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dimanche 12 mars 2017

« L’électeur de gauche vote son rêve au premier tour et atterrit au second. Mais en 2017, le FN est aux portes »

LE MONDE Par Jacques-Alain Miller


TRIBUNE. Jean-Luc Mélenchon, opium des orphelins de la Révolution ? Il se rêve en Hugo Chavez : la conquête du pouvoir par les urnes, suivie de la formation d’un gouvernement acquis aux classes populaires. Mais ça ne marche qu’en Amérique latine.

Sans doute est-il réjouissant d’écouter le candidat de La France insoumise quand il dézingue les possédants et les puissants, leurs valets, les belles personnes. Guignol rossant le gendarme, impertinence, satire, dérision, je ne boude pas ces plaisirs si français. Mais des monologues drolatiques ne font pas une politique.


Ce n’est pas dire que Mélenchon n’est qu’un amuseur : il a une vraie vocation d’éducateur, et je lui fais le crédit de penser que jamais il ne flattera le pire comme fait la cheffe xénophobe.

Mais qui pourrait faire concurrence à celle-ci dans les masses ? – sinon des partis populaires dignes de ce nom, qu’ils soient d’inspiration socialiste, démocrate-chrétienne ou gaulliste. Rien de plus étranger à notre caudillo en espérance : il a dès longtemps renoncé à suivre l’exemple de Die Linke, son premier modèle. Sa « France insoumise » n’est pas un parti, mais plutôt le fan-club de son one-man-show. Comme un Macron, en somme.


Une donnée inédite

La vérité est que, République ou Révolution, il faut choisir. La contradiction est antagoniste. Ce qui la voile, c’est le concept chauve-souris de « révolution citoyenne ». C’est le couteau de Lichtenberg dont parle Freud, celui dont on remplace la lame après en avoir changé le manche.

Il y a cinq ans, les harangues de Mélenchon faisaient vibrer toute la gauche. Devenu une caricature de lui-même, il abuse de sa grande gueule, comme jadis Georges Marchais, même si la sienne est brillante et cultivée, comme le dit le jeune Glucksmann. Le bruit et la fureur cachent mal la radicalité de son impuissance.

Gérard Miller nous détaille sa routine d’électeur de gauche : il commence par voter son rêve ; il redescend des cimes pour le second tour, et se résigne à atterrir. C’est la stratégie de Mgr Dupanloup : la thèse puis l’hypothèse, qui complète la première en la démentant. Pourquoi pas ? D’habitude, ce vote biface ne fait de mal à personne. Plaisir innocent. Mais en 2017, c’est un plaisir coupable, car l’ennemi du genre humain est aux portes.

Quand c’est business as usual, oui, au premier tour on choisit, au second, on élimine. Seulement, il y a cette fois une donnée inédite : à l’heure qu’il est, Marine Le Pen figure déjà au second tour. Si François Fillon qui s’est effrité n’y est pas, une partie de la droite dite républicaine se reportera sur elle sans ciller. De plus, il est possible que la candidate du Front national (FN) soit plus haut dans les urnes que dans les sondages.


A gauche, l’opium


La « bobo chez les fachos » (Renaud Dely) s’est si bien fondue dans le paysage que presque personne ne sonne plus le tocsin à son approche. « La plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ! » (Baudelaire).

Mais imaginez un peu l’appareil d’Etat aux mains du FN, et d’abord la police, déjà à 50 % mariniste. Avec en prime la prévisible catastrophe économique, ne voyez-vous pas comment l’Etat de droit pourrait reculer et s’étioler comme en Hongrie ou en Pologne ? Et qui est sûr que la France ne passerait pas alors sous le joug d’un Etat policier ? Tout irait très vite.

Pendant ce temps, les médias parlent d’autre chose. La gauche sauve la planète, et se goberge : cannabis pour tous, revenu universel, Parlement de la zone euro, quand ce n’est pas diktat à l’Allemagne et Assemblée constituante. L’opium, vous dis-je.

On n’hallucine pas moins à droite quand on se voit déjà rééditer l’opération Thatcher dans la France de 2017. Au centre de l’échiquier, on se presse dans l’auberge espagnole du jeune homme providentiel.

Quand la classe politique tire ainsi des plans sur la comète, le public est-il dupe ? On est comme au spectacle : savoir que c’est pour du semblant ne vous empêche pas, au contraire, d’éprouver des émotions authentiques. C’est le ressort de toute catharsis, et la matrice du fantasme : « Qu’il serait beau que… ».

Le moment est venu de se bouger. Là, tout de suite, par priorité, je suis pour alerter le pays sur la menace que représenterait pour tous l’accession au pouvoir de Marine Le Pen et du courant d’idées dont elle procède, qu’elle incarne et dissimule à la fois. Puisque les politiciens s’avèrent défaillants sur ce point, c’est aux différents secteurs de la société civile de se mettre en mouvement. Il y a péril en la demeure, péril à lambiner.

L’univers sait l’enjeu de l’élection : la victoire ou la défaite de Marine Le Pen.
Jacques-Alain Miller est psychanalyste, ancien président de l’Association mondiale de psychanalyse. Gérard Miller et lui sont frères.

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