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mardi 22 mai 2018

L’ecstasy, une piste contre le stress post-traumatique

Un cachet de MDMA, combiné à la psychothérapie, pourrait délivrer une majorité de patients de réminiscences invalidantes.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 

Le patient s’allonge sur un futon, un casque sur les oreilles, un masque pour cacher ses yeux. Deux psychothérapeutes, un homme et une femme, s’installent à ses côtés. Ils y demeureront pendant les huit prochaines heures. Puis, quand tout est en place, le ­patient avale un cachet de MDMA – le principal ingrédient actif de l’ecstasy – et s’envole…

Cette scène, inusitée dans un contexte médical, a pourtant eu lieu des dizaines de fois lors d’une étude clinique menée récemment aux Etats-Unis pour évaluer si la psychothérapie assistée par la MDMA soulage les personnes souffrant d’état de stress post-traumatique (ESPT). Les résultats, annoncés en mai dans la revue The Lancet Psychiatry, sont prometteurs : quinze des dix-neuf ­sujets ayant reçu la substance, ­récalcitrants aux soins depuis des années, ont significativement amélioré leur état, selon un test standardisé (réduction du score de plus de 30 %). Actuellement, la psychothérapie constitue le meilleur traitement contre les ESPT, mais ne fonctionne pas pour la moitié des patients.

« Cette nouvelle étude confirme de manière convaincante nos ­observations précédentes », avance Michael Mithoefer (université de médecine de Caroline du Sud), le premier auteur de l’article. Depuis une dizaine d’années, neuf études cliniques de petite envergure, dont celle-ci, ont été organisées par la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS, Santa Cruz, Californie), un organisme à but non lucratif voué à la recherche sur le cannabis et les drogues psychédéliques. C’est la quatrième étude dont les résultats sont dévoilés. Jusqu’à maintenant, la trop petite taille des échantillons rendait impossible un verdict statistiquement appuyé, mais la MAPS a obtenu l’accord des autorités américaines pour lancer un essai clinique à grande échelle dès l’été, dernière étape avant une potentielle légalisation médicale aux Etats-Unis.

Effet « reset »


Les ESPT, troubles anxieux ­découlant d’un traumatisme, se caractérisent notamment par une reviviscence fréquente du souvenir douloureux, la tendance à se reprocher l’événement et la persistance généralisée des émotions négatives. Lors de la séance de psychothérapie, la MDMA donne la force aux patients d’affronter leur traumatisme et de s’en affranchir. « Le traitement permet aux patients d’adopter une nouvelle perspective sur leur ­traumatisme, sans être accablés par la peur et l’anxiété », explique ­Michael Mithoefer.

Lors de la transe, le niveau de ­sérotonine augmente en flèche dans le cerveau et stimule des récepteurs qui réduisent l’anxiété, la dépression et la peur. La MDMA stimule aussi la libération d’ocytocine, « l’hormone de l’amour ». Le patient est alors submergé par une immense empathie pour lui-même et les autres. « Je sais que ce sentiment est causé par la drogue, mais je crois pouvoir m’y accrocher. Cette réalisation est si profonde que je ne crois pas pouvoir l’oublier », déclarait un sujet dont le témoignage est rapporté en ­annexe de l’article.

Une nouvelle perspective de traitement médicamenté prend donc forme, qui repose davantage sur la prise de conscience que sur l’apaisement des symptômes. « Je crois beaucoup à la trip thérapie, qui a un effet “reset” sur le cerveau des sujets atteints de certains troubles mentaux ou addictologiques », indique Laurent Karila, psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif). « Ce sont des pistes à explorer dans le cadre de protocoles encadrés », ajoute-t-il, soulignant également que « prise de manière médicalement contrôlée, il n’y a pas de débordement compulsif ou addictif avec la MDMA ». La substance à l’état pur est relativement inoffensive, contrairement à l’ecstasy vendue sur le marché noir, qui comporte plusieurs autres molécules actives.

Une étude sérieuse


« C’est une belle étude avec un design méthodologique très sérieux », selon Laurent Karila. Lui et Henri Chabrol, psychopathologue à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, déplorent toutefois la petite taille de l’échantillon (dix-neuf sujets testés, plus sept témoins). Henri Chabrol aimerait aussi voir une comparaison avec la psychothérapie augmentée au propranolol, un traitement ­visant à diminuer la charge émotionnelle associée aux souvenirs traumatiques, actuellement à l’étude en France avec des victimes du terrorisme.

Andrea Cipriani et Philip Cowen, psychiatres de l’université d’Oxford, soulignent, quant à eux, que la majorité des participants à l’étude ont été recrutés en ligne ou grâce au bouche-à-oreille. La curiosité de ces personnes à essayer la MDMA ­pourrait avoir influencé les résultats, écrivent-ils dans une note ­accompagnant la publication dans The Lancet Psychiatry.

Michael Mithoefer entend bien faire taire les critiques avec la prochaine étude américaine. En outre, son équipe est en pourparlers avec l’Agence européenne des médicaments. Si elle obtient le feu vert de l’agence, la MAPS formera des psychothérapeutes en Europe dès l’automne prochain en vue d’un grand essai clinique sur le Vieux Continent.

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