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vendredi 27 octobre 2017

Harcèlement sexuel à l’hôpital : « De vieilles traditions ne sont plus tolérables »

Dans un entretien au « Monde », le directeur général de l’AP-HP, indique qu’il veut faciliter les signalements à l’hôpital, très exposé aux comportements déplacés.

LE MONDE  | Propos recueillis par 

Le président de l’APHP, Martin Hirsch.
Le président de l’APHP, Martin Hirsch. LUDOVIC MARIN / AFP

Quelques jours après les propos de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, dénonçant les « comportements très déplacés » dont elle avait fait l’objet lorsqu’elle était médecin, c’est au tour de Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), de dénoncer ce phénomène. Pour celui qui dirige depuis novembre 2013 le « navire amiral » du système de santé français, avec 39 hôpitaux, près de 100 000 salariés et dix millions de patients chaque année, il existe bien un « problème » de harcèlement sexuel à l’hôpital.

Vous avez reconnu, jeudi 26 octobre, sur France Inter, que le harcèlement sexuel était un « problème » à l’hôpital. Comment mesurer sa réalité au sein de l’AP-HP ?

Cette réalité est impossible à nier, mais difficile à mesurer. Impossible à nier parce qu’il faudrait être sourd pour ne pas entendre des multitudes d’histoires, parfois racontées comme des anecdotes, lorsqu’on demande à une femme si elle a été confrontée dans sa carrière à une situation inappropriée, inacceptable. Difficile à mesurer, parce que, quand on regarde rétrospectivement les comportements qui ont été signalés et caractérisés pour donner lieu à procédure disciplinaire ou plainte, ils sont peu nombreux : moins d’une dizaine par an.


Comment expliquer ce décalage ?

Il est lié à deux phénomènes. Pour la victime, il est délicat de dénoncer, de peur de conserver l’image de la victime ou de la dénonciatrice. Pour les collègues, il est préférable d’admonester entre quatre yeux que de signaler, de prendre le risque que cela vienne sur la place publique, ou d’avoir à trancher entre deux versions contradictoires, quand il n’y a pas de témoin. Et probablement parce qu’il existe une certaine tolérance. Or de vieilles traditions présentées comme sympathiques ne sont plus tolérables.

Est-ce que certaines catégories de personnels sont davantage touchées ?

Puisque nous ne savons pas le mesurer, nous ne pouvons pas le déterminer « scientifiquement ». Mais ce qui est plus que probable, c’est qu’aucune catégorie n’est à l’abri de tels comportements, à tous les niveaux hiérarchiques et dès le début de la carrière. Et il y a peut-être certaines disciplines plus concernées que d’autres, parce que plus récemment féminisées .

Vous avez suspendu la semaine dernière un praticien hospitalier pour harcèlement sexuel. Est-ce le signe d’un changement d’époque ?

Je ne sais pas dire si l’étudiante qui a fait le signalement ne l’aurait pas fait dans un autre contexte ou si le climat actuel l’a aidée à faire cette démarche. Ce dont je suis sûr, en revanche, c’est que le directeur qui a traité cette situation l’aurait fait de la même manière il y a six mois, et que l’administration que je dirige n’est pas inerte face aux plaintes. Le signal d’un changement d’époque, c’est maintenant que nous devons le donner.

En évoquant ce sujet cette semaine avec les présidents de communauté médicale, j’ai pu constater qu’ils étaient sur la même longueur d’onde, prenant le sujet au sérieux. Et je n’ai pas entendu fuser, quand nous en parlions, la plaisanterie habituelle qui tourne en dérision, pour éviter d’affronter les difficultés.

Pourquoi l’hôpital est-il un lieu particulièrement exposé à ce phénomène ?

L’hôpital est un lieu particulièrement exposé pour des raisons cumulatives, dont aucune ne peut être une excuse. Il y a ce stress de l’urgence et de la vie à sauver, il y a ces traditions de pouvoir et de domination, il y a le rapport au corps et à la science anatomique, il y a le travail de nuit, l’ambiance des gardes. On me signalait qu’il y a encore des vestiaires qui sont mixtes ! Il y a aussi, probablement, cette sorte de décalage lié à la réputation : il est difficile d’admettre qu’il puisse y avoir le mal chez des professionnels dont la vocation est de faire le bien.

Est-ce qu’il existe une « loi du silence » dans les hôpitaux ?

Loi du silence me semble trop fort. Cela signifierait que quelqu’un a édicté cette loi, ce qui n’est pas le cas. En revanche, il y a bien sûr une aversion au scandale. Ce que je veux faire partager, c’est que le scandale est de camoufler, pas de signaler et de traiter. C’est comme les accidents médicaux, les événements indésirables graves : ça se déclare, ça ne se planque pas. Nous avons réussi à faire augmenter très sensiblement le nombre de cas déclarés depuis trois ans pour ces événements, et cela nous renforce dans la qualité des soins. Nous devons réussir de même pour les agressions à caractère sexiste et cela nous renforcera dans la qualité du travail, et donc aussi des soins.

Qu’allez-vous mettre en œuvre pour mettre fin à ces pratiques ?

Avec les représentants de la communauté médicale, nous avons prévu d’agir à tous les niveaux. Faciliter le signalement auprès des commissions de vie hospitalières, qui y seront sensibilisées, ainsi que les directions locales des ressources humaines. Diffuser les préconisations, comme celles rédigées par le Défenseur des droits, pour que les victimes sachent à qui s’adresser et ne craignent pas les conséquences d’un signalement. Réunir les responsables des salles de garde pour que nos messages passent. Et aussi tenir un discours qui ne soit pas celui de la tolérance, de la légèreté ou du fatalisme, sur le mode « puisque cela a existé de tout temps, il est vain de le faire disparaître ».

Cela sera-t-il suffisant pour mettre fin à une vieille « culture carabine » à base de blagues grivoises ?

Les réactions des responsables médicaux, comme celles des responsables syndicaux, montrent que cela sera une cause partagée. Une culture carabine, c’est savoir être drôle, savoir utiliser la dérision, mais pas abuser d’un pouvoir de domination. Nous aurons à trancher la question de savoir s’il faut ou non repeindre les salles de garde dont les fresques doivent être considérées comme un témoignage de pratiques révolues, pas comme une incitation à maintenir des traditions malsaines.

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