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lundi 12 février 2018

Malaise à l’hôpital : la parole se libère de manière virale

Par Eric Favereau — 

Au service de neurologie de l’hôpital Saint-Antoine, en octobre à Paris.
Au service de neurologie de l’hôpital Saint-Antoine, en octobre à Paris. Photo Edouard Caupeil


Ce mardi, le Premier ministre doit annoncer un plan afin de modifier «l’offre de soins». Cette initiative intervient alors que pétitions et appels se multiplient au sein d’un secteur public qui exprime ses inquiétudes de manière aussi inédite que massive.

Météo très incertaine. Par crainte d’orages imprévisibles sur le front hospitalier, le gouvernement a accéléré son propre tempo. Ce mardi matin, à l’occasion d’une visite à l’hôpital d’Eaubonne (Val-d’Oise), c’est Edouard Philippe en personne, accompagné de la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui va dévoiler «le plan de transformation de l’offre de soins» avec l’annonce, entre autres, d’une série de groupes de travail pour baliser «les changements indispensables».
A priori, pas de mesures chocs mais l’ouverture de chantiers. Cela suffira-t-il, tant la situation est aujourd’hui à vif, prête à déborder ? A l’image de cette explosion de mots, de textes, d’appels et de pétitions (lire aussi pages 18-19) qui surgissent depuis quelques semaines, dans le monde hospitalier. Jamais on n’a autant parlé, pétitionné, écrit. Les témoignages se multiplient sur les réseaux sociaux (lire ci-contre). «La situation est particulière, je n’ai jamais ressenti un tel climat. Tout le monde se plaint. Et à juste titre», note un directeur d’un grand CHU de province, d’ordinaire mesuré. Le mouvement a de fait pris de l’ampleur et de la vigueur depuis que la ministre de la Santé elle-même a déclaré en décembre dans Libération que l’on était arrivé «au bout d’une histoire et d’un système». Précisant même : «On a fait croire à l’hôpital public qu’il devait se concentrer sur des activités rentables, qu’il devait se sentir une âme d’entreprise. Cette logique est arrivée à son terme.» Avec cette reconnaissance des pouvoirs publics que cela ne devait plus durer, le couvercle a sauté. Et a entraîné un déluge de prises de parole. «Ce qui se passe est une chance. Les acteurs de santé sont épuisés, mais ils n’ont pas encore perdu l’envie de s’engager»,analyse ce chef de service d’orthopédie parisien.

«Maillon»

Reprenons le fil. Le 16 janvier, Libérationpubliait l’appel inédit de mille médecins hospitaliers autour du professeur André Grimaldi, dénonçant «ce toujours plus avec toujours moins qui entraîne une dégradation des conditions de travail, provoquant épuisement et démotivation des soignants et, en conséquence, une baisse de la qualité des soins». Les signataires vont être reçus la semaine prochaine par la ministre.
Un mois plus tard, dans le prolongement direct arrive un «Appel citoyen à des états généraux de la santé» (lire page 18). Comme un étage supplémentaire à une fusée qui ne demande qu’à décoller. La démarche est singulière : à l’origine, une économiste de la santé, Fabienne Orsi, et une juriste, Alima El Bajnouni, qui travaille dans une association à Marseille pour l’accès aux droits. «Il y a une urgence de réappropriation des questions de santé, nous explique Fabienne Orsi. On ne veut pas faire de l’"hospitalocentrisme", mais l’hôpital public est le maillon central, c’est le lieu où s’exprime la médecine de pointe, c’est aussi le maillon le plus sociabilisé, et c’est enfin le lieu des dysfonctionnements les plus visibles avec un impact direct pour les plus fragiles. C’est pour cela que l’on a lancé un appel aux citoyens, et pas seulement aux professionnels de la santé.»
Et il a vite trouvé de l’écho. Des Prix Nobel ont signé, comme Françoise Barré-Sinoussi, une flopée d’économistes de la santé, mais aussi des responsables du monde associatif, comme le directeur d’Aides ou de France-Association Santé, ou encore Arnaud de Broca, de la Fédération nationale des accidentés de la vie, des juristes, des artistes, des retraités, etc. Des signataires aussi variés que les usagers de la santé. «L’idée est de faire une assemblée des signataires, puis des états généraux», explique Fabienne Orsi.

Bouillonnement

Au même moment, un autre appel s’est construit, plus interne mais tout à fait singulier. Il tourne autour de la gouvernance dans les hôpitaux. Lancé par le professeur Rémi Salomon, membre de la commission médicale des hôpitaux de Paris et responsable de celle concernant la qualité des soins, ce médecin a fait alliance avec Edouard Couty, ancien directeur des hôpitaux et personnage important de la politique hospitalière. «Il faut sortir des conflits administratifs-médecins»,insiste le professeur Salomon, qui prône un nouveau pacte de confiance entre toutes les personnes travaillant à l’hôpital : il «doit être le plus beau et le plus efficace des services publics». Un nombre important de directeurs d’hôpital ont signé ce texte (lire page ci-contre), ce qui est rarissime, ces derniers étant d’ordinaire d’une extrême prudence, tenus au devoir de réserve. Mais aussi des cadres de santé, des responsables médicaux, etc.
Ce bouillonnement est inédit, à l’image de ce qui est en train de se passer. Selon le rapport publié la semaine dernière par la Cour des comptes, un tiers des établissements publics de santé étaient encore «en situation d’endettement excessif» en 2015 - et cela s’est vraisemblablement aggravé. «Le nombre d’hôpitaux publics concernés demeure très important»,déplore la Cour des comptes, qui en a recensé 319 et, parmi eux, certains fleurons hospitaliers, comme les Hospices civils de Lyon (HCL), l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) ou le CHU de Nice.

«Actes inutiles»

Quel est le plan du gouvernement ? Jusqu’à présent, la ministre de la Santé a parlé plutôt habilement, reconnaissant donc la profondeur de la crise et renouant au passage le dialogue avec des professions de santé. Mais cela s’est arrêté là. Aucune mesure, juste des mots et des intentions. Agnès Buzyn a annoncé qu’il n’y aurait aucune réduction d’effectifs dans la fonction publique hospitalière. Certes, mais sa prédécesseure, Marisol Touraine, avait dit la même chose, tout en faisant l’inverse. «De l’argent, il y en a. On dépense beaucoup pour la santé, près de 11 % du PIB, et la moitié va à l’hôpital,constate un haut fonctionnaire. Le problème, c’est la répartition. Nous avons trop d’hôpitaux dispersés. On dépense pour des actes inutiles, des services sont inutiles. Il faut aller beaucoup plus loin dans les regroupements hospitaliers.»
Selon Matignon, des groupes de réflexion vont être lancés sur des thèmes aussi variés que les ressources humaines et les conditions de travail, le numérique, la pertinence des soins, l’organisation interne, mais aussi le financement, en mélangeant médecine de ville et hôpital. «Pourquoi pas, si le gouvernement sait où il veut aller. Mais sans annonce forte et précise, tout peut déraper», prévient un ancien syndicaliste hospitalier. «L’hôpital a besoin qu’on l’écoute,poursuit un des signataires de ces appels. Les usagers doivent trouver une place dans les directions des établissements, et bien sûr le personnel a besoin d’être valorisé et non épuisé. L’hôpital a besoin de démocratie.»

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