille née sans vie, fin 2017. En 2020, la trentenaire de Caen lançait son podcast Au revoir, recueil de témoignages de personnes ayant, comme elle, perdu leur bébé avant d’avoir pu le connaître. «On passe de femme enceinte, de future maman, à rien du tout. Socialement, c’est un deuil de l’abstraction.»

En 2019, en France, le deuil périnatal touchait 10,2 grossesses sur 1 000 selon la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). L’Organisation mondiale de la santé le délimite au décès à partir de vingt-huit semaines d’aménorrhée (fin du sixième mois de grossesse) ou à partir de 500 grammes, et jusqu’à sept jours après l’accouchement, qu’il s’agisse de morts in utero «spontanées», d’interruptions médicales de grossesse, notamment en cas de malformation, ou de décès néonatal précoce. En France, les statistiques prennent en compte les décès à partir de vingt-deux semaines (cinq mois). L’impact émotionnel, lui, n’est pas conditionné à un chiffre, les thérapeutes interviennent dès que la situation l’exige.

«C’était quinze jours avant le terme. Au réveil, le bébé ne bougeait plus. En fait, son cœur ne battait plus», raconte Sandra, 40 ans, qui a appris «l’accident» aux urgences voilà un an. Deux mois plus tard, l’autopsie révélera qu’un nœud s’était formé avec le cordon, conduisant à l’asphyxie du bébé jusqu’ici bien portant. En 2019, selon la Drees, 6 388 enfants sont nés sans vie sur 748 121 accouchements de femmes résidentes en France. «J’étais sidérée, terrifiée. Ce n’était plus mon bébé, je voulais qu’on m’enlève cette chose du corps», explique Sandra, qui apprend qu’elle doit quand même accoucher. La date est fixée quatre jours plus tard. «Ils ont mis la musique à fond, du Bob Marley, j’avais dix personnes autour de moi dont des psys. Ils m’ont empêchée de souffrir. Je n’ai pas eu le périnée abîmé, ni de cicatrice. Finalement, j’ai été contente d’accoucher par voie basse.»

Une étape cruciale, sauf décision médicale contraire, dans le processus de réappropriation face à un décès qui intervient après de longs mois de grossesse. «Les femmes sont dans un rôle actif, elles accompagnent leur bébé jusqu’au bout», commente Capucine Foulon, psychologue clinicienne à Paris, spécialiste du deuil périnatal.

«Solitude profonde»

Sandra est l’une de ses patientes. Grâce au travail réalisé ensemble, la quadragénaire parvient désormais à en parler, à nommer cet enfant dont elle n’a d’abord pas souhaité déclarer le prénom à la mairie, et envisage presque une nouvelle grossesse. «On se relève, très difficilement, mais on se relève.» L’enfant sera inhumé par l’hôpital, le couple réalisera plus tard une sépulture intime, dans la montagne, avec les vêtements de naissance et deux lettres d’au revoir. «Il faut une sépulture réelle pour qu’il y ait une sépulture psychique», ajoute Capucine Foulon. Elle insiste sur l’importance de soutenir l’autonomie décisionnelle des parents, à chaque étape, de respecter leur ressenti et rappelle que le deuil périnatal n’est pas«une fausse couche». «L’entourage a tendance à minimiser, à nier l’existence du bébé et donc de la parentalité.» Il existe désormais un mot pour désigner ces parents orphelins de leur enfant : «parange», contraction de parent et d’ange.

Sophie de Chivré confirme «la solitude profonde» ressentie par les parents : «Perdre un enfant, c’est effrayant, personne n’a envie de savoir. C’est le tabou du tabou de la maternité.» Auparavant, l’information était rare, difficile d’accès, y compris au sein des hôpitaux. «Pour la génération Y, il était inconcevable de ne pas en parler, ajoute la podcasteuse. D’autant qu’on connaît aujourd’hui les effets délétères du silence.» Depuis, les réseaux sociaux ont contribué à rendre ces drames visibles, en particulier sur Instagram via des comptes comme «A nos étoiles», ainsi que des tribunes comme celle de la philosophe Claire Larroque, dans le Mondevisant à libérer la parole sur ce drame et à mieux le prendre en compte.

Un grand pas a été franchi avec la loi du 6 décembre 2021 accordant aux parents d’un enfant né sans vie le droit de lui donner un nom en plus du prénom, et de l’inscrire dans le livret de famille. La Caisse d’allocations familiales s’est alignée en permettant de l’intégrer dans le dossier de famille tandis que le Trésor public reconnaît aux parents le statut familial dans le calcul des impôts.

«C’était une demande forte de nos adhérents, que leur enfant soit reconnu. Leur plus grande angoisse, c’est que ce bébé soit oublié, assure Servane de Follin, responsable de la communication d’Agapa, une association bénévole d’écoute et d’accompagnement des deuils autour de la maternité. L’enjeu, c’est de permettre aux parents d’intégrer cet événement dans leur parcours de vie.» Elle se réjouit de l’évolution des mentalités, les années 70-80 étant plus souvent dans «l’injonction à oublier». C’était avant l’introduction de l’échographie dans les diagnostics prénataux.

Démédicalisation des grossesses

Le professeur Jean-Marie Jouannic, du service de médecine fœtale de l’hôpital Trousseau, à Paris, considère le recrutement de psychologues et le développement de la psychiatrie périnatale comme «une absolue nécessité» afin d’accompagner les parents endeuillés et de prévenir des formes de pathologie du deuil, y compris pour les grossesses ultérieures. Tous insistent sur l’importance de sensibiliser à cette problématique, sans inquiéter les futurs parents.

Récemment, une étude de l’Inserm a pointé le retard pris par la France en matière de deuil périnatal, les chiffres n’ayant pas diminué entre 2010 et 2015, contrairement à d’autres pays européens, classant le pays parmi les mauvais élèves sur le taux de mortinatalité (les enfants nés sans vie). «Ces données sur les décès fœtaux et néonataux soulèvent des inquiétudes quant aux politiques et soins périnataux en France», dénonce le document, pointant quelques facteurs de risques comme l’augmentation de l’âge des mères, du nombre de femmes en surpoids ou obèses, ou de femmes fumeuses pendant la grossesse. «Ces chiffres, tout le monde les connaît mais dans les ministères, personne ne les regarde», critique le professeur Jean-Christophe Rozé, président de la Société française de néonatalogie, qui assure avoir, avec d’autres experts, alerté les pouvoirs publics à plusieurs reprises.

Lui pointe d’autres facteurs de risques, comme l’essor de la démédicalisation des grossesses et le maintien de petites structures dans des territoires éloignés. «Il faudrait un débat apaisé sur ces sujets sensibles, reconnaît-il. Et savoir, comme en Angleterre, le taux de mortalité de chaque unité.» Pour le professeur Jouannic, c’est «un sujet d’intérêt général».

«Remise en question complète de l’individu»

En attendant, Agapa propose des formations à l’écoute pour les professionnels et des accompagnements individuels et collectifs pour les parents, notamment des cafés-rencontres accessibles en visioconférence. Depuis deux ans, certains ont été créés spécifiquement pour les pères – un autre vient d’émerger à destination des grands-parents. «Ces évènements rencontrent un grand succès, il y a un réel besoin. Très souvent, les hommes ne savent pas comment se situer dans ce deuil», reconnaît Servane de Follin. Frédéric, 42 ans, a participé à un événement similaire à Paris. Lui a perdu sa fille, Valentine, à la suite d’une interruption médicale de grossesse en 2015. «Nous sommes deux à perdre un enfant. J’étais très en colère que des groupes de parole n’existent pas pour les pères»,dit-il.

«La paternité évolue et on doit l’accompagner, déclare Capucine Foulon, la thérapeute qui l’a suivi après le drame. Les hommes n’ont pas la même temporalité, les difficultés arrivent à retardement, souvent une fois que leur compagne commence à aller mieux.»Frédéric concède s’être «tué au travail», lancé dans un achat immobilier et avoir «fait bouclier» pour sa femme, jusqu’à «casser la forteresse».

«C’est une remise en question complète de l’individu», déclare l’homme qui a eu ensuite deux garçons avec sa femme, deux grossesses qu’il a vécues très douloureusement. «Ce qui nous a sauvés, c’est qu’on ne s’est jamais lâché la main avec ma compagne», là où «beaucoup de couples se séparent». Aujourd’hui, Valentine a une place «bien définie» dans la famille. S’il arrive encore à Frédéric de passer «des nuits compliquées», il jure que «le temps fait bien les choses. Un jour, on peut de nouveau être heureux».


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