Il y a un an, l’espoir renaissait dans notre famille. Julie, jeune fille de 22 ans et porteuse d’un handicap complexe, était sans solution adaptée depuis déjà un an suite à une rupture brutale de prise en charge (en septembre 2012). Nous avions informé les instances de notre situation et entamé de nouvelles recherches. Au bout de huit mois et des dizaines de refus, nous nous étions tournés vers la Belgique, comme bien d’autres familles et, ne pouvant m’y résigner, je commençais ce qui allait devenir un journal livre-enquête (1).
Il y a un an, le 27 octobre 2013, Marie-Arlette Carlotti, secrétaire d’Etat en charge du Handicap, annonçait dans une conférence de presse que«l’histoire d’Amélie n’aurait pas servi à rien». Elle instaurait un dispositif de gestion des «situations critiques» après la condamnation de l’Etat pour absence de prise en charge adaptée pour Amélie Loquet, cette jeune femme porteuse d’un handicap complexe. Elle souhaitait surtout éviter une série de procès pour des cas similaires. Le dispositif s’adressait à des personnes pour lesquelles une solution adaptée au projet de vie devait être trouvée en urgence en raison du retentissement de l’absence de structure, à la fois pour la personne et pour son entourage.
Nous avions le bon profil, Julie régressait en autonomie à notre domicile, je venais d’être arrêtée pour épuisement physique et moral, mon mari aggravait son ulcère, mon fils de 20 ans en commençait un et mon adolescente de 15 ans fuyait la maison le plus souvent possible. Nous dormions une nuit sur deux en raison du traumatisme que Julie avait vécu et de son épilepsie complexe. Pourquoi avons-nous cru en ces promesses ? Notre dossier «cas critique» était accepté en novembre 2013, avec sept autres. En février 2014, suite à de multiples relances, on nous propose un établissement pour adulte vieillissant de plus de 50 ans avec pathologie psychiatrique ! Aucune proposition décente ne viendra et toutes les pistes explorées l’auront été par des relances que j’adressais aux différents intervenants. A ce jour, Julie est toujours sans solution adaptée et nous sommes encore debout, grâce aux soutiens de structures qui l’ont accueilli dans un externat non adapté à ses besoins mais bienveillant (provisoirement pour trois mois… depuis deux ans !), et ponctuellement en internat, tout en s’excusant de ne pas avoir de place à proposer car il n’y en a pas !

FAMILLES ÉPUISÉES, RÉSIGNÉES OU DÉGOÛTÉES

Il y a quelques jours, j’ai été informée de la réponse début octobre de Ségolène Neuville, qui a remplacé la ministre Carlotti, à un courrier adressé en juillet par la présidente de l’association Unapei (qui gère des établissements) au sujet de la situation de deux familles «cas critiques», dont la nôtre. La secrétaire d’Etat chargée du Handicap affirmait : «J’ai bien connaissance de ces situations complexes pour lesquelles je reste mobilisée. Sachez que la situation de ces deux familles fait actuellement l’objet d’un suivi régulier par les services de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).» Il m’aura fallu quelques jours avant de décider de reprendre la plume, choisir entre un désespoir silencieux et une colère écrite. Les familles épuisées, résignées ou dégoûtées restent si souvent mutiques face à un système qui les malmène pourtant ouvertement, craignant que la situation soit pire parfois. Depuis deux ans, j’aurais pu être une de ces mères infanticides, sans jamais que les autorités compétentes (la CNSA, la MDPH, le conseil général, l’ARS ou le ministère) ne soient au courant. Pas un appel spontané de ces organismes. 
Lors de sa nomination, ma naïveté incurable m’a fait espérer qu’une ministre de formation médicale, partageant des valeurs identiques aux miennes, aurait une sensibilité plus humaniste. Sur la dédicace du livre que je lui adressais mi-septembre, je notais «Madame, nous sommes toutes deux médecins, femmes engagées. Cette histoire pourrait être la vôtre. Je serais ravie de pouvoir m’entretenir avec vous» et ajoutais mon téléphone. J’avais probablement encore en tête le serment d’Hippocrate que, toutes deux, nous avions prononcé. «[…] Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. […] J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. […]»
Nous avons, durant ces deux années d’errance, supporté beaucoup : la lenteur, l’incompétence, l’insuffisance de moyens. Mais ce courrier du ministère témoigne au mieux d’une indifférence polie, voire d’un mépris vis-à-vis de nos familles. Quant à la jeune Amélie, après six mois d’attente et de promesses, la famille trouvera seule une solution à 600 kilomètres de chez elle, imposant un déménagement familial. Réussite exemplaire d’un dispositif qui a abouti à un exil intra-territorial ! Pour conclure, j’aime citer Michel Foucault pour qui les sociétés se caractérisent «selon la manière qu’elles ont de se débarrasser, non pas de leurs morts, mais de leurs vivants»
1. Jeanne Auber est l’auteure de «Les exilés mentaux, un scandale français», chez Bayard (2014), ainsi que de «Bonjour jeune beauté», avec Tristan Auber, chez Bayard (2013).