—
Du mouvement #MeToo à l’affaire Jacqueline Sauvage, comment réfléchir sur les violences spécifiques, et de natures différentes, dont les femmes sont l’objet, sur leur émancipation inachevée ?
La question des violences faites aux femmes est, on peut s’en réjouir, venue ces derniers temps sur le devant de la scène intellectuelle et médiatique. L’attribution du prix Nobel de la paix au gynécologue congolais, Denis Mukwege, qui se consacre à soigner les femmes victimes des insoutenables cruautés du viol comme arme de guerre instituée en système (1), et à Nadia Murad, militante yézidie contre la traite des êtres humains qui fut esclave sexuelle chez Daech, est sans doute la meilleure nouvelle de ces dernières semaines. Dans le même temps, les Tunisiennes pourraient enfin se voir reconnaître l’égalité des droits dans l’héritage, rompant avec la loi fondée sur le droit islamique qui veut qu’un homme hérite du double d’une femme. Projet qui divise la société - femmes comprises -, mais fait néanmoins son chemin. Il y a eu aussi, bien sûr, l’affaire Weinstein, et dans la foulée #Balancetonporc et #MeToo, qui ont jeté un éclairage cru sur l’infinie palette des faits de sexisme ordinaire, de la remarque grivoise au harcèlement sexuel au travail, et parfois au viol, en passant par toute une gamme de situations qui ont comme - plus petit ? - dénominateur commun que les femmes y seraient considérées comme par nature à la disposition des hommes, des mâles.
Tout cela pendant que le pape, qui ferait mieux de se consacrer aux scandales pédophiles dans l’Eglise, lesquels ne se résoudront sans doute pas par la grâce du «jeûne et de la pénitence» de tous les fidèles, croit bon de qualifier de «tueurs à gages»ceux qui pratiquent des IVG, et confie à ses évêques le soin de défendre les femmes et les enfants des ravages d’une société sans pères (la PMA pour toutes en ligne de mire). Pendant que le juge Kavanaugh, dont les positions ultraconservatrices en matière d’IVG notamment sont connues (mais médiatiquement, ce sont plutôt ses dégoûtantes conduites d’ancien teenager éméché qui ont saturé le discours féministe), est élu à la Cour suprême. Pendant que Jair Bolsonaro, sans doute le prochain président d’extrême droite du Brésil, se répand en propos violemment misogynes et homophobes, et envisage d’armer tous contre tous. Et pendant que les démocratures reculent chaque jour un peu plus sur l’égalité des droits - s’agissant des femmes notamment.
Dans ce paysage contrasté, traversé en France de controverses, concernant tout récemment l’affaire Jacqueline Sauvage, mais aussi d’une mise en cause grandissante d’un féminisme universaliste - épinglé comme féminisme «blanc» -, comment essayer de réfléchir sur la situation des femmes, ici et ailleurs, sur les violences spécifiques, et de natures différentes, dont elles sont l’objet, sur leur émancipation inachevée ? A quel «effort de lucidité», pour emprunter les mots de Simone de Beauvoir dans le Deuxième Sexe, devons-nous nous astreindre, au-delà des révoltes et des émotions spontanées qui peuvent nous envahir - devant les violences subies par une Jacqueline Sauvage, devant les conduites machistes insupportables de certains hommes, imperturbablement sûrs de leur privilège masculin ?
Si c’est bien en tant que femmes - et ce que ce vocable recouvre n’est en rien limpide - que les femmes subissent de l’oppression, n’est-ce pas en tant qu’êtres humains, par-delà la question du «genre» (voire du «genre racialisé», selon l’expression à la mode), qu’il importe de défendre leur droit à une égale dignité, dans tous les domaines de la vie publique et privée ?
Cela veut dire par exemple, si l’on considère le cas Jacqueline Sauvage, que les femmes sont des justiciables comme les autres. «En exécutant votre mari, vous nous avez privés d’un procès qui aurait peut-être permis d’inverser l’ordre des choses aujourd’hui établi. […]. La justice s’exerce pour éviter la vengeance des victimes et pour punir à leur place»,écrit le procureur (2). Peut-on sur ce point lui donner tort ? Que l’institution judiciaire doive se réformer de façon à faire pleinement droit aux plaintes de victimes de violences, oui ; mais la peine de mort appliquée, hors droit commun, par une épouse maltraitée, est-ce acceptable ?
Laissons pour une prochaine fois les questionnements que peut susciter ce qui a été qualifié (#MeToo) assez unanimement, et sans doute un peu vite au vu de l’histoire du féminisme, de «première remise en cause sérieuse du patriarcat», et confions la conclusion (provisoire) à Virginia Woolf : «Affirmer les droits de tous - de tous les hommes et de toutes les femmes - afin que soient respectés en leur personne les grands principes de Justice et d’Egalité et de Liberté.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire