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samedi 27 novembre 2021

Au CHU de Guadeloupe, la tension s’accroît entre les soignants vaccinés et les «suspendus»

par Julien Lecot, envoyé spécial à Pointe-à-Pitre  publié le 26 novembre 2021

Près de 600 soignants ont été suspendus ces dernières semaines après avoir refusé de se faire vacciner. Une partie d’entre eux manifeste tous les jours devant l’hôpital.

Perché sur une petite colline à la sortie de Pointe-à-Pitre, le centre hospitalier de Guadeloupe est coupé en deux depuis des semaines. En haut, le personnel vacciné (ou qui a été contaminé par le Covid-19 au cours des six derniers mois) qui continue non sans mal de travailler. En bas, les travailleurs suspendus pour avoir refusé de se faire vacciner, auxquels s’ajoutent régulièrement des manifestants venus les défendre, syndicalistes et pompiers en tête. Ils sont près de 600, sans compter ceux qui se sont mis en arrêt maladie pour éviter la suspension, à ne plus pouvoir exercer dans le plus grand hôpital de Guadeloupe. Une cinquantaine continue à venir chaque jour devant l’édifice pour manifester son mécontentement, se répartissant par services sous des barnums. Ce jeudi matin, les abords du centre hospitalier sont étonnamment calmes.

«Nous voulons avoir la liberté de prendre cette décision.»

Aux aurores, l’entrée, régulièrement obstruée ces derniers jours par les opposants à l’obligation vaccinale, a été dégagée par une dizaine de policiers. Pour éviter tout nouveau blocage, les forces de l’ordre sont restées sur place, continuant de faire le pied de grue devant les grilles du bâtiment. Ici, «c’est la République des suspendus», sourit ironiquement Anne, la quarantaine, assise sur une chaise avec plusieurs de ses collègues. Sur le tee-shirt rouge qu’elle porte sur les épaules, on peut lire en créole : «Nous ne voulons pas, on ne se laissera pas piquer.» Suspendue depuis le 3 novembre, la pharmacienne s’explique : «Nous nous posons beaucoup de questions, sur la durée de fabrication du vaccin, la façon dont il a été autorisé, le fait qu’il soit injecté à tous les publics, même les femmes enceintes. Nous voulons avoir la liberté de prendre cette décision.» Une de ses collègues évoque «les nombreuses complications et les morts» que le vaccin aurait entraînés, sans aucune preuve, mais jurant avoir eu «beaucoup de retours» de pompiers confrontés à de telles situations.

Sous les yeux interloqués des deux femmes, un petit attroupement se forme. Au milieu des caméras et micros tendus, Fabien Roussel, le numéro 1 du Parti communiste, déambule entre les stands, carnet de notes sous le bras aux côtés des manifestants. Le député et candidat à la présidentielle a tenu à monter à la va-vite cette visite en Guadeloupe et à venir devant le CHU pour écouter «la colère» des contestataires et la «porter jusque dans l’hémicycle» à son retour. L’opération permet par ailleurs de gratter quelques soutiens utiles en vue du scrutin de 2022 alors qu’aucune figure politique de l’Hexagone n’a mis les pieds aux Antilles depuis le début de la crise.

Difficile néanmoins de dire que la venue du candidat intéresse vraiment les suspendus. Chacun reste sagement assis sous son barnum, observant la scène de loin tout en continuant à raconter le Covid, l’épidémie et l’hôpital. «Il y a quelques mois, on nous refusait les congés, on était indispensables pendant la vague de contaminations de l’été, se remémore Monique, soignante d’une cinquantaine d’années, de l’amertume dans la voix. Maintenant, on nous dit qu’on est indésirables et on nous laisse sans salaire, sans pouvoir toucher le chômage et avec des crédits à payer.» Indignée par le traitement qui lui est réservé après des années de bons et loyaux services, elle laisse entendre que le mouvement pourrait prendre une autre tournure si aucune paye ne tombait à la fin du mois, la semaine prochaine donc.

Agressions et menaces de mort

Dans les couloirs du CHU, l’attitude de ceux d’en bas divise. Beaucoup n’osent pas commenter le mouvement ou ne lâchent que quelques phrases, retranchés dans un anonymat prudent par peur de représailles. «Quand j’arrive le matin et que je passe devant les manifestants, je baisse la tête, je fais profil bas et j’accélère le pas. Certains nous en veulent sans que l’on sache vraiment pourquoi. C’est vraiment perturbant», raconte une jeune interne arrivée au CHU au début du mois. La semaine dernière, elle a même retrouvé sa voiture, garée à l’extérieur du CHU à cause des blocages, les vitres brisées après une nuit de travail. «C’est vraiment usant, on est un peu blasés à force», souffle une de ses collègues, irritée par les manifestations, qu’elles soient devant l’hôpital ou aux quatre coins de l’archipel.

Ces derniers jours, plusieurs agressions contre des travailleurs de la santé ont été recensées en Guadeloupe, alimentant un climat de peur générale. L’Agence régionale de santé s’en est indignée dans un communiqué, évoquant, par exemple, des «menaces au fusil», une course-poursuite impliquant un soignant ou encore une «tentative de car-jacking». Le CHU de Pointe-à-Pitre a quant à lui porté plainte après avoir reçu des menaces de mort.

«Beaucoup sont aussi préoccupés par la situation de leurs collègues qui ont été suspendus sans paye», explique une cheffe de service pour justifier ce mutisme quasi général. D’autant que certains soignants savent qu’ils doivent leur non-suspension au Covid qu’ils ont contracté ces six derniers mois. Quand ce délai serait dépassé, ils devront aussi choisir entre le vaccin et un arrêt de travail contraint.

Pénurie de matériel

Pour le personnel qui peut encore travailler dans l’hôpital – 87 % des effectifs selon la direction du CHU – les suspensions ont avant tout entraîné une surcharge de travail, faute de main-d’œuvre suffisante. «Quand l’obligation vaccinale a commencé à entrer en vigueur, on a dû réduire les lits et mutualiser certains services», confirme Valérie Galantine, cheffe sur service néphro-hémodialyse. Les barrages qui persistent sur certaines routes stratégiques de Guadeloupe n’ont fait qu’empirer cette situation, empêchant un certain nombre de soignants de venir travailler. Quand ils n’ont pas tout simplement découragé des patients de se déplacer pour se faire soigner.

«Le contexte est vraiment stressant et psychologiquement, ce n’est pas facile à vivre, s’exaspère une médecin. On est passé sans pause ou presque d’une crise à une autreLes malades sont là, le service est rempli, mais on ne sait pas combien de soignants pourront se rendre à l’hôpital chaque matin, ni si quelqu’un pourra nous remplacer à la fin de notre shift.» Sans parler des pénuries de matériel puisque les livraisons sont impossibles. Pour certains soignants vaccinés, croisés aux côtés des manifestants aux portes de l’hôpital à la fin de leur service, la solution à ce manque de main-d’œuvre qu’ils subissent au quotidien est pourtant toute trouvée : permettre à ceux d’en bas de les rejoindre en haut.


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