Lors d'une audition au Sénat, le président du Conseil national de la santé mentale (CNSM), installé par la ministre de la Santé en octobre dernier, a évoqué les premières orientations de travail de l'instance. Celles-ci seront arrêtées en juin prochain.
Auditionné au Sénat par la mission d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France du Sénat, le Pr Alain Ehrenberg, sociologue, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et président du Conseil national de la santé mentale (CNSM), a précisé les axes de travail du conseil, installé depuis octobre dernier (lire notre article). Il a rappelé que le CNSM est à la fois une instance de concertation, regroupant à peu près l'ensemble des acteurs concernés, professionnels, usagers et familles — environ soixante-quinze personnes —, et une instance d'expertise et de stratégie pour l'action publique, avec un rôle "purement consultatif". Depuis la création du conseil, "nous avons élaboré le projet stratégique et constitué nos commissions. Notre programme, pour les deux prochaines années de mandature, devrait être finalisé en juin prochain", a-t-il annoncé.
Les "guerres des psys" n'ont plus lieu d'être ?
Alain Ehrenberg a expliqué que les problèmes de santé mentale ne sont plus aujourd'hui seulement des problèmes spécialisés de psychiatrie et de psychologie clinique. "Nombre d'entités psychopathologiques sont devenues aujourd'hui des questions sociales, tandis qu'un nombre croissant de questions sociales sont appréhendées au prisme des catégories et entités psychopathologiques", a-t-il développé. C'est pourquoi, les pathologies mentales donnent matière "à des débats politiques et moraux que l'on ne voit pas dans d'autres domaines de la santé", a souligné le sociologue. "Pensez à la souffrance au travail, et plus récemment à l'état mental des terroristes... le point important est ce déplacement général", a-t-il expliqué. Ces pathologies sont des raisons de se faire soigner, elles sont donc devenues des pathologiques sociales. Pour le sociologue, il y a là le contexte dans lequel les questions de santé mentale sont devenues, au-delà des pathologies psychiatriques, des soucis transversaux à toute la société. "C'est pourquoi la santé mentale est un enjeu total pour la société", a-t-il insisté. Et avec "ce grand changement, avec ce nouvel esprit du soin, les métiers et les pratiques ont connu des recompositions parfois dramatiques et suscité toutes sortes de tensions et de frustrations, qui appellent une clarification". Il a évoqué les "multiples "guerres des psys"" et la situation particulièrement tendue en ce qui concerne l'enfance et l'adolescence, notamment l'autisme. "En France, on polémique beaucoup mais on discute mal ! C'est là, j'espère, que le [CNSM] aura son utilité", a confié Alain Ehrenberg.
Perspective de prévention et de réduction des risques
Interrogé plus précisément sur la pédopsychiatrie, le président du CNSM a indiqué que le conseil s'interroge sur les modalités de l'insertion de la psychiatrie des mineurs dans le cadre d'une politique de prévention et de réduction des risques. "Il s'agit donc de la placer dans une perspective [...] de prévention où la question pathologique n'est pas nécessairement au premier plan", a-t-il expliqué, tout en étant conscient du grand nombre de membres du CNSM, "dont les intérêts peuvent s'avérer contradictoires". Ainsi, les pédopsychiatres "peuvent s'y sentir remis en question, à l'occasion notamment des débats sur le Pass'santé". Or, aujourd'hui, la question éducative est aussi centrale que la question sanitaire et "il convient d'ajouter les problèmes d'inégalité sociale et de pauvreté qui représentent des contextes extrêmement favorisants pour toute une série d'autres troubles que psychotiques", a insisté le sociologue. Il a cité par exemple le rapport de Marie-Rose Moro et de Jean-Louis Brison sur la santé des jeunes (lire notre article), qui "va dans le bon sens". Il a précisé que le CNSM a constitué trois sous-formations pour "travailler efficacement". L'une d'elles concerne la période allant de la grossesse au jeune adulte. "Il faudrait élargir les préconisations de ce rapport à une période beaucoup plus longue", a-t-il poursuivi, citant "deux thèmes carrefours : le bien-être à l'école et les compétences sociales".
Évaluer les impacts des innovations en santé mentale
Le président du CNSM annonce par ailleurs la création d'un groupe consacré à l'intelligence collective. "Il ne faut développer ni l'épidémiologie ni la recherche de nouveaux traitements ni les recherches sociologiques mais plutôt formuler des questions pertinentes", explique-t-il. Le rapport Laforcade (lire notre article) recense une multitude d'initiatives individuelles à l'origine d'innovations dont certaines mériteraient d'être généralisées, poursuit le Alain Ehrenberg. "Il faut plutôt favoriser l'appropriation progressive par les acteurs eux-mêmes de la recherche, de l'évaluation et du suivi". Certains praticiens, comme le Pr Pierre Thomas dans le Nord de la France, ont, du reste, déjà pris certaines initiatives en ce sens, a-t-il indiqué. Et il faut également "améliorer l'évaluation des impacts de l'action publique afin de la rendre plus efficace". Alors qu'une telle démarche est relativement marginale en France, a-t-il remarqué, "le National institute for health and clinical excellence (pour Institut national pour la santé et l'excellence clinique) britannique a lancé le programme "What's work ?" (Qu'est-ce qui fonctionne ?)". Et de souligner pour conclure que les Anglais, "qui proposent des solutions pragmatiques à partir de synthèses fondées sur les faits et disponibles aux praticiens, sont précurseurs dans ce domaine".
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