Manifestation contre la reforme des retraites a Paris, le 17 décembre. Photo Corentin Fohlen pour Libération
Faute de personnel et de lits disponibles alors que les patients sont nombreux aux urgences pendant les fêtes, des médecins et chefs de service tentent d'alerter leur direction. Qui ne propose pas assez de renforts.
Il sera de garde mardi, comme il l’a été à Noël. «Je n’ai pas le choix, nous dit-il, un rien désabusé. Autrement, il n’y aurait pas de médecins.» Chef de service des urgences au CHU du Kremlin-Bicêtre près de Paris (AP-HP), Maurice Raphaël n’est pas un novice. Il occupe ce poste depuis dix ans, et auparavant il était à l’hôpital de Montfermeil. Les urgences, c’est son monde.
Là, il se montre presque philosophe. La semaine dernière, il l’était beaucoup moins. Dans un mail adressé à la direction de l’hôpital, il s’est énervé et a tiré une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Evoquant le «risque majeur d’événements graves», il motivait sa mise en garde : «La situation pour les semaines à venir s’annonce extrêmement préoccupante. La privation de 100 lits avec une activité qui reste stable, voire qui augmente pendant les fêtes, conduit mathématiquement à un engorgement des urgences et avec pour résultat des patients dans l’attente de lits installés sur des brancards dans les couloirs.» La preuve ? «Le 23 décembre, quand je suis arrivé le matin, nous devions nous occuper de 35 patients sur des brancards, les voir un par un, leur trouver une place, ce qui prend du temps. Et pendant ce temps-là, le flux continue d’arriver et vous êtes toujours en retard.»
Maurice Raphaël résiste. Mais parfois, il a le sentiment de radoter, tant la situation s’est enkystée. «Le problème, ce n’est pas les urgences, c’est l’hôpital, nous explique-t-il. Avec 110 lits fermés faute de personnel, nous n’en avons pas de place. Alors, tout est tendu. On a des conditions de travail difficiles, on n’est pas assez nombreux, et on n’arrive ni à recruter ni à faire rester le personnel.» Parallèlement, l’activité augmente : plus de 60 000 passages par an, c’est-à-dire au moins 180 personnes par jour.
Pour affronter cette marée constante, la direction de l’hôpital a prévu le renfort de deux aides-soignants… Une goutte d’eau. «Le 26 décembre, il y avait 40 patients en attente de lits. A chaque fois, on le sait, on prévient la direction. On dit : "Attention, on va avoir des problèmes." Les gens restent là, dans les couloirs. Il y a un risque majeur d’erreurs graves, parce que vous ne pouvez pas avoir des yeux partout et surveiller tout ce qui se passe, c’est impossible», s’inquiète Maurice Raphaël.
«Sur le papier, c’est parfait»
L’été dernier, l’Agence régionale de santé (ARS) de l’île de France avait lancé un plan «zéro brancard aux urgences», s’inscrivant d’avance dans le pacte de refondation des urgences annoncé en septembre par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. «La démarche a pour objectif d’améliorer la qualité de la prise en charge et des conditions de travail dans les services d’accueil des urgences», était-il dit en préambule. Fin novembre, bon élève, l’hôpital du Kremlin-Bicêtre a été le premier établissement francilien à signer un engagement avec l’ARS. Avec une série de mesures annoncées, comme l’ouverture de dix lits supplémentaires, mais aussi une accélération des prises en charge pour l’imagerie adultes pour les urgences non vitales.
Le plan évoquait aussi «une grille de fragilité» afin «d’identifier les patients susceptibles d’être hospitalisés pendant plusieurs jours afin d’accélérer leur prise en charge sociale». Joli programme. «Sur le papier, c’est parfait, analyse le Dr Maurice Raphaël, mais les 10 lits ouverts ont été fermés ailleurs. Alors il y a toujours le même goulot d’étranglement, d’autant que dans notre hôpital, pour des raisons non éclaircies, la durée de séjour des patients est un peu plus longue qu’ailleurs.»
Appel à la démission
Au CHU du Kremlin-Bicêtre, il manque chaque jour entre 70 et 80 infirmières. Un cas pas isolé. Les exemples sont légion de cette tension maximum, avec des réponses parfois déroutantes des administrations. La semaine dernière, selon France 3 Grand Est, on a appris qu’au centre hospitalier Emile-Muller de Mulhouse (Haut-Rhin), «une journée de garde à 2 200 euros a été proposée à un médecin urgentiste» pour le faire venir. De quoi susciter la colère de Jean-Marc Kelai, secrétaire de la section CFDT du groupement hospitalier Mulhouse Sud : «Il y a quelques semaines, nous avons manifesté parce que la direction voulait [toucher à] une partie de la prime de services des agents. Et là, on voit qu’on arrive à trouver de l’argent pour rémunérer ces médecins intérimaires.»
Autre symptôme de cette crise, au service des urgences de l’hôpital Joseph-Ducuing à Toulouse : 9 des 11 médecins ont envoyé leur lettre de démission à la direction de l’établissement, «ne voulant plus travailler dans un service démuni d’une aide-soignante la nuit et dans lequel une seule infirmière s’occupe de l’accueil et des soins».
Une fin d’annus horribilis. Au niveau national, ce sont maintenant 1 062 chefs de service qui ont signé un appel à la démission, dans un texte commun adressé à la ministre de la Santé pour «faire en sorte que l’année prochaine ne ressemble pas à cette année».
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