S’il peut s’expliquer par des raisons environnementales, le choix de ne pas procréer recouvre souvent des considérations diverses.
Diminuer sa consommation de viande, éviter l’avion, renoncer à une voiture… Autant de mesures individuelles fortes pour réduire son empreinte carbone et lutter contre le réchauffement climatique.
Mais le changement de comportement le plus efficace, selon des chercheurs de l’université de Lund (Suède) et de l’université de la Colombie-Britannique (Canada), reste encore de faire moins d’enfants. Un bébé pèserait en effet 58 tonnes de CO2 par an, tandis que le cumul d’un régime végétarien (en moyenne 0,8 tonne par an), de l’arrêt des voyages en avion (1,6 tonne) et de l’usage d’une voiture (2,4 tonnes) permettrait d’économiser au total 4,8 tonnes par an.
Ne pas avoir d’enfant – ou n’en avoir qu’un – pour sauver la planète ? Si le phénomène est difficilement quantifiable, le discours résonne chez une partie de la jeunesse de plus en plus préoccupée par les questions environnementales. Qu’ils aillent au bout ou non de la démarche, ce questionnement témoigne d’un regard nouveau sur les conséquences de la parentalité.
Aux Etats-Unis, ces jeunes ont même un nom : les « Ginks », pour « Green Inclination, No Kids » (« engagement vert, pas d’enfant »). « Ce monde sera meilleur s’il est moins peuplé », estiment-ils. « Si nous voulons sauver cette planète, nous n’avons pas d’autre choix que d’aborder le problème de la surpopulation humaine », assume Leilani Münter, ex-pilote de course automobile américaine, dont les vidéos sont largement partagées sur les réseaux sociaux. Très active également, l’ONG britannique Population Matters s’est spécialisée dans la promotion d’une vie « sans enfant », ou avec « moins d’enfants ».
Quelle est la réalité de ce discours, de plus en plus relayé dans les médias et chez une partie de la jeunesse ? « Il faut distinguer les personnes qui vont avoir une méfiance temporaire vis-à-vis de la maternité et celles qui sont fermes et définitives dans leur choix. On a une marge, un flou difficilement quantifiable, surtout chez les jeunes, précise Magali Mazuy, chargée de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED). Mais il est possible que la période de forte austérité et de précarisation de la jeunesse que nous connaissons actuellement ait un impact sur la manière dont ils vont se projeter, même si les injonctions à avoir des enfants restent très puissantes. »
Un choix qui continue de déranger
Car le taux de fécondité en France est toujours le plus élevé d’Europe, avec une moyenne de 1,88 enfant par femme – résultat, notamment, d’importantes politiques natalistes. Les derniers chiffres concernant le non-désir d’enfant datent de l’enquête Fecond, réalisée en 2010 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’INED.
A l’époque, 5 % des femmes et des hommes ne voulaient pas expérimenter la parentalité. On sait néanmoins que le nombre de naissances ne cesse de baisser en France depuis plusieurs années. Selon la revue Population, publiée par l’INED en 2019, « la baisse de la fécondité concerne principalement les 20-29 ans, et est marquée par l’augmentation de l’infécondité (proportion de femmes sans enfant) à ces âges, sans que l’on puisse encore déterminer si c’est le fait d’un recul de l’âge à l’entrée en parentalité, éventuellement compensé plus tard, ou si l’infécondité sera définitive dans ces générations. »
En réalité, les motivations de celles qui assument véritablement cette décision sont complexes et variées. Rares sont les jeunes femmes qui affirment renoncer à la maternité par pur militantisme pro-environnement. Après une deuxième année d’IUT de journalisme à Cannes (Alpes-Maritimes), Lisa Noyal, 21 ans, végétarienne depuis plusieurs années, désormais végane, boycotte les voyages en avion… et les bébés. « Le réchauffement climatique, les animaux qui disparaissent, les pandémies… Pour moi, l’écologie est l’argument principal pour ne pas faire d’enfant. Après, je n’ai jamais ressenti cette envie de transmission », reconnaît-elle.
Le choix, en tout cas, continue de déranger. Car toutes les jeunes femmes que nous avons interrogées rapportent les mêmes propos, qu’elles encaissent au détour d’un repas de famille, d’une soirée entre copines, d’une consultation chez un médecin : « On me répond toujours : “Il faut grandir, tu verras dans dix ans, tu en voudras un comme toutes les femmes du monde !” » ; « Une maman m’a dit : “T’inquiète, ça viendra. Moi non plus, à ton âge, je n’y pensais pas !” » ; « Un gynéco m’a sorti : “Je vous jure que vous allez changer d’avis. Et si votre futur compagnon en a envie ?”»
A 25 ans, Marie se sent constamment pointée du doigt. « Dire qu’on ne veut pas d’enfant ne semble pas normal. On n’entre pas dans la case. On a un problème, un boulon qui manque, fustige-t-elle. Bon gré mal gré, ça devient une lutte, alors que ça devrait juste être une décision personnelle. Personne ne demande à une femme enceinte pourquoi elle a fait ce choix ! C’est comme ça, c’est en moi. »
« Combattre une idéologie dominante »
Comme beaucoup d’autres, Marie a dû développer une large panoplie d’arguments, « en mode stratégie de survie ». L’explication qui frappe le plus ses interlocuteurs : faire des enfants pollue une planète déjà malade et surpeuplée ; refuser d’en faire est un acte écologique puissant. « Cet argument peut faire taire une réprobation puisqu’il est moral. Là, on ne peut plus accuser ces femmes d’égoïsme », souligne Edith Vallée, pionnière sur les recherches autour de la non-maternité et autrice, en 1981, de Pas d’enfant, dit-elle… (Editions Tierce). « Le désir d’avoir un enfant est aussi intime et profond que le désir de ne pas en avoir », estime la docteure en psychologie.
Dans un pays comme la France, où la valeur « famille » reste forte, les jeunes qui revendiquent leur non-désir d’enfant doivent ainsi « combattre une idéologie dominante », selon les termes de Laurence Santantonios, autrice de Libre à elles, le choix de ne pas être mère (Editions du Mauconduit, 2018). « Un pays fécond était un pays puissant face à l’ennemi allemand », rappelle Corinne Maier, autrice de l’ouvrage No Kid, quarante raisons de ne pas avoir d’enfant (Editions Michalon, 2007), qui dénonce avec humour l’asservissement que représenterait la maternité pour les femmes.
Mais pourquoi ce choix, appuyé par des arguments écologiques, semble-t-il gagner du terrain chez les jeunes ? Plutôt qu’une rupture vis-à-vis du monde ou d’un passé douloureux – qu’elle observe chez certaines femmes refusant d’avoir des enfants à partir des années 1970 – Edith Vallée souligne le besoin, chez cette nouvelle génération, de « se réaliser autrement ».
« Je tiens à ma liberté ! »
« Aujourd’hui, les jeunes sont peut-être plus nombreux à se dire qu’il est possible de ne pas avoir d’enfant et que leur vie serait quand même réussie », suggère la sociologue Charlotte Debest, autrice de l’ouvrage Le Choix d’une vie sans enfant (Presses universitaires de Rennes, 2014).
« Je tiens à ma liberté ! Je ne veux pas avoir quelque chose qui me retiendrait à terre, résume ainsi Anne-Laure, 21 ans, étudiante à l’Ecole nationale supérieure maritime du Havre (Seine-Maritime), future officière de la marine marchande. Pour être honnête, l’écologie n’est qu’une flèche de plus à mon arc. Un enfant représenterait un poids financier et, surtout, un frein à ma carrière. »
Ce choix s’articule avec des convictions féministes de plus en plus développées chez les jeunes femmes. Car si elle est depuis belle lurette idéalisée, la maternité cristallise aussi une répartition des tâches inégalitaires. « Les jeunes femmes ne se voient pas assumer seules toutes les tâches de soin, de maternage, de ménage… Et savent que ce sont elles qui les portent avant tout », explique Magali Mazuy.
Une nouvelle prise de conscience car, en 2007, lorsque Corinne Maier publie No Kid, son livre est perçu comme une pure provocation. « Avant, on ne parlait jamais du sacrifice qu’une grossesse représente pour les femmes, rappelle l’essayiste. Mais c’est un sacerdoce, une charge accablante, un investissement gigantesque qu’il faut concilier avec un travail. Le tout pour des semaines de soixante-dix heures et une utilité collective discutable. »
Les femmes diplômées sont d’ailleurs celles qui se projettent le plus en dehors de la maternité. Avec une scolarité plus longue, une entrée en maternité plus tardive (en France, en 2019, la moyenne d’âge à l’accouchement est de 30 ans et demi), elles s’investissent dans d’autres sphères et peuvent remettre en question ce choix plus longtemps.
Stérilisation à visée contraceptive
« Il faut un certain statut, des outils et des modèles pour qu’une femme puisse se sentir valorisée sans passer par la maternité », rappelle Charlotte Debest. Qui remarque qu’avoir des enfants est une façon, notamment pour les jeunes des classes populaires, « d’obtenir une position sociale » : « La maternité apporte des droits et permet de s’émanciper des parents, de prendre son autonomie… » Mais les conditions matérielles d’entrée dans la vie d’adulte, d’accès à un emploi stable, à la propriété d’un logement, ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans. Alors, face à un avenir incertain, face à la crise économique, fonder une famille n’apparaît plus comme une évidence.
« Dans les conditions actuelles, ça me paraît inimaginable de mettre une personne au monde alors qu’elle n’a rien demandé et qu’elle va galérer », estime Laura Schwab, 26 ans
« Dans les conditions actuelles, ça me paraît inimaginable de mettre une personne au monde alors qu’elle n’a rien demandé et qu’elle va galérer », estime Laura Schwab, 26 ans. Installée depuis peu à Joux-la-Ville (Yonne), en poste dans une bibliothèque à Auxerre, Laura a décidé, après les quatre mois de réflexion imposés par la loi, de passer le cap de la stérilisation à visée contraceptive. Elle s’est fait opérer pour ne jamais tomber enceinte. « Libérée » et sûre, cette fois, d’être prise au sérieux.
A 33 ans, Tristan est allé aussi au bout de la démarche. Lui qui a parfois « une amoureuse et des amantes » (en ce moment « que des amantes ») ne veut pas d’enfant, pour des questions écologiques, mais surtout parce qu’il « adore son boulot » et n’a « pas le temps ». « Ça ruinerait ma vie », dit-il. Intermittent du spectacle, en déplacement professionnel permanent, il regarde avec légèreté sa récente vasectomie et les résultats de son dernier spermogramme : « Tout va bien. Il n’y a plus de nageurs dans la piscine. »
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